En débat : le business parallèle des espèces braconnées

Le 14/04/2021 à 14:59 par La Rédaction

 

Espèces marines rares, convoitées, braconnées : comment déjouer les trafics illégaux ? S’assurer d’approvisionnements irréprochables ? Quelles alternatives pour se différencier ? Concombres de mer, ormeau, oursin, civelle-anguille, palourde, thon rouge… Le circuit peut être très court, du plaisancier au restaurateur du coin. Ou complexe avec des gangs organisés à l’international. Les victimes : la ressource, mais aussi les professionnels honnêtes face à cette concurrence déloyale. PDM a mené ce débat à découvrir dans le numéro d’avril-mai.  La table ronde s’est déroulée le lundi 8 mars dans les locaux du Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins (CRPMEM) de Bretagne, à Rennes. Quelques citations de nos participants.

Jacques Doudet - Secrétaire général du comité régional des pêches maritimes et des élevages marins (CRPMEM) de Bretagne. Le comité des pêches de Bretagne est engagé depuis le début des années 2000 dans la lutte contre les gros trafics d’espèces, sensibles ou pas, à travers les mesures de gestion de la pêche pour les limiter, et en se portant partie civile de façon quasi systématique dans les affaires de trafic. Jacques Doudet, déjà conseiller juridique au comité de 1999 à 2014, a suivi de nombreux dossiers devant les tribunaux. « Durant longtemps, trafiquer des produits de la mer rapportait gros, sans trop de risque. Les choses ont changé. »

Guillaume Sellier – Directeur interrégional de la mer Nord Atlantique Manche ouest (Dirm Namo). La compétence de la Dirm Namo sur cette question va de la réglementation des pêches aux plans de contrôle et à la lutte contre les trafics via des enquêtes, du renseignement. Guillaume Sellier avait auparavant travaillé sur ces questions dans le Var, et dans le Morbihan, en collaboration notamment avec la police et la gendarmerie maritimes, les professionnels de la pêche, les associations de plaisanciers et les tribunaux. « Nous avons mis l’accent sur la lutte contre le trafic et nous continuerons, afin que tous comprennent que l’administration est déterminée à agir jusqu’au bout. »

Thierry Quéméner – Président de la commission milieux estuariens et amphihalins (CMEA) au Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM). Ancien patron-pêcheur, Thierry Quéméner a navigué sur différentes mers et pratiqué quasiment tous les métiers de la pêche, à part le thon tropical sur les senneurs. Blessé il y a quatre ans, il ne pêche plus mais représente toujours la profession, par passion. En particulier la pêche à la civelle et l’anguille, qui a mauvaise presse en termes de trafic. La pêcherie avec l’administration a mené d’importantes actions pour y remédier. Mais elle remet en cause l’interdiction d’export hors Union européenne. « En quoi envoyer la civelle en Asie est plus préjudiciable à l’espèce que de la vendre en Espagne ? »

Vanessa Lhotellier, directrice commerciale des Viviers de Saint-Marc. Société basée à Saint-Quay-Portrieux, acheteur et transformateur de poisson et de coquille Saint-Jacques avec une nouvelle usine depuis 2018, Les Viviers de Saint-Marc sont d’importants acheteurs de coquille Saint-Jacques en baie de Saint-Brieuc. La société commercialise aussi l’ormeau de pêche avec des difficultés à trouver des débouchés, en raison de la concurrence déloyale des trafics.« On se retrouve sur un double marché : aujourd’hui des plaisanciers pêchent en plein jour des ormeaux et les revendent à moitié prix à la restauration. »

Olivier Canonne, responsable développement durable de Sysco France. Sysco France est née de la fusion de Davigel et Brake France, depuis trois ans. Ces sociétés ont une politique sur la durabilité des produits de la mer depuis plus d’une dizaine d’années, qui aborde notamment les espèces menacées, par exemple par la promotion d’actions sur les pêcheries. Cette démarche d’approvisionnement durable est mise en œuvre avec le soutien de deux ONG expertes partenaires : WWF France et SFP (Sustainable Fisheries Partnership).« Un point d’avenir, face aux trafics internationaux comme en France, c’est la technologie blockchain, déjà utilisée sur le saumon et le thon. »

Charlotte Nithart – Présidente de l’association Robin des Bois. Association de protection de l’Homme et de l’environnement créée en 1985, Robin des Bois est depuis 1989 observatrice à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et flore sauvages menacées d’extinction (Cites). Robin des Bois édite depuis 2013 le bulletin A la Trace, dédié à l’analyse de la contrebande d’espèces menacées. Et a écrit en 2019 un livre synthétisant ces observations, L’Atlas du business des espèces menacées (éditions Arthaud). « Les lieux de transit pour l’engraissement sont des points sensibles où le blanchiment est favorisé. »

En chiffres : juteux, le trafic mondial d’espèces menacées rapporterait environ 14 milliards d’euros par an. Selon Europol, 330 millions de civelles sont envoyées illégalement de l’Europe vers l’Asie, soit quelque 10 tonnes par an. Les prix observés par le bulletin À la Trace et l’Atlas du business des espèces menacées sont éloquents : 170 000 €/kg l’ambre gris de cachalot, des pics à 4 000 €/kg pour les concombres de mer séchés les plus recherchés, plus de 3 000 €/kg le corail rouge, 1 600 €/kg l’hippocampe séché, 1 000 à 1 500 €/kg la civelle vivante au départ vers l’Asie, 650 €/kg l’aileron de requin séché… L’ormeau frais est acheté de 12,50 à 32 €/kg au braconnier en Afrique du Sud… et revendu séché au détail à Hong Kong à 670 €/kg.

Nos intervenants sont unanimes : « La lutte contre les trafics doit se faire à tous les niveaux : enquêtes, contrôles, sanctions dissuasives, traçabilité, analyses génétiques et sensibilisation de chaque maillon, jusqu’au consommateur. »

Solène LE ROUX

Retrouvez l’intégralité du débat dans le PDM 206 d’avril-mai (6 pages), et sur ce site, en accès abonnés.

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