Poisson blanc : les cartes sont rebattues

Le 12/03/2025 à 15:12 par La rédaction

Le prix très élevé du cabillaud et la tension géopolitique sur le colin d’Alaska poussent les opérateurs français et européens à revoir leur stratégie et les consommateurs à adapter leurs achats. Ces nouveaux arbitrages transforment le marché des poissons blancs.

 

Les poissons blancs regroupent les poissons maigres, sauvages et démersaux. Le cabillaud est la star de ce groupe en frais et en surgelé, où se distingue également le colin d’Alaska. De nombreuses autres espèces y figurent : églefin, merlu, merlan, lieu noir, lieu jaune, tacaud, hoki, etc. Le cabillaud est un incontournable de la consommation des ménages mais il connaît une baisse continue de consommation en frais, – 7 % en volume en 2023 d’après France AgriMer. Entre 2018 et 2023, la chute représente presque 50 %. En cause, une augmentation du prix spectaculaire : à 15,90 euros/kg en frais en 2018, il est monté à 17,80 euros/kg en 2021 et à 20,90 euros/kg en 2023. En 2024, l’inflation semble avoir ralenti, selon les importateurs interrogés. « Le cabillaud reste un produit phare sur le marché du frais en France, assure Valentin Hartmann, directeur commercial d’Atlantic Fresh Europe. La demande est là, mais les clients prennent moins de risques à l’achat, c’est devenu une habitude commerciale. » Ainsi, dans les rayons surgelés de la GMS, le taux de pénétration du cabillaud nature était de 11,4 % en 2022, contre 9,4 % en 2024 avec une hausse du prix final de 20 % sur la période (chiffres Circana).

Cette inflation a plusieurs origines. Elle suit d’une part la tendance globale de la hausse des prix post-pandémie de Covid-19, tirée par la relance de l’économie américaine et européenne et par la montée du prix du pétrole et de l’énergie. D’autre part, on constate une tension sur les quotas islandais (+ 1 % sur la saison 2024-2025) et norvégiens (– 25 % en 2025), avec une hausse de la demande outre-Atlantique. « Les États-Unis absorbent beaucoup de volumes de cabillaud, appuie Valentin Hartmann. Ils mettent le prix, cela est priorisé par les producteurs. » De quoi faire monter les enchères…

Le colin d’Alaska également perturbé

Outre le cabillaud, le colin d’Alaska est plébiscité en surgelé, tiré par les marques distributeurs (MDD) et les poissons panés. Il a connu une baisse de prix en 2024, « par un phénomène de déstockage », explique Bruno Deshayes, directeur commercial de Cornic-Novamer. D’après Pierre Lucas, en charge de la branche marée d’Hudeot, les importateurs et industriels ont pu vider leurs stocks « car les Russes ont peu produit l’été 2024. En 2025, la production pour l’Europe sera limitée et la tension sur les prix est maximale ». La pêche de colin d’Alaska est dominée par la Russie (1,9 million de tonnes en 2022, FAO) et par les États-Unis (1,2 million de tonnes). La première tourne sa production vers l’export, notamment vers la Chine pour la double surgélation, alors que les Américains priorisent le marché domestique. « Ils ont besoin d’augmenter leurs prix pour être rentables à 3,50 dollars, poursuit Pierre Lucas. Et les Russes également, pour compenser leurs pertes. Ils sont rentables à 2,80 dollars mais veulent atteindre les 3,20 dollars. La GMS veut tirer les prix vers le bas, nous avons oublié le prix de la qualité. Nos clients restent très prudents. »
Depuis le 1er janvier 2024, une taxe de 13,7 % s’applique sur le colin d’Alaska en provenance de Russie. Tous les importateurs sont unanimes : il est impossible pour l’Europe de se passer de cette origine et la taxe ne fait que faire gonfler le prix. « C’est une sanction contre-productive, selon Jean-Marie Le Mentec, dirigeant d’Alpha Bay. Ceux qui sont pénalisés, ce sont les industriels qui créent de la valeur ajoutée et les États-Unis n’ont pas le volume pour répondre à la demande. Du fait de cette taxe, il est plus intéressant pour un importateur de transformer à l’étranger que de créer de la valeur en France. » Du côté de Findus, lors de l’échange avec PDM, la mention de cette taxe ne génère pas de réaction et la marque affirme avoir baissé ses prix en magasin en 2024. Difficile d’y voir clair entre les contraintes des importateurs et les prix réalisés en GMS.

Les consommateurs arbitrent

Pour faire face à ces phénomènes, « l’objectif des transformateurs et de faire tourner leurs ateliers, argumente Bruno Deshayes. Ils ont baissé le nombre de références. Mais à la fin, la clé est dans la main du consommateur. Il y a un repli des ventes mais moins fort que ce que l’inflation nous laissait craindre. Il y a des arbitrages ». Les professionnels constatent alors des reports de consommation. « En surgelé, il y a un glissement du cabillaud vers le lieu noir et du lieu noir vers le colin d’Alaska », constate Sébastien Roussel, directeur général de Direct Océan. Chez Cornic-Novamer, le lieu noir est la première espèce en volume, « et ça s’accentue, avec un quota stable et un prix plus attractif que le cabillaud. Avec le MSC, tout est réuni pour que le lieu noir tire son épingle du jeu ». À l’achat, Bruno Deshayes indique à la mi-décembre un prix de 7 à 8 euros pour du dos surgelé de lieu noir, contre 12 à 13 euros pour le cabillaud.

En frais, le lieu noir est également une alternative qui sort du lot. Si les ventes de cabillaud en volume baissent de 7 % entre 2022 et 2023, celles de lieu noir augmentent de 8,3 %. Plus impressionnant encore, l’églefin affiche une croissance volume de 39,5 %, les importateurs en frais s’en servant comme une alternative : « Nous avons impulsé les ventes sur l’églefin, explique ainsi Valentin Hartmann, d’Atlantic Fresh Europe. Il y a de plus en plus de demande, notamment de la GMS. »

Dans ce contexte, il est légitime pour la filière hexagonale de s’interroger sur les opportunités des poissons blancs locaux : merlu, merlan, lieu jaune… Mais quasiment tous affichent une décroissance des ventes en volume en 2023 : – 10,5 % pour le merlan, – 1,9 % pour la julienne, – 10,8 % pour la lotte, – 20,2 % pour le merlu ou encore – 16,5 % pour le lieu jaune. Un décrochage dû à l’inflation et aux problématiques de pouvoir d’achat mais aussi aux nombreux déréférencements en GMS et aux enseignes qui s’appuient sur les produits phares comme le cabillaud, l’églefin et le lieu noir.

 

Jean-François Rivet, gérant de VSV France, leader sur le sébaste

« Le prix a été stable toute l’année, environ 2,50 à 2,80 euros/kg. Mais le marché est en dents de scie, les ventes dépendent des opérations promo en GMS et des volumes disponibles des autres espèces. Le consommateur est focalisé sur quelques espèces comme le cabillaud ou le lieu noir, le sébaste a du mal à tirer son épingle du jeu. Depuis la crise sanitaire, mon activité a changé. Avant, je vendais 90 % de mes volumes aux mareyeurs. Aujourd’hui, je transforme 90 % en propre et vends mes filets, en partenariat avec MJ Marée. Je commercialise directement la pêche de l’armement islandais VSV, ce qui me permet d’être moins cher. Je pousse pour que le groupe investisse dans une usine en propre en France pour ne plus dépendre d’un prestataire et absorber davantage de volumes. »

 

 

Le marché victime de l’instabilité actuelle

La société française est plongée dans l’incertitude depuis des mois, voire des années. Crise sanitaire, inflation, conflit en Europe de l’Est et au Proche-Orient, et maintenant une crise politique qui suit la dissolution et la censure du gouvernement Barnier. « L’incertitude politique est une catastrophe et pèse sur la consommation », appuie Stéphane Chertier, dirigeant de Nordic Seafood. Pour Jean-Marie Le Mentec, d’Alpha Bay, cette instabilité bloque toute évolution réglementaire à Bruxelles.

Avec un regard plus positif, Sébastien Roussel, directeur général de Direct Océan, assure que « dans la période actuelle, notre métier d’importateur a encore plus de sens. Notre rôle est de sécuriser les volumes et les prix pour qu’il y ait moins d’incertitudes pour nos clients ».

 

 

Vincent SCHUMENG

 

Retrouvez l'intégralité du dossier dans le magazine Produits de la mer no 229

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