La dernière synthèse de marché réalisée par l’Eumofa (1) fin 2018 sur le caviar dresse un tableau précis de l’univers concurrentiel qui sévit en Europe. En moins de dix ans, les échanges internationaux ont plus que triplé en volumes sous l’effet du bond en avant de l’élevage d’esturgeon. De quelques milliers de tonnes dans les années 2000, la production aquacole mondiale d’esturgeon a grimpé au-delà des 110 000 tonnes à partir d’une petite dizaine d’espèces. L’introduction d’hybrides et le cycle de production plus court de l’esturgeon d’élevage par rapport au sauvage permettent au caviar fermier de supplanter largement celui issu de femelles sauvages. À l’horizon 2020, les prévisions de production mondiale dépassent les 500 tonnes contre 340 en 2016. Cette année-là, la Chine en produisait autour de 140 tonnes, soit plus de 40 % selon les estimations optimistes. Mais l’irruption du caviar chinois sur le marché mondial bouscule les fondamentaux et les éleveurs européens vivent une guerre des prix sans nom. « De 2011 à 2018, la boîte de baeri en tarif professionnel est passée de 500 à 200 euros/kg, l’osciètre de 750 à 350 euros. Et le beluga chute de 3 000 à 1 500 euros », observe Laurent Dulau, directeur général de Sturgeon. Face à la Chine, l’offre européenne de caviar tourne autour de 126 tonnes en 2016. Dans l’ordre, l’Italie, la France et l’Allemagne dominent à 80 % la production. Ce même trio de pays active en grande partie les échanges intracommunautaires : 58 tonnes en 2017. Soit à partir de caviar élaboré dans l’Union européenne, soit à partir de caviar importé et réexporté dans l’UE. Suivant la tendance générale, les prix moyens à l’export ont diminué de 14 % entre 2014 et 2018. Vu les écarts de prix et de qualité entre les caviars, c’est la tendance qui compte. Plus directe est la concurrence venue des pays tiers. Sur la même période, les volumes importés ont grimpé de 25 % pour atteindre 30,6 tonnes. Les prix à l’import, eux, ont dégringolé de 28 %. Près de 90 % des achats extérieurs proviennent de Chine. Très loin derrière suivent l’Uruguay et Israël. La France est le premier marché du caviar chinois, devant l’Allemagne et la Belgique. Les Français sont en effet les plus grands consommateurs mondiaux et les grandes maisons de négoce parisiennes n’hésitent pas à mettre en avant le kaluga et l’osciètre chinois ou le beluga bulgare. Que le caviar vienne aussi d'Amérique, de Grèce ou d’Italie, premier producteur européen, c’est un fait. Pour autant, le marché n’échappe pas à la tendance locavore. Une aubaine pour les producteurs français. « L’argument tricolore, et surtout l’origine Aquitaine, compte aux yeux du grand public et de plusieurs enseignes qui jouent le jeu. C’est plus compliqué en restauration, bien que les jeunes chefs viennent vers nous, soucieux d’utiliser des produits locaux », souligne Laurent Dulau, également président de l’association regroupant les quatre premiers producteurs aquitains : Sturgeon, Prunier, Moulin de la Cassadotte et L’Esturgeonnière. « Plutôt que de se faire grief, nous préférons chasser en meute sous l’égide de l’association Caviar d’Aquitaine. Notre cahier des charges, qui débouchera sur une indication géographique protégée (IGP), nous engage sur les pratiques d’élevage, l’alimentation des poissons, le refus d’utilisation d’hormones ou sur la fabrication et l’affinage du caviar. Ce travail, entamé de longue date sur le baeri, protège notre valeur ajoutée. Nos prix n’ont pas fondu comme les autres et ils rémunèrent nos efforts. » Sur les 43 tonnes de caviar produites cette année en France, 35 reviennent à l’association aquitaine. Principalement du baeri même si la part de l’osciètre augmente. « À terme, il devrait atteindre 40 % de la production au sein de l’association. » À l’export, les producteurs européens ciblent les marchés solvables, principalement les États-Unis, le Japon, les Émirats arabes unis, au total 37,3 tonnes en 2017. Même si les prix sont supérieurs au marché communautaire, la tendance est là aussi à la baisse avec 10 % de décote. Contrairement au marché outre-atlantique, où la Chine était très présente jusqu’à présent, la France a davantage misé sur la Suisse et le Japon. Étoilés, hôtels et boutiques de luxe, classe affaires des compagnies aériennes sont les clients ciblés, avec en point d’orgue les fêtes de fin d’année. Bruno VAUDOUR (1) The caviar market, production, trade and consumption in and outside the EU |
Importations européennes |