Le SNCE (Syndicat national du commerce extérieur) a invité Sébastien Metz, du cabinet Sakana Consultants, lors de sa dernière AG. Ce spécialiste de l’économie des pêches sensibilise les professionnels à la problématique du travail forcé.
PDM – Quelle est la définition du travail forcé ?
S. M. – La définition du travail forcé de l’Organisation internationale du travail (OIT) date de 1930 et a été précisée plusieurs fois depuis. Elle compte 11 critères. Certains sont faciles à identifier, comme les violences physiques. Pour d’autres c’est plus dur, comme le temps de travail ou l’isolement. La plupart des État membres de l’OIT ont ratifié les conventions 29 et 105 sur le travail forcé ou obligatoire et ont ratifié le protocole de Palerme contre la traite des êtres humains. Ils sont donc tenus de criminaliser le travail forcé mais ne le font pas tous. En 2022, l’OIT estimait à 49,6 millions le nombre d’esclaves modernes, dont la moitié correspond à de la prostitution et 17 millions relèvent du secteur privé. C’est en Asie et dans le Pacifique qu’on trouve le plus d’esclaves, soit 15,1 millions. Un esclave moderne n’est pas cher et facilement remplaçable. En 2019, une étude a montré qu’il suffisait de 90 dollars pour se procurer un esclave, quand il fallait…40 000 dollars à monnaie constante en 1850 dans les États confédérés d’Amérique du Nord.
PDM – En quoi les produits de la mer sont-ils concernés ?
S. M. – Conditions en mer dangereuses, navires opérant dans des eaux éloignées et internationales, chaînes d’approvisionnement complexes, difficultés de transparence et de traçabilité… Plusieurs paramètres sont propres au secteur. Il y a deux ans, quand j’ai commencé une étude sur le travail forcé pour le conseil consultatif marché, tout le monde me disait que c’était un non-sujet. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’article paru dans The New Yorker en octobre 2023 (« The crimes behind the seafood you eat ») a eu l’effet d’un électrochoc. On considère que 15 % des importations de l’UE pourraient être problématiques. En général ce sont des duos (une espèce + une origine) qui posent problème, comme les crevettes d’Inde, le colin d’Alaska de Russie ou le thon listao des Philippines. Il n’est pas rare de trouver des marins asiatiques qui embarquent pour trois ans, pendant lesquels ils n’ont aucun contact avec leurs familles. Mais il n’y a pas besoin d’aller aussi loin. Au Royaume-Uni, des marins indonésiens travaillent sans visa et sont payés trois ou quatre fois moins que les marins britanniques sur le même bateau. Le droit social britannique est catastrophique et beaucoup moins protecteur qu’en France.
PDM – L’Union européenne travaille à un règlement*. Que pourrait-il changer ?
S. M. – Il va clarifier certaines notions et engendrer de nouveaux mécanismes d’enquête. Le futur règlement repose sur trois points clés : une approche fondée sur la notion de risque ; une forte implication de la Commission européenne dans les enquêtes en tant qu’« autorité compétente principale » ; un principe de diligence raisonnable des opérateurs à l’égard des produits à haut risque. Concrètement, le périmètre du futur texte ne rentre pas dans le détail des entreprises. Il détermine une liste de pays à risque. C’est ensuite à chaque opérateur de s’assurer qu’il n’y a pas de travail forcé.
PDM – Comment les entreprises peuvent-elles agir concrètement ?
S. M. – Elles doivent être vigilantes sur leur sourcing : procéder à une analyse du risque, s’assurer d’une bonne traçabilité et faire appel à des contrôles tiers (audits). Il existe plusieurs initiatives privées pour les analyses de risques : RISE (Roadmap for Improving Seafood Ethics), SRA (Social Responsability Assessment), SSRT (Seafood Social Risk Tool), OSA (Onboard Social Accountability), Fishery Progress ou RST (Responsible Sourcing Tool).
Les 11 indicateurs de travail forcé de l’OIT
- Abus de vulnérabilité
- Tromperie
- Restriction de mouvements
- Isolement
- Violences physiques et sexuelles
- Intimidations et menacessti
- Rétention des documents d’identité
- Servitude pour dettes
- Non versement des salaires
- Conditions de travail abusives
- Temps de travail excessif
Propos recueillis par Fanny ROUSSELIN-ROUSVOAL