« Je ferais tout pour du caviar », avouait Henry Kissinger, le célèbre diplomate américain. Pour les fêtes de fin 2021, il est probable que les amateurs de ces oeufs d’esturgeon non ovulés et non fécondés doivent s’attendre à une certaine pénurie, avec une offre très inférieure à la demande. Et donc des prix plus élevés que les années passées, surtout pour les meilleures références, issues d’esturgeon beluga (Huso huso), d’osciètre (Acipenser gueldenstaedtii), et d’hybride chinois (croisement Huso dauricus et schrenkii). Déjà fin 2020, une augmentation des prix de gros de + 10 % avait été constatée par les négociants européens, comme l’entreprise luxembourgeoise Gourmet Trade. Dirigée par l’Iranien Ali Motahari, elle a été l’une des premières à importer du caviar issu d’aquaculture chinoise, dès mi-2000. Aujourd’hui, elle s’approvisionne aussi en Italie – deuxième producteur mondial derrière la Chine –, en Pologne, Bulgarie, Uruguay, Allemagne, Iran, et propose bien sûr l’origine française, principalement d’Aquitaine, surtout d’Acipenser baerii, en raison d’une clientèle attachée à la production de caviar d’esturgeons nés, élevés, et préparés en France. L’association Caviar d’Aquitaine, qui regroupe quatre éleveurs du Sud-Ouest, annonce avoir produit 36 des 43 tonnes de caviar français en 2019 (troisième producteur mondial). Fin 2020, face à un marché bouleversé par la pandémie (restaurants et aéroports fermés, croisières en rade, etc.), son manifeste rappelle que « contrairement aux autres pays, les esturgeons des producteurs de l’association sont nourris avec des aliments composés de farines et huiles de poisson, de végétaux, minéraux et vitamines. Pas de PAT (protéines d’origine terrestre), ni d’OGM ». Une mention utile pour se distinguer sur un marché mondial qui peut comporter des produits aux garanties qualitatives inférieures. Mais le coût de la main-d’oeuvre demeure primordial, dans des cycles d’élevage de cinq à sept ans minimum pour le baerii, dix à douze pour l’osciètre, voire quinze à vingt ans pour le mythique beluga. Aussi, le point mort se situerait à 400 euros/kg de caviar baerii, départ ferme française, contre environ 250 euros pour du baerii chinois « sûr », issu d’élevage en zone préservée, et plutôt bien alimenté. Même avec 20 % de droits de douane pour l’entrée du caviar chinois en France, la différence reste énorme. La pandémie a bouleversé le marché mondial pour plusieurs raisons. Des éleveurs, notamment les Chinois, de peur de rester avec des stocks de caviar invendus, ont laissé passer un cycle de maturation : ils n’ont pas abattu des poissons prêts en 2020. Or, il faut attendre deux ans minimum pour une nouvelle maturation, soit un abattage au mieux en 2022. Une partie de la pénurie de 2021 est liée à cette stratégie. D’autre part, le marché intérieur chinois, longtemps limité à 5 tonnes, pour une production locale d’environ 150 tonnes en 2018 (sur 380 tonnes mondiales), a bondi à 30 tonnes, les riches chinois ayant pris goût aux grains noirs, gris ou dorés. |
Mi-septembre, une certaine incertitude existait encore quant aux volumes réellement disponibles pour les fêtes, d’autant que ce type de fret aérien demeure très perturbé. Même si des grossistes ont déjà sécurisé un peu de stock de baerii, voir d’osciètre italien d’entrée de gamme, que l’on pourra encore trouver à 10 euros les 20 grammes en GMS, des augmentations de plus de 30 %, en prix de gros, avec des volumes inférieurs à ceux de 2019 sont annoncées. Ali Motahari évoque alors un marché actuel de vendeurs, après celui d’acheteurs.
Lionel Flageul