Après une fermeture de neuf mois, la poissonnerie Pupier, enseigne emblématique et historique des halles Paul-Bocuse de Lyon, a rouvert en avril 2024, sous la nouvelle appellation « Maison Pupier par Jean-Luc Vianey », du nom du MOF poissonnier écailler de la Croix-Rousse, l’un des cinq associés à l’origine de cette renaissance.
Après la cohue mondaine du cocktail évènementiel lié au Sirha, en soirée du 23 janvier, la poissonnerie Pupier a retrouvé une ambiance plus calme le samedi 25. Le Lyonnais n’étant pas très matinal pour faire ses courses le week-end, les travées commencent à s’agiter vraiment après 11 heures.
Les visiteurs qui ne seraient pas venus là depuis l’automne et l’hiver 2023 sont heureux de retrouver, à la place de rideaux de fer baissés, un commerce tout pimpant à la façade relookée, des travaux de rénovation ayant été faits en coulisse.
Derrière l’étal, face à la boucherie de la famille Trolliet (le père est MOF depuis 1986) et à la Maison Rousseau (écailler, depuis 1906), un autre MOF, Cédric Béjaoui, 52 ans, accueille désormais la clientèle de la poissonnerie, avec une équipe de jeunes salariés motivés en formation à très bonne école.
Le nom rallongé de Maison Pupier, « par Jean-Luc Vianey » se justifie par l’approvisionnement, fourni à 98 % par la Maison Vianey, poissonnerie familiale créée par les parents de Jean-Luc Vianey en 1967 à Oullins et installée boulevard de la Croix-Rousse à Lyon en 1988. On retrouve donc les mêmes origines prestigieuses dans les deux boutiques, comme ce matin-là des turbots et soles arborant les pin’s du mareyeur Les Viviers de Noirmoutier. Jego Tradition, Hervé Mareyage, FFG, Lecri Marée, les Viviers d’Audierne, Cancale Mer, Morisseau, OSO, Barthouil, Fumet des Dombes et Atelier Sö comptent parmi les autres fournisseurs réguliers, livrés aux halles par Delanchy. « J’applique une sélection en fonction des saisons, des méthodes de pêche, des stocks et des tarifs. Les prix sont fixés en fonction des cours afin d’obtenir 40 à 44 % de taux de marge », explique Jean-Luc Vianey, MOF depuis 2011, dans la même promotion que Cédric Béjaoui, son ami et désormais associé chez Pupier. Une fameuse promotion, puisqu’elle compte aussi Arnaud Vanhamme et David Gomes. Pour la partie écaille, les huîtres Gillardeau, Legris, Peponnet et une spéciale Vianey assurent le niveau.
Les prix affichés font halluciner le visiteur finistérien, habitué à des tarifs plus modérés à qualité égale chez des poissonniers qui achètent en direct en criée. Le bilan financier intermédiaire, de bon augure, indique un objectif prévisionnel dépassé de 15 %. Mais les nouveaux contrats de concession des halles, renouvelés en janvier à quelques commerces près (56), comportent une clause redoutable. À partir de janvier 2026, en plus du loyer, déjà conséquent, il faudra verser à la Ville de Lyon, propriétaire, 3 % du chiffre d’affaires HT…
Cinq associés, dont deux MOF, et la jeunesse
La Maison Pupier revient de loin, par deux fois. Elle a failli être vendue à… Gérard Depardieu en 2013, un compromis était en cours avant que l’acteur ne renonce, ayant quitté la France pour la Russie de Poutine. Convoitée, Pupier – qui avait alors la réputation d’être la plus belle poissonnerie de Rhône-Alpes – avait été rachetée en 2014 par deux quadras amis d’enfance, Florent Pugeat et Nicolas Bureau, respectivement ex-responsable des achats poisson chez Pomona Terre d’Azur et ex-propriétaire d’une entreprise de chimie verte. À la retraite, Monique Pupier, la charismatique patronne de la poissonnerie qu’elle tenait avec son frère Daniel à la suite de leurs parents, avait souhaité continuer à travailler, aux côtés des deux nouveaux propriétaires qui instaurent un fish bar.
Cela n’a hélas pas suffit. La période « gilets jaunes », la pandémie de Covid-19 et les années d’inflation et de déconsommation qui ont suivi ont été fatales au commerce, dont le chiffre d’affaires était tombé à 830 000 euros en 2020, alors qu’il était de plus d’1,3 million en 2014. Mais déjà, la croissance était en retrait depuis les 1,86 million d’euros de 2004. Au cœur de l’été 2023, en cessation de paiement depuis juin, la poissonnerie ferme, provoquant un certain désarroi au sein des halles Paul-Bocuse, fleuron de la gastronomie lyonnaise qui emploie plus de 500 personnes et a fêté son cinquantenaire en 2022.
Alors qui pour « sauver le soldat Pupier » ? Sous l’impulsion du poissonnier MOF Jean-Luc Vianey, qui sortait d’une tentative de développement au centre-ville de Lyon, infructueuse (on ne détaillera pas ici l’histoire courte et malchanceuse des nouvelles halles du Grand Hôtel-Dieu), un solide projet de reprise va se monter fin 2023. Le poissonnier du plateau lyonnais réunit un couple de promoteurs immobiliers, Marie-Michelle et Didier Caudard-Breille, nouveaux propriétaires d’un domaine dans les Dombes avec pisciculture d’étang certifiée bio (carpe, perche noire et sandre) ; le chef lyonnais Yannick Decelle, qui travaille déjà en partie avec Jean-Luc Vianey pour des prestations ; et enfin Cédric Béjaoui (à gauche sur la photo de groupe), son collègue lyonnais de promotion MOF 2011. Après quelques mouvements depuis la réouverture en avril 2024, officient maintenant sous la direction de Cédric Béjaoui trois jeunes hommes, dont Elias Maisonneuve (milieu), Hedi Fergani (droite) et un quadra expérimenté issu de l’hôtellerie-restauration, Alain Civallero.
Lionel FLAGEUL