La baie de Morlaix, dans le Finistère nord, a subi depuis le début de l’année deux fermetures en raison de la présence de norovirus, un virus responsable de la gastro-entérite. À cause d’un réseau d’assainissement défaillant, il circule dans les eaux usées des habitations jusqu’au littoral. Lorsqu’il est détecté, la zone de production ferme et la vente d’huîtres est interdite. Les 70 entreprises qui opèrent dans la baie de Morlaix ont dû cesser tout ou partie de leur activité à plusieurs reprises depuis le début de l’année à cause des fermetures. En février, près de 200 professionnels de la mer et associations environnementales de Bretagne nord et sud se sont mobilisés sur le port de Morlaix pour défendre la qualité des eaux littorales. Une qualité dégradée officialisée en juillet 2021 avec le déclassement de la zone qui est passée de A à B. Une évolution qui rend obligatoire la purification en bassin des mollusques avant la commercialisation.
L’impact des fermetures va au-delà de la production ostréicole. Les sociétés qui commercialisent d’autres espèces (araignées, tourteaux, homards) ont subi des baisses de ventes car, sur les marchés, le consommateur met tous les produits de la mer dans le même panier.
« À chaque fois, il y a un amalgame entre les différentes espèces et les secteurs, explique Benoit Salaun, directeur du comité régional conchylicole (CRC) de Bretagne nord. Je pense à une entreprise de Paimpol qui vend sa production sur Morlaix et qui a ressenti une baisse de son activité à cause de cela alors qu’elle n’est pas concernée par les interdictions de ventes. »
Christine et Philippe Bigois tiennent l’établissement L’Huîtrier, inratable avec sa façade rose au bout du Dourduff, sur la côte est de la baie de Morlaix. Ils commercialisent leur production uniquement en vente directe, depuis l’établissement et sur les marchés, au rythme de six marchés par semaine. Christine entend ses clients réagir aux fermetures et constate qu’ils s’y perdent. En temps de fermetures, certains refusent d’acheter des crustacés ou une production venue d’un autre bassin, d’autres vont à la pêche à pied. « J’ai un client, cet été, qui s’est étonné qu’on vende nos huîtres car il avait lu qu’il y avait une interdiction. J’ai eu peur d’avoir raté une alerte. En réalité, il avait confondu avec une interdiction sur les palourdes. » En cas d’interdiction de vente ostréicole, Philippe et Christine ferment l’établissement.
Alain Madec se trouve de l’autre côté de la baie, à la pointe de Carantec, avec son établissement Prat-Ar-Coum. Il y vend ses huîtres mais aussi des crustacés et des produits transformés, comme des soupes de poissons ou de moules. Avec trois tables de dégustation, les clients peuvent s’installer face à la mer, regarder les bateaux à fonds plats tout en mangeant une douzaine d’huîtres. En cas de fermeture, il préfère s’approvisionner chez des collègues d’autres secteurs pour maintenir son enseigne ouverte. « Si je ferme, les clients risquent de ne plus revenir », craint-il. Mais cela entraîne des surcoûts de transport, de logistique, de frais administratifs et de temps passé à traiter les conséquences de ces fermetures. « La perte de confiance dans le produit peut entraîner la perte de contrats. Avec une fermeture, il y a toujours un manque à gagner conséquent. »
« Le pire c’est la réputation. Quand un journal titre “L’huître a la gastro”, c’est terrible pour nous, se désole Christine Bigois. Mais sur le fond, c’est juste. » Difficile de
mesurer les conséquences économiques d’une image en berne, entre les pollutions de l’eau et les algues vertes voisines. Il faudrait des années de recul pour évaluer si la clientèle se détourne de la production morlaisienne, de la filière ostréicole, voire des produits de la mer en général.
Un assainissement défaillant
Pour mesurer les conséquences économiques de ces fermetures, le CRC Bretagne nord a lancé un référé expertise en justice en s’appuyant sur le retour d’expérience de son voisin, le CRC Bretagne sud, qui est confronté au même enjeu : le réseau d’assainissement, collectif et non collectif, n’est pas suffisamment entretenu. Les stations d’épuration ne sont pas en capacité de traiter correctement les eaux usées, les débordements sont fréquents et les ostréiculteurs prévenus trop tard. Durant l’hiver 2019-2020, le Morbihan a subi des fermetures massives durant la période des fêtes de fin d’année, le moment où les ventes sont les plus importantes. Cet épisode aurait coûté 2,5 millions d’euros aux entreprises locales, entre report de vente et destruction d’une partie de la production. En baie de Morlaix, le CRC a interrogé les 70 entreprises conchylicoles qui ont une activité sur le secteur mais difficile de définir un montant de perte de chiffre d’affaires moyen tant les modèles économiques et les circuits de commercialisation sont variés. Pour les producteurs les plus importants et orientés vers l’expédition, les pertes sont massives. Entre stock bloqué en bassin et retour de lots, elles s’élèvent à plus de 300 000 euros sur les deux périodes de fermetures.
Des inquiétudes pour les fêtes
Difficile de dormir tranquille avec une fermeture qui peut tomber d’un moment à l’autre. « On a peur pour Noël, explique Christine Bigois de L’Huîtrier. Si on a une fermeture pour les fêtes de fin d’année, ce sera très dur. » D’autant plus que l’arrêté d’interdiction de vente de coquillages arrive une fois la commercialisation lancée, voire terminée pour le lot concerné. Mais gérer l’imprévu et les aléas, c’est le lot quotidien des professionnels. Johan Vignaud est le directeur adjoint de Vives Eaux. Ce mareyeur basé à Nantes fournit surtout des poissonniers et des restaurateurs en produits de la mer. Même s’il garde un œil sur les fermetures pour causes de norovirus, pas question de sortir les huîtres morlaisiennes de son catalogue par anticipation. « Nous avons des clients attachés à l’origine des produits : Bretagne, mais parfois de bassins spécifiques. Certains vont préférer une huître bretonne à une Marennes Oléron. Je ne peux pas me permettre de les supprimer de mon offre sans un argument net comme une fermeture. Donc non, nous n’anticipons pas ces interdictions. » En cas d’interdiction, il redirigera ses clients sur d’autres produits, le moment venu.
La dégustation encadrée
Un plateau d’huîtres et un verre de vin blanc les pieds dans l’eau sur un chantier ostréicole, la formule marche bien. Très bien même, au point d’avoir besoin de l’encadrer pour ne pas marcher sur les plates-bandes des restaurateurs, car la dégustation est considérée comme un prolongement de l’activité ostréicole et pas comme un restaurant de produits de la mer. Fin 2021, le Comité national de la conchyliculture a adopté à la quasi-unanimité une charte valable sur l’ensemble du territoire. La dégustation se caractérise par la consommation de produits crus ou cuits et préparés à la demande. Elle doit rester une activité secondaire, soit maximum 49 % du chiffre d’affaires global de l’ostréiculteur. Si des huîtres viennent d’un autre bassin, elles doivent être clairement signalées. Des plats et boissons complémentaires et de substitution peuvent être vendus – crevettes, langoustines, etc. Ce sont les arrêtés préfectoraux qui les définissent.
Julie LALLOUËT-GEFFROY