Créées en 2012, l’association à vocation interprofessionnelle France Filière Pêche et sa marque collective Pavillon France fêtent leurs 10 ans. Marion Fischer, déléguée générale, fait le point pour PDM sur le parcours accompli et sur les enjeux de la filière pour les années à venir, lesquels impliquent tant l’amont que l’aval.
PDM – Quels sont les défis actuels auxquels est confrontée la filière ?
Marion Fischer – Ces deux ans et demi ont été très rudes pour la filière. On commence à s’en sortir, mais les problématiques restent nombreuses, à tous les niveaux. Côté amont, on peut citer les difficultés de recrutement et d’attractivité de la filière pêche, les enjeux de décarbonation – à la fois pour des raisons écologiques et économiques –, le partage des espaces marins (par exemple avec le développement de l’éolien offshore) ou encore le réchauffement climatique, qui explique sans doute que certains stocks pourtant bien gérés se portent mal. Dans le golfe de Gascogne, la baisse de quotas de 36 % sur la sole est une catastrophe pour les pêcheurs, qui le vivent d’autant plus mal qu’ils avaient scrupuleusement suivi les recommandations. Par ailleurs, la pression de la société civile se fait croissante sur le bien-être animal ou sur les captures accidentelles – de dauphins par exemple. La problématique du coût du carburant est bien sûr un autre sujet d’actualité. À l’autre bout de la chaîne, tout l’enjeu est d’arriver à faire manger du poisson français aux consommateurs. Ce n’est pas une mince affaire, car ils ont du mal à sortir du sempiternel trio saumon/cabillaud/crevettes, et dans un contexte de crise du pouvoir d’achat, les espèces françaises, qui ne font pas toujours partie des produits du top 3, ne sont pas favorisées. Il y a aussi une problématique générationnelle : les jeunes sont peu enclins à acheter et à préparer un maquereau entier. Ils privilégient les barquettes en libre-service, au détriment du rayon marée traditionnel. Tout cela aboutit à une situation très difficile pour la pêche française.
PDM – Quelles solutions pour s’en sortir ?
Marion Fischer – Nous sommes à un carrefour. Il faut probablement restructurer l’offre en proposant davantage de produits faciles à préparer, soit en résumé mettre les poissons français en barquette ! Mais cela n’est pas simple à mettre en œuvre. Un mareyeur ne peut pas investir dans un outil de mise en barquette s’il n’a pas de visibilité sur les volumes et les prix. Or, c’est un sujet qu’il faut améliorer dans l’organisation de la première mise en vente, avec des ventes aux enchères qui n’offrent forcément pas cette visibilité. Tout le sujet est la collaboration entre l’amont et l’aval : structurer la filière, l’industrialiser. France Filière Pêche ne travaille par définition que sur des projets collectifs. Il faut du temps pour convaincre tout le monde.
PDM – Pouvez-vous justement nous présenter France Filière Pêche et son fonctionnement ?
Marion Fischer – L’association réunit tous les maillons de la filière française : marins pêcheurs, mareyeurs, transformateurs, grossistes, enseignes de la grande distribution et poissonniers écaillers. Elle compte 13 membres permanents et 2 membres associés, réunis autour de trois collèges : production, commerce-transformation et distribution. Toutes les décisions, quel que soit le maillon de la filière concerné, sont prises à l’unanimité par ces trois collèges. Les échanges prennent diverses formes. Un conseil d’administration se tient tous les trois mois. En parallèle, un ou deux groupes de travail se réunissent chaque mois autour d’une thématique précise, qui peut être technique, scientifique ou de communication. Il faut y ajouter des réunions « marché » toutes les semaines ou tous les 15 jours ainsi que des évènements, comme le Salon de l’agriculture ou le Fish Truck Pavillon France qui sillonne les routes à la rencontre du grand public pour soutenir les acteurs locaux et sensibiliser les consommateurs aux différentes espèces et aux engagements de la filière.
PDM – Une majorité des investissements concerne la pêche. Pourquoi ?
Marion Fischer – Une part importante de notre engagement consiste effectivement à moderniser les bateaux et les techniques de pêche, en tirant les enseignements issus de la recherche & développement. C’est un préalable indispensable à la durabilité de la pêche… et donc à la durabilité des produits de la mer ! Depuis 2012, 105 millions d’euros ont été investis pour soutenir les entreprises de pêche dans leur démarche de modernisation et d’amélioration des pratiques. France Filière Pêche participe à la modernisation de 2 300 navires chaque année et à la construction de 250 bateaux neufs. 46 % des projets de modernisation concernent les économies d’énergie, 17 % l’amélioration de la qualité des produits et 37 % permettent d’améliorer la qualité de vie et la sécurité des pêcheurs à bord. Mais aucun maillon n’est oublié. Ainsi, l’association a développé un dispositif d’aide qui a permis d’accompagner 144 entreprises de mareyage afin d’améliorer la qualité, la traçabilité ou encore l’ergonomie des postes de travail, pour un investissement total de 1,7 million d’euros.
PDM – Qu’en est-il de la recherche ?
Marion Fischer – En 10 ans, 200 projets de recherche ont été soutenus par l’association, pour un budget de 35 millions d’euros. Leurs thématiques sont diverses : 40 % des projets visent à améliorer les connaissances sur les ressources halieutiques, 32 % à réduire les impacts environnementaux et 15 % à améliorer la sélectivité des engins de pêche.
PDM – L’un de vos axes prioritaires actuellement concerne les flux de données. Pourquoi ?
Marion Fischer – Les données constituent un enjeu majeur. Il faut que l’ensemble des données qui circulent deviennent également un outil de pilotage de filière, et pas seulement quelque chose de réglementaire à envoyer à l’Administration. Dans la filière, plusieurs textes se superposent et une foule de documents circulent : réglementations, traçabilité, documents commerciaux, contrôles, etc. De nombreux échanges de données ont lieu entre les opérateurs, ou entre les opérateurs et les services de l’État et même jusqu’à l’Europe, parfois de façon quasi instantanée, parfois avec des délais plus ou moins longs. Or, actuellement, ces échanges ne sont pas optimisés. Il y a souvent rupture des flux entre amont et aval. Les outils informatiques évoluent rapidement et indépendamment, aboutissant à des formats de données différents et donc à une incompatibilité des systèmes. Le papier reste massivement utilisé, par exemple. Ces difficultés complexifient les échanges entre les opérateurs et rendent difficile la transmission d’une information de qualité jusqu’aux consommateurs.
Propos recueillis par Fanny ROUSSELIN-ROUSVOAL