La guerre entre la Russie et l’Ukraine va avoir un impact, direct et indirect, sur les produits de la mer. Échanges, énergie, matières premières : les premiers effets se font sentir, et ce n’est sans doute que le début.
Sur le marché des produits de la mer, la Russie est un producteur majeur de colin d’Alaska, exporté - le plus souvent congelé - vers l’Europe. En 2020, le pays a exporté en France 26 millions d’euros de colin d’Alaska congelé et 24 M€ de cabillaud congelé. Elle pèse ainsi 10 % des imports français de colin, et 5 % de cabillaud. Les premiers importateurs de colin et de cabillaud en France sont des pays d’Europe du nord comme le Danemark, l’Islande, la Norvège ou les Féroé. En clair, les flux en provenance de Russie sont assez faibles, et facilement remplaçables par nos partenaires européens. Plusieurs entreprises importatrices de poissons surgelés, dont du colin, nous signifient qu’elles seront impactées à la marge sur ce segment. Sur le saumon, « un petit vent de panique a soufflé sur le marché spot au début du conflit, mais cela n’a pas duré. Pour le moment, les impacts sont limités » , indique Arnaud Deleforge, dg de Marine SA, alors même que « les prix du saumon sont exceptionnellement hauts depuis 3 mois, avec des cours supérieurs à 9 ou 10 euros » . Cependant, les cartes du marché vont être rebattues. L’Ukraine est un gros importateur de saumon norvégien, tout comme la Biélorussie. Quant à la Russie, elle a fortement investi dans l’aquaculture du saumon depuis 2014, date où elle avait décidé un embargo des importations de produits de la mer norvégiens. Depuis, elle importe des juvéniles (smolts) norvégiens, pour plusieurs millions d’euros chaque année.
L’effondrement du rouble (152 roubles pour un euro le 8 mars, contre environ 85 roubles avant le déclenchement de la guerre) ampute la solvabilité des entreprises russes. Les produits de la mer que le pays importait vont donc sans doute se réorienter vers d’autres marchés. Les sanctions des Occidentaux, comme l’exclusion d’un certain nombre de banques russes du système SWIFT, vont pour leur part compliquer les exportations du pays.
Mais surtout, la guerre a des impacts indirects, faisant flamber de nombreux coûts de production déjà au plus haut depuis la crise covid : pétrole, gaz, acier… La hausse spectaculaire et alarmante du coût du carburant est une première conséquence. « Le litre de gasoil dépasse 1 €, or c’est notre principal poste de dépense », s’inquiète un membre du comité des pêches de Bretagne. Pour rappel, la Russie est un important producteur de pétrole. En réponse aux sanctions occidentales, le pays membre de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) ferme un peu les vannes et fait grimper les prix. Le 7 mars, le baril de pétrole Brent tutoie les 140 dollars, soit 33 % de plus depuis les premiers affrontements. C’est tout proche du record historique de 2008. Plusieurs analystes estiment que le prix du baril pourrait monter à 180, voire 200 dollars d’ici fin 2022 si le contexte international ne s’arrange pas. Côté gaz, la Russie est le 2 nd producteur mondial derrière les Etats-Unis et fournit 17 % du gaz consommé en France (55 % en Allemagne). Les 1 000 litres de gaz naturels s’échangent à 3 500 dollars. L’effet est moins visible pour les consommateurs, qui bénéficient jusqu’au 1 er janvier 2023 du « bouclier tarifaire » mis en place par le gouvernement à l’automne 2021 (les tarifs du gaz restent gelés à leur niveau d’octobre 2021). La hausse du coût de l’électricité est, elle, plafonnée à 4 % au moins jusqu’à l’été. Malgré ces mesures, Euler Hermes, filiale du groupe Allianz, estimait début mars que les ménages français pourraient voir leur facture d’énergie augmenter de 400 euros en 2022, pour un budget annuel de 2 800 euros (incluant gaz, électricité et carburant). De quoi faire baisser le revenu disponible des ménages de 1,5 point.
Les prix alimentaires vont eux aussi grimper. Les négociations commerciales tendues entre les acteurs de la filière alimentaire se sont conclues le 28 février sur une hausse – au minimum – de 3 % en 2022. C’est une première pour les « négos » depuis 2014. La guerre en Ukraine devrait encore renforcer la tendance. L’Ukraine est souvent surnommée « le grenier à blé de l’Europe ». La guerre va indubitablement augmenter le prix de la farine et du pain. Le pays est aussi un champion des oléagineux. Actuellement, les usines ukrainiennes qui écrasent les graines de tournesol pour en faire de l’huile sont à l’arrêt, alors que le pays compte pour la moitié des exportations mondiales d’huile de tournesol. De quoi lourdement impacter les conserveurs de poisson. « Le prix de l’huile de tournesol va être multiplié par cinq, dix, voire beaucoup plus. Cela vient d’ajouter à l’augmentation phénoménale des autres matières premières de ces derniers mois, comme l’acier ou l’énergie », s’inquiète Bertrand Pasquier, acheteur pour Connétable.
Le conflit perturbe également le transport mondial, qu’il soit maritime, aérien ou ferroviaire. Les nouvelles routes de la soie développées par la Chine sont ralenties par la guerre, en particulier le transport ferroviaire qui traverse la Russie et l’Ukraine vers l’Europe. La fermeture de l’espace aérien russe et ukrainien ralentit également le trafic, et oblige les compagnies à revoir leur plan de vol. Enfin, le transport maritime de blé est violemment touché, avec la guerre qui frappe les principales villes portuaires ukrainiennes sur la mer Noire (Odessa, Marioupol, Mykolaev et Kherson).
Imports russes en France :
Lieu d’Alaska : 9 500 tonnes, 26 millions d’euros
Cabillaud : 4 200 tonnes, 24 millions d’euros
Saumon : 1 000 tonnes, 7,8 millions d’euros
Exportations russes de produits de la mer :
1,6 million de tonnes de produits de produits de la mer, principalement surgelés.
5 milliards d’euros
67 pays clients
Sources : FranceAgriMer / Seafood Source
V. SCHUMENG et F. ROUSSELIN-ROUSVOAL