Depuis le 1e janvier, la première vente de produits de la pêche s’inscrit dans une nouvelle organisation commune de marché (OCM), elle-même partie intégrante de la politique commune de la pêche. Premier changement important, les prix de retraits de certaines espèces qui permettaient aux organisations de producteurs d’arrêter la vente et d’indemniser leurs adhérents n’existent plus. Très faibles ces dernières années avec moins de 3 % des apports, les retraits ont vécu.
Le règlement n°1379/2013 qui redéfinit le cadre de l’OCM, instaure un mécanisme de stockage, proche des reports d'hier, mais dont l’application est différente. Lorsque les cours descendent à prix dits « de déclenchement », l’OP peut congeler et reporter la première vente. Fixés par chaque pays, sur proposition des OP, ces prix de déclenchement sont 20 % inférieurs à la moyenne des trois années précédentes. Ceux en vigueur en France ont été publiés fin décembre au journal officiel. En cas de crise, Bruxelles peut soutenir le coût de stockage des OP sous certaines conditions : aucun acheteur ne s’est manifesté au prix de « déclenchement », les produits réintroduits, au plus tôt après 5 jours de stockage, se destinent à la consommation.
Fin des retraits
Mais qu’on ne se méprenne, la décision d’une OP de stocker à un moment donné suppose qu’elle ait un marché potentiel. Plusieurs exemples intéressants de transformation existent déjà en congelé et en frais : filets de sardines, dos de lieu jaune, filet de merlu … Sans oublier des espèces de petites tailles ou moins valorisées type congre ou grondin que les OP contractualisent parfois avec des fabricants de soupe. «De toute façon, le mécanisme d’aide au stockage est temporaire prévient Dominique Defrance, délégué de la filière mer à FranceAgrimer, cette participation financière de l’Union sera dégressive jusqu’en 2019, pour s’arrêter ensuite. »
Car la philosophie de l’OCM est claire : aux OP de mener leur barque en « canalisant » l’offre des adhérents pour coller au marché, autant que faire se peut. C’est dans les plans de production et de commercialisation que les organisations de pêcheurs vont expliquer leur politique de gestion de la ressource et de mise en marché. Ce dispositif clé renforçe le rôle des producteurs, tout en les obligeant à progresser en respectant les objectifs de la PCP.
En pratique, les plans seront bouclés fin février et présentés comme tel à la direction des pêches en France. De leur contenu dépendra ensuite le soutien financier de l’Union européenne. «Les taux de financement de projets éligibles pouvant aller jusqu’à 70 % en cumulant Etat, Région et Bruxelles » avance Dominique Defrance. Pour des actions d’OP aussi diverses que les contrôles internes du respect des droits de pêche, l’amélioration de la sélectivité des engins de capture, la promotion et les marques collectives ou la recherche de nouveaux marchés qui seraient difficiles d’accès pour un acheteur traditionnel.
Moins d’aides, davantage d’organisation
Ce dernier point est sensible car le système alternatif au retrait prévu par les OP avec l’achat direct en criées, suscite à la fois des interrogations et de l’espoir dans le mareyage : «Si elles interviennent sur des marchés spécifiques en toute transparence, les OP ne sont pas concurrentes. Le nouveau dispositif prévoit moins d’aide mais plus d’organisation en amont. Dans l’immédiat, beaucoup d’adhérents sont contactés par des armements pour passer des contrats » observe Gaël Michel, secrétaire général de l’Union du mareyage français (UMF). En réponse, Jacques Pichon, directeur de Pêcheur de Bretagne, première OP européenne, souligne « la concertation nécessaire avec les mareyeurs et les criées dans la gestion des interventions de l’OP. L’objectif est de garantir une concurrence loyale et transparente. En tant qu’acheteur sous criée ayant un statut particulier nous seront complémentaires des mareyeurs. »
Non mentionnées dans le règlement n °1379, les halles à marée sont pourtant les pivots de la mise en marché. La nouvelle OCM les amène à se rapprocher des OP et des mareyeurs. A la fois pour déployer des moyens informatiques et des services multiples en amont et dans la mise à disposition après la vente. Garantes de l’application du règlement contrôle de la traçabilité des produits, les 35 halles à marée françaises captent 235 000 tonnes. « C’est le lieu même où les transactions sont transparentes » revendique Yves Guirriec, président de l’association des directeurs de Halles à marée. Pour certaines, les enchères sous criées restent déterminantes. Pour d’autres, la vente en gré à gré est une alternative de vente parfois plus valorisante. Des espèces de masse telles que la sardine, le thon, le merlu, susceptibles d’une contractualisation sur une période donnée, peuvent s’enregistrer sous les halles à marée. Leur rôle reste aussi de collecter des données.
Dernier volet et non le moindre, le financement de la PCP fait l’objet d’un règlement « fleuve » sur lequel il reste encore des points durs à négocier : le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche. Parce qu’il supportera le nouveau modèle de politique des pêches, ce fameux Feamp conditionne la portée de l’OCM. Mais le flou persiste, il n’y a pas encore de répartition de buget arrêté. Plus restrictive que l’ex-Feap, la nouvelle pompe financière fontionnera, au mieux, à la fin du premier semestre. D’ici là chaque état membre doit choisir dans un immense catalogue de mesures, celles qui figureront en priorité dans un programme opérationnel. A déposer avant l’été.
B. VAUDOUR
CE QU'ILS EN PENSENT
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Jacques Pichon, « Le règlement OCM en vigueur apporte une amélioration par rapport aux textes précédents. Les organisations de producteurs ont l’obligation de progresser. En ce sens, nos plans de production doivent être ambitieux et conjuguer des objectifs de pêche durable, de revenu des producteurs et d’approvisionnement des marchés. En pratique, les plans garantiront la transparence et l’application homogène des règles. La France détient des quotas importants sur certaines espèces, c’est une richesse. À nous de bien la répartir, de contrôler l'utilisation des droits de pêche et d’explorer de nouveaux marchés sans gêner les acheteurs traditionnels. » |
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Damien Levallois, « Bien qu’on manque de recul, le nouveau cadre de mise en marché présente des aspects positifs. À condition de consulter les mareyeurs. Cela semble bien parti en Normandie et en Bretagne où se développent des contrats. Les navires sont plus à l’écoute de la demande. Il n’y a pas lieu de craindre les achats des OP sous criées si la concurrence est loyale. A priori, ce sera plus difficile de revendre un produit de stockage à perte. » |
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Dominique Defrance, « Le nouveau texte OCM responsabilise les OP et il est d’intérêt public de les aider dans ce sens. De cet effort collectif, on peut attendre des effets positifs. Plusieurs OP ont spontanément expliqué leurs projets aux mareyeurs. Qu’il s’agisse de prévisions d’apport, de prévente ou de qualité, le rapprochement est nécessaire. Le règlement Feamp qui régit le financement des mesures concrètes, sera opérationnel avant l’été. L’idée est de transférer les fonds réservés hier au retrait destruction vers des actions type études de marchés, promotion de signes de qualité ou d’écolabélisation. » |
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Yves Guirriec, « Les OP sont maintenant au cœur de la mise en marché. Cela les amène à se rapprocher des halles à marée qui gardent toute leur place. Aussi bien dans la première vente qu’au travers des services qu’elles proposent en amont : des viviers, du froid, du tri, de la formation…, et en aval pour mettre la marchandise à disposition des acheteurs. Les criées investissent également en vue d’appliquer le règlement contrôle sur la traçabilité. N’oublions pas enfin, les remontées d’information qu’elles peuvent fournir lors de promotions d’enseignes. Notre objectif prioritaire est de consolider la valeur du poisson. » |
Propos recueillis par B. VAUDOUR