Le Pôle Aquimer organisait le 10 septembre un webinaire sur le thème « L’intelligence artificielle dans la filière des produits aquatiques ». Les intervenants ont montré à quel point la liste des applications est déjà longue… et les perspectives prometteuses !
GenAI, prompts et autres tokens sont pour vous du charabia. ChatGPT vous évoque un animal de compagnie et les hallucinations un problème psychiatrique ? Pas de panique, l’intelligence artificielle générative pourrait être beaucoup plus proche de vos préoccupations que ce que vous pensez. C’est ce qu’a montré le webinaire récemment organisé par le Pôle Aquimer.
1. Les principes, les limites
« L’IA générative (lire dans l’encadré) n’est pas un outil magique, à tout faire, mais un outil de productivité », insiste Thibaud Jacquel de NWX (Normandie Web Xperts, tête de filière du numérique pour la Normandie). Ainsi, elle peut éviter l’effet « page blanche » en dégrossissant un sujet (qu’il faudra ensuite approfondir), générer des idées, mettre de l’ordre dans un document déstructuré, manipuler de grandes quantités de données, etc. Mais elle a aussi des limites. La première est sans doute qu’elle peut (souvent) générer de fausses informations. Autre problème : elle manque d’éthique et de transparence. Des biais ont été induits par les développeurs. La question de la protection des données et de la propriété intellectuelle est également prégnante. L’IAG se nourrit d’absolument toutes les informations à sa portée. « C’est pourquoi il faut rester généraliste dans ses demandes et ne jamais transmettre d’informations personnelles sur l’utilisateur ou d’informations sensibles pour l’entreprise : données clients, documents confidentiels, savoir-faire », insiste Thibaud Jacquel. Attention aussi, « les œuvres générées par l’IAG ne sont pas protégées par le droit de la propriété intellectuelle ». En fonction des conditions générales de vente, certaines plateformes peuvent même revendiquer des droits sur le contenu généré par l’IA. Dans tous les cas, il reste de la responsabilité de l’utilisateur de ne pas diffuser de fake news ou de contenu enfreignant les droits d’un tiers. « Il faut voir l’IAG comme un assistant et non un remplaçant, résume Thibaud Jacquel. Le contenu fourni sera toujours “moyen” et non différenciant. L’IAG ne remplace ni l’intelligence humaine, ni l’expertise et l’originalité du regard humain. »
2. Des applications dans la pêche
La puissance des algorithmes de l’IA peut volontiers être mise au service de la filière produits aquatiques. La start-up bordelaise Pontos AI s’intéresse plus particulièrement aux applications pour la pêche. « L’IA peut permettre de surveiller et gérer les stocks de poissons, d’optimiser les itinéraires de pêche ou encore d’identifier des espèces », liste Luis Diaz, son fondateur. Dans le premier cas, il s’agit d’analyser de multiples données venant à la fois des navires eux-mêmes et des satellites. Dans le deuxième, le trajet de pêche peut être optimisé en fonction de la météo, de l’emplacement des poissons et du coût du carburant. Dans le troisième cas, l’IA est un bon outil pour reconnaître les espèces, les tailles des poissons, estimer les volumes ou réduire les prises accessoires. « L’IA a un intérêt pour la pêche à la fois en termes de durabilité, d’efficacité et de sécurité », souligne Luis Diaz. De multiples technologies entrent en jeu : capteurs embarqués (radars), capteurs optiques des satellites, balises AIS, caméras IP, systèmes de gestion de données, etc. L’IA peut par exemple détecter des anomalies (navires illégaux), déterminer les conditions favorables à la pêche (optimiser les routes, identifier les zones les plus productives, améliorer les rendements et abaisser les coûts), diminuer le temps passé en mer et éviter aux marins les conditions météo dangereuses. Si les bénéfices sont évidents, il reste trois défis. La collecte de données est le nerf de la guerre : plus elles sont nombreuses et précises, meilleure sera l’efficacité. Le coût peut constituer un obstacle pour les petites entreprises de pêche. Enfin, il faut une formation et une adaptation des pêcheurs, lesquels peuvent faire preuve de réticence. « L’IA doit être vue comme un accompagnateur de voyage », résume Luis Diaz. Parmi les applications futures : modéliser des écosystèmes complexes, entraîner les capitaines dans des simulateurs de pêche ou encore tester de nouvelles techniques de pêche.
3. Dans l’aquaculture
La TPE bretonne KAMAHU s’est, elle, spécialisée dans les applications pour l’aquaculture, plus précisément les services numériques de suivi d’élevage. « Une centaine de fermes en aquaponie utilisent au quotidien notre SaaS (Software as a Service, NDLR), dont la moitié en France : élevages de truites ou de grenouilles, écloseries, fermes en aquaponie, etc. », précise Kilian Delorme. Le président de la PME ajoute que le coût reste accessible : « Environ 50 euros par mois pour une production de 50 tonnes par an. » Il explique que le machine learning IA est un bon choix dans plusieurs cas : volume énorme de données à traiter, process humain fatiguant ou ennuyeux (et donc source d’erreurs), manque de personnel qualifié ou encore en tant qu’outil d’aide à la décision (assister l’opérateur). Parmi des exemples opérationnels, Kilian Delorme cite la classification d’images (échographie, pour sexage, par exemple), la détection précoce de malformations ou de maladies, la détection d’activité anormale (notamment si les truites s’agitent dans un élevage en recirculé ou que la lumière se coupe) ou encore la détection de cages d’élevage de saumon (en analysant les images satellites). Mais la liste est bien plus longue : autogénérer des modèles de croissance en fonction du site, de la souche ou de l’aliment), opérer des tris sur la chaîne de production, améliorer la sélection génétique, etc.
4. Et la transformation
Dans la transformation, enfin, les applications sont possibles. Émilie Lachaud, du CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives) l’illustre volontiers : « Le CEA a pour mission principale le transfert technologique vers l’industrie, qu’il s’agisse aussi bien de grands groupes que de PME ou de start-up. D’ailleurs, les PME représentent 42 % de nos partenaires industriels. Et l’agroalimentaire est bien l’une de nos 10 filières structurantes, objet des travaux de recherche du CEA List. » Avec le projet de recherche européen Pick a Future, le CEA List a ainsi développé et testé une solution de préhension robotique pour le tri automatique de poissons frais. Le CEA List a mis en œuvre ses technologies de préhension couplées à des solutions de vision 3D pour pouvoir saisir le poisson quel que soit sa configuration. Un autre projet, développé avec Guelt et Siemens, a permis de développer le jumeau numérique immersif et interactif d’une ligne de conditionnement industriel, afin de rendre le système productif plus flexible et d’anticiper les aléas de production. Le CEA List a également contribué au projet NUTRIPERSO qui se concentre sur la nutrition personnalisée pour prévenir l’apparition de maladies chroniques. Le Pôle Aquimer devrait prochainement éditer un document de synthèse sur l’IA.
LE B.A-BA DE L'IA
IA : intelligence artificielle. Concept né dans les années 1950. Mise en œuvre technique permettant aux machines d’imiter une forme d’intelligence humaine/réelle.
GenAI ou IAG : IA générative. Elle a la particularité de générer de nouvelles données (images, textes, voix, vidéos). Exemples, apparus depuis 2022 : ChatGPT, Google Gemini, Copilot, Claude, Mistral AI, Midjourney, DALL-E, etc. Ce n’est pas un moteur de recherche. Les deux outils sont d’ailleurs complémentaires.
Token : l’IAG fonctionne selon un mode probabiliste. Pour « répondre », elle va créer les chaînes de mots les plus probables. Ou plus précisément les chaînes de tokens (« jetons » en anglais), des petites unités de base de caractères (incluant les espaces ou la ponctuation). 100 jetons correspondent environ à 75 mots.
Prompt : système de requête utilisé pour formuler une demande à l’IAG, sous forme de petit texte conversationnel.
Hallucination : les réponses de l’IAG sont toujours différentes, elles ne sont pas constantes. L’IAG peut générer des réponses fausses, appelées hallucinations.
CNN : Convolutional Neural Network, ou réseau neuronal convolutif. Type de neurones artificiels qui excellent notamment dans le traitement d’images.
Fanny ROUSSELIN-ROUVOAL