Alors que la période inflationniste est derrière la filière, le saumon se tient et reste le poisson préféré des Français. Il s’affiche aujourd’hui comme un produit de consommation courante, malgré une filière en crise. La truite se présente comme une alternative crédible.
Le saumon, frais et fumé confondus, reste sans conteste le produit de la mer numéro 1 dans la consommation des Français. Pour Tom Alldritt, responsable des achats de Mericq, « le saumon est un produit de grande consommation ». Le spécialiste réalise 30 % de ses ventes de saumon en GMS. Autre indicateur, dans une enseigne comme Auchan, le saumon pèse 25 % des volumes d’achats marée et 10 % du chiffre d’affaires en poissonnerie. L’écart est expliqué par la vente d’une partie des achats pour réaliser du saumon fumé sous marque distributeur (MDD). Mais alors que l’inflation est revenue à un niveau compatible avec les canons de la Banque centrale européenne, sous la barre des 2 %, tous les opérateurs s’accordent à dire que le prix reste le critère déterminant. « Quand les achats sont trop chers, nous ne communiquons pas dans nos catalogues et sur nos promotions au-delà d’un prix de vente de 10 euros/kg pour du saumon entier », déclare Charles Cousineau, leader offre poissonnerie chez Auchan. Bien que le plus dur de la période inflationniste semble être passé, certains opérateurs continuent d’en voir les effets durables. « Les deux dernières années ont été très stressantes pour les fumeurs, explique ainsi Pierre Commère, délégué industrie du poisson chez Pact’Alim. L’inflation a duré jusqu’en début 2024, avec une matière première très chère et de la difficulté à faire des promos. » Pour Thierry Mainsard, dirigeant de Necton, « l’inflation a très clairement eu un impact sur nos ventes. Pendant la crise sanitaire, les producteurs ont surstocké, ce qui les a poussés à baisser leurs prix pour vider les fermes. Mais lorsque nous sommes sortis de la période de pandémie, le marché a redémarré, les stocks se sont vidés et les producteurs ont limité la remise en eau de smolts (juvéniles, NDLR). Avec une hausse de la demande et une baisse de la production mondiale, le prix a explosé. Aujourd’hui, nous sommes à des niveaux de prix à peu près équivalent à l’avant-Covid. » Du côté de Mericq, on nuance ce que beaucoup ont appelé la « crise du saumon » : « Le saumon est l’un des produits qui ont été le moins touchés, affirme Tom Alldritt. Les volumes de vente n’ont pas baissé en proportion de l’inflation. » D’après le Norwegian Seafood Council, l’inflation cumulée en France depuis 2021 est de 22 % sur l’alimentaire, 20 % sur les produits de la mer et seulement 12 % sur le saumon. Malgré ces chiffres qui nuancent le constat, tous les intervenants ne sont pas optimistes. « La production mondiale est relativement stable, développe Samantha Molina, responsable des achats de Cornic-Novamer. Mais la demande continue d’augmenter dans les pays émergents, en Asie et au Moyen-Orient. Les prix sont très hauts et je ne pense pas que le marché retrouvera les prix d’avant crise. »
Les mortalités en Norvège
L’hiver et le printemps derniers ont été marqués par des épisodes de mortalités et par une moindre qualité des saumons de production en Norvège, du fait du WUD, un virus qui abîme la peau des saumons. Les règlements européens interdisent dans ce cas l’import de saumons entiers, qui doivent alors être filetés sur place. « Cela a pu toucher 20 à 30 % des saumons en février et mars, analyse Thomas Amblard, directeur commercial de la filiale française de Milarex. Ce qui nous intéresse, nous fumeurs, ce sont les saumons entiers pour réaliser toute la transformation. Mais cette arrivée de filets sans peau rend les achats plus difficiles et plus coûteux. » Cédric Corrue, cogérant du fumeur boulonnais éponyme, a réussi à passer entre les gouttes et à éviter les ruptures d’approvisionnement : « J’ai assuré mes volumes avec mes fournisseurs boulonnais, explique-t-il en citant par exemple Marine SAS, Direct Océan, Demarne ou encore Reynaud. Nous avons plusieurs fournisseurs pour faire face à ces difficultés d’approvisionnement. Le saumon norvégien, par exemple, a pu être plus cher que celui d’Écosse, nos fournisseurs ont adapté leurs achats et nous avons pu suivre. »
Des fêtes qui s’annoncent positives
a période festive est plus que stratégique pour le saumon fumé. Pour le géant des MDD et du premier prix Milarex, Noël 2024 s’annonce comme un bon cru : « D’après les indications volumes de mes clients, je ferai un meilleur chiffre d’affaires qu’en 2023, j’ai de nouvelles références et de nouveaux clients comme Système U », annonce avec le sourire Thomas Amblard, qui surfe sur le succès des MDD. La bonne humeur est de mise également chez Mowi France. Son directeur industriel, Franck Haberzettel, prédit « un impact de la crise du pouvoir d’achat sur le frais mais une montée en puissance sur le fumé ». Gaëlle Malonne, en charge de la marque Mowi en France, annonce « une croissance par rapport à l’année dernière sur la période des fêtes, avec une baisse de l’inflation qui tombe à pic ! ». Le géant norvégien, premier producteur mondial, annonce trois nouveaux produits en France : du bio de Norvège et d’Écosse, du saumon fumé saveur truffe et une nouvelle origine Islande. D’après Samantha Molina, qui importe du saumon congelé, « le fumé reste un pilier pour les Français en période de fêtes, c’est le produit de la mer qui a le moins souffert de la baisse de consommation ». Labeyrie Fine Foods (marques Labeyrie et Delpierre), large leader sur le saumon fumé en France, annonce également des lancements (lire dans PDM no 227 p. 82).
Malgré des perspectives plutôt bonnes, les défis restent importants sur le saumon : la segmentation aussi bien du rayon marée libre-service que du rayon traiteur, une tension sur la production en amont, la guerre des prix et la montée en puissance de la truite comme alternative crédible.
Le bio, un marché de niche ?
La société Sovintex commercialise environ 1 000 tonnes de saumon par an, la moitié de son activité. « J’assume une approche de niche », déclare son président Thomas Canetti. En effet, Sovintex travaille du saumon sauvage labellisé MSC et du saumon d’élevage labellisé AB (Agriculture biologique, ou bio). « Mon rôle d’importateur, c’est aussi d’assurer la durabilité des pêches et des élevages. Au fur et à mesure de la montée en puissance des labels, c’est devenu une demande de nos clients mais nous le faisions avant. Nous espérions qu’il y ait un potentiel commercial, mais la motivation première, c’était de promouvoir une production respectueuse. » Le bio est aujourd’hui un marché en souffrance, d’une part du fait de l’inflation et d’autre part face à la concurrence de l’ASC. « J’ai constaté que certaines enseignes déréférencent du saumon bio, mais à la marge. » D’après Thomas Canetti, le bio pèse 2 % du marché du saumon.
Vincent SCHUMENG