Réchauffement et acidification des eaux, vagues de chaleur marines, évènements météorologiques extrêmes… La ressource halieutique est lourdement touchée par le changement climatique.
PDM – Quels sont les impacts du changement climatique sur la ressource halieutique ?
Didier Gascuel – Un effet mal connu mais majeur est le dérèglement de la croissance et de la fécondité. L’exemple le plus frappant est celui de la sardine de Méditerranée, qui est passée d’un poids moyen de 30 grammes à 10 grammes, ou encore le cas du hareng en mer du Nord. On observe également des décalages entre la période de fécondité et les périodes d’apports nutritifs dans l’écosystème, ce qui baisse le recrutement de certains stocks, comme le bar. Pour les mollusques, l’acidification décalcifie les coquilles et ralentit leur croissance. Du fait du réchauffement, les stocks se déplacent vers les pôles. Impossible de ne pas mentionner le cas de la morue, disparue des eaux bretonnes mais de plus en plus abondantes dans les eaux polaires
PDM – Quelles sont les conséquences pour la filière en aval ?
Didier Gascuel – De manière générale, la filière entre dans une période d’instabilité d’approvisionnement. Mais l’histoire de la pêche n’est qu’une histoire d’adaptation aux changements des écosystèmes. Globalement, la biomasse a déjà baissé de 5 % depuis les années 1980, et elle va baisser d’encore 5 % dans les 20 années à venir. C’est une baisse facile à compenser par la hausse du prix, mais la forte instabilité des captures va poser des problèmes de rentabilité et de prévisibilité aux entreprises. À mon avis, les pêcheries et les filières les plus diversifiées seront les plus résilientes, car les plus capables de s’adapter.
PDM – Comment la filière peut-elle réagir face à ce dérèglement ?
Didier Gascuel – L’urgence, c’est de décarboner, et donc de réduire la part du chalut. Ça ne se fera pas demain matin, mais c’est la direction que nous devons prendre. Il faut également rehausser nos normes environnementales et sortir du RMD *, qui porte une vision productiviste et non durable, car il signifie diviser les stocks par deux ou par trois par rapport à l’état vierge. On doit aussi protéger les juvéniles, et donc augmenter les tailles de capture, qui sont aujourd’hui presque toutes sous la taille de reproduction. Nous avons mené une étude qui montre que baisser les quotas et augmenter la taille de capture entraîne une meilleure santé du stock et des captures identiques à terme, mais je reconnais que la transition peut être difficile. La filière aval peut agir, avec un signal prix sur les individus les plus gros, proposer des darnes plutôt que des filets. Mais l’enjeu majeur pour elle, c’est de rehausser ses attentes environnementales
* Rendement maximum durable, la norme de gestion de la politique commune des pêches.
Propos recueillis par Vincent SCHUMENG
Avant-première en Méditerranée
L’été que nous avons traversé est exceptionnel! : sécheresse et canicules historiques, vagues de chaleur marines sans précédent… La Méditerranée a subi de plein fouet ces perturbations, avec des températures de l’eau atteignant 31 °C en juillet, 5 à 6 °C de plus que la normale. « Le thon rouge s’échappe des zones trop chaudes pour se réfugier dans des eaux plus froides et s’éloigne des zones de pêche. On a eu jusqu’à 15 jours sans capture pour les ligneurs, » déplore Bertrand Wendling, directeur de l’OP Sathoan à Sète. La chaleur de l’eau perturbe la migration et le comportement alimentaire de cette espèce emblématique. « Dans les étangs occitans, comme celui de Thau, la situation est catastrophique, avec des poissons qui pourrissent dans les filets ou qui meurent de chaleur et d’asphyxie. On observe aussi des espèces habituellement inconnues en Méditerranée, comme le poisson-lion, et une poussée de certaines espèces, comme le barracuda. »
Des perturbations qui bouleversent la filière : « On se retrouve, sur certaines périodes, incapables de répondre à la demande de nos clients de la GMS, même si on leur explique la réalité en mer. »