En Rouget Noir, poissonnerie mobile à Daoulas

Le 24/06/2024 à 9:00 par La rédaction

Après une pause d’une dizaine d’années, Ophélie Bonetti, finistérienne d’adoption, est revenue à son premier métier de poissonnière mais en lançant son propre commerce mobile en août 2023, sur un mode alternatif audacieux, avec très peu de moyens.

 

« Ophélie, vous me ferez un rôti de lieu jaune pour sept, pour samedi prochain ? Il était extra la semaine dernière ! », s’exclame Mme Kermarec, une septuagénaire très élégante, sur la place Saint-Yves, en plein bourg de Logonna-Daoulas. Le soleil est enfin de la partie dans le Finistère ce 13 avril, après un hiver des plus arrosés, interminable.

Aussi, les clients arborent un grand sourire sur le modeste marché de cette commune côtière au sud de Brest et prennent le temps de « conchenner » (bavarder) dans la file d’attente, devant la remorque siglée « En Rouget Noir ». Les plus jeunes tutoient la jeune femme de 35 ans, qui s’active derrière l’étal, comme s’ils la connaissaient depuis l’enfance. Pourtant, Ophélie Bonetti n’a débuté son activité de poissonnerie mobile que depuis le 16 août 2023, après plus d’un an et demi de montage administratif en étant alors au RSA (revenu de solidarité active).

Du mercredi au samedi, elle sillonne les petites communes de la presqu’île de Daoulas, où elle réside. Plouedern, Saint-Urbain, Logonna et la ferme du Meot à Loperhet (un mercredi sur deux). Elle peut aussi participer à des évènements ponctuels, comme la veille au marché de printemps de la ferme de Kervilavel, à Plougastel, « tiers-lieux nourrissier », où elle dispose d’un petit labo pour fileter ses poissons entiers et préparer ses produits traiteur, comme ce samedi avec ses rillettes de maquereau à la crème du Meot et ses poêlées lotte-cabillaud aux légumes de saison du Meot (24 euros seulement les deux références).

Ce cabillaud provient non pas de l’import mais des deux criées où elle s’approvisionne, surtout via Internet, de Brest ou d’Audierne, de ligneurs et fileyeurs côtiers ou à la rigueur quelques belles pièces de l’Anthémis, le chalutier hauturier de Saint-Quay, lancé en pleine crise sanitaire, en 2020, qui vend à Brest une fois par semaine (poisson des dernières 48 heures à part). Elle travaille aussi avec quelques côtiers en direct, comme le Dishual d’Erwan Le Guillou, à Loctudy, pour des araignées de casier, de magnifiques grosses vieilles ou du grondin perlon, espèces largement sous-estimées qu’Ophélie a plaisir à mettre en avant, permettant de proposer de beaux filets (sans arêtes !) à moins de 20 euros/kg.

Sur l’étal, vous chercherez en vain du saumon, des filets de gadidés d’import ou des bars et dorades d’aquaculture. Pas l’ombre non plus de crevettes tropicales cuites, si ce n’est un peu de vannamei nantaises de Lisaqua, incorporées en brochette. Le pari économique de faire tourner sa petite poissonnerie mobile avec seulement du frais, local et sauvage, certes sans frais ni emprunts importants, n’est pas encore gagné, mais il est bien engagé, grâce au travail acharné d’Ophélie.

 

Revenir à la poissonnerie autrement

« Fais voir tes mains ? Tu sais compter ? Tu peux venir à 5 heures ? » L’entretien d’embauche fut bref… Dès ses 16 ans, Ophélie Bonetti, fille de brocanteurs de Meaux, a commencé à donner un coup de main (jugée apte !) les samedis et dimanches matin à la poissonnerie des halles. Les marchands de vêtements, d’abord sollicités, n’avaient rien pour elle, à sa grande déception.

Le passage à l’âge adulte est rude, mais quelle fierté d’aller au café du marché en bottes, le travail, exténuant, achevé. Et la découverte des produits de la mer frais, certains vivants, délicats à travailler, est une révélation. Ainsi, quand elle doit abréger ses études et devenir autonome financièrement dès ses 18 ans, elle sera, pendant quelques années, employée au rayon marée du Leclerc de Clichy, puis de l’Intermarché de Buch, où le chef, aussi bienveillant qu’expérimenté, lui apprend beaucoup. Mais elle veut bouger, voir d’autres régions et va trouver du travail dans différentes poissonneries, dites « artisanales », avec un excellent souvenir à Nantes, à Ambérieu (où elle fait un stage avec le MOF Jean-Luc Vianney) et d’autres expériences qui finissent par l’ennuyer, à vendre tout le temps les sempiternelles mêmes références d’import…

La vie (et l’amour) la portent alors dans le Finistère, où elle embarque comme matelote et cuisinière (son autre passion) sur le voilier d’insertion Rara Avis, de l’association du père Jaouen. Entre deux manœuvres, elle régale l’équipage de 38 bouches. À terre, établie à Daoulas, elle devient aussi maçonne traditionnelle sur des chantiers de rénovation et avec un revenu aléatoire. Mais l’idée de monter sa propre poissonnerie la taraude, elle y pense en fait depuis son départ de Meaux… Seulement, son propre cahier des charges est d’une exigence que d’aucuns jugeront utopique, voire impossible à tenir : ne proposer que du poisson et des produits de la mer frais, locaux, de petite pêche, surtout d’arts dormants (ligne, casier, filet), préparés manuellement par ses soins, à des tarifs les plus abordables possible. Redoutable équation, pas complètement résolue, mais l’aventure d’En Rouget Noir n’a encore pas passé les quatre saisons d’une année. Après une pause en février (pour ne pas épuiser sa ressource, remettre en état la remorque et s’occuper de la comptabilité et de la gestion administrative), la voilà repartie sur les routes avec encore plus d’idées, plus que jamais soutenue par sa bande de potes du café de l’Ancre, à Rostiviec, fief de son crowdfunding (près de 7 000 euros levés) et ses clients, toujours plus nombreux.

 

Lionel FLAGEUL

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