Brexit : le sursis...

Le 06/05/2019 à 10:31 par La Rédaction

 

Le dernier épisode de la série Brexit s’est refermé sur un nouveau délai accordé pour les négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Regards croisés sur ses conséquences dans la filière des produits de la mer.

Après près de trois années de tractations, le Brexit était initialement prévu le 29 mars, puis le 12 avril. Avant ces dates, PDM a sollicité le point de vue de trois professionnels concernés par la sortie britannique de l’Union européenne. Et le 10 avril, le Royaume-Uni a arraché un nouveau délai de négociation auprès des 27 dirigeants de l’UE, jusqu’au 31 octobre.

Élections européennes, ratification du traité de divorce, référendum, union douanière, Irlande et Écosse proeuropéennes… tous les débats restent ouverts et la cacophonie se poursuivait mi-avril au parlement britannique. Le résultat des tractations aura pourtant des conséquences concrètes sur les relations commerciales entre les deux rives de la Manche. Et cette incertitude nuit à une anticipation efficace.

En France, Magali Pecquery, directrice adjointe de la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de la région des Hauts-de-France (Draaf) a néanmoins supervisé la mise en œuvre d’un poste d’inspection frontalier (Pif) à Boulogne, avec un objectif : fluidifier les flux et réduire les temps d’attente des camions entrant en Europe.

Depuis l’Écosse, une des quatre nations constitutives du Royaume-Uni, qui s’était prononcée contre son indépendance et contre le Brexit, Anne Moseley, responsable de la société exportatrice FAO 27, estime que les futures négociations sur les droits de douane et les procédures d’exportation seront cruciales. Tandis que Karl Simpson, directeur de Simpson Fish, dont 70 % des marchandises transitent par Boulogne-sur-Mer, s’organisera pour absorber les variations de coûts liées au Brexit.

 

  Contrôle douanier et maîtrise des flux   
 

/tl_files/_media/redaction/7-Tables-rondes/2019/201905/DR_magalipecquery.jpg

 

 

Magali Pecquery,

directrice adjointe de la Direction régionale
de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt des Hauts-de-France (Draaf)

(Le poste d’inspection frontalier (Pif) de Boulogne-sur-Mer sera chargé du contrôle des produits de la mer en provenance du Royaume-Uni.)

 

« L’objectif est que l’inspection soit effectuée dès l’arrivée du camion, sans temps d’attente. Nous gardons beaucoup de souplesse pour y parvenir. »

 

 
 

Pourquoi la décision d’ouvrir un poste d’inspection frontalier (Pif) à Boulogne-sur-Mer a-t-elle été prise ?

La réglementation européenne impose de réaliser les contrôles des produits en importation au plus près de la frontière, de leur entrée sur le territoire. Ces contrôles devraient donc être effectués à la sortie des ferries ou des navettes ferroviaires qui traversent la Manche, à Dunkerque ou Calais. Mais les volumes sont très importants et nous avons été sensibilisés par les professionnels de la pêche de Boulogne-sur-Mer sur les éventuelles difficultés qui naîtraient d’un fort ralentissement des flux. D’où l’idée de déporter les camions et de faire une inspection au plus près du traitement, c’est-à-dire à Boulogne. L’Union européenne a entériné cette dérogation, mais Capécure sera l’unique poste ainsi déporté.

Quel sera son rôle précis et sera-t-il dédié à 100 % aux produits de la mer ?

Il sera effectivement dédié uniquement aux produits de la pêche importés sous toutes les formes, mais ne concerne pas ceux débarqués par des navires de pêche sur les quais.
Afin que les lots ne disparaissent pas entre leur arrivée sur le territoire et les contrôles, le passage à Capécure sera obligatoire afin d’obtenir une autorisation de circulation dans l’Union européenne. Outre le dédouanement, nous effectuerons trois types de contrôles : une vérification des documents d’importation ; un contrôle dit identitaire, qui consiste à ouvrir les camions pour vérifier la concordance document/produit ; puis un autre contrôle, physique, sanitaire, qui peut concerner les températures, l’analyse de toxines… Ce dernier est déterminé par les risques potentiels vis-à-vis des règles européennes selon l’origine des produits. Or, au moins dans un premier temps, les Britanniques continueront à suivre ces règles.
Dans l'hypothèse d'une sortie sans accord, tous les produits importés du Royaume-Uni à Boulogne seront contrôlés conformément à cette réglementation européenne. Les produits exportés le seront, pour l’instant, librement. En matière d’export, chaque pays impose sa réglementation. Ça sera donc aux Britanniques d’éventuellement mettre en place certaines exigences.

Alors que le poste n’est pas encore ouvert, une polémique quant à ses horaires a vu le jour. Que répondez-vous ?

Capécure travaille à 90 % entre 3 heures et midi. Nous avons identifié en moyenne une trentaine de camions (voire une cinquantaine en période de fêtes) qui arrivent entre 5 heures et midi. Sur ce créneau horaire, nous aurons des fonctionnaires en poste en permanence. Une dizaine d’autres camions passent en dehors de ce créneau. Et pour eux, des agents de Calais pourront se déplacer. Notre volonté est de nous adapter à la réalité que nous observerons dans les premières semaines, tout en veillant à gérer au mieux l’argent public. Au début, neuf personnes se relaieront.

Les évolutions futures des modalités du Brexit peuvent-elles remettre en cause ce poste ?

Si le Brexit est décalé de deux mois, nous serons encore mieux préparés. Les agents en formation pourront la compléter, faire des exercices à blanc… Nous mettrons ce temps à profit pour nous améliorer. Mais à ce jour (NDLR : mi-mars), notre scénario est d’être prêt.

La grande peur des professionnels porte sur le ralentissement des flux. Quelles garanties pouvez-vous apporter sur ce point ?

Il y aura forcément un ralentissement puisqu’il y aura une nouvelle étape dans les flux. Mais l’objectif est que l’inspection soit effectuée dès l’arrivée du camion, sans temps d’attente. Nous gardons beaucoup de souplesse pour y parvenir et nous avons de très bonnes relations de travail avec les professionnels.

Propos recueillis par Dominique GUILLOT

 

 

 

  Prendre le temps de négocier   
 

/tl_files/_media/redaction/7-Tables-rondes/2019/201905/LF_Anne-Moseley.jpg

 

 

Anne Moseley,

directrice générale de FAO 27

(FAO 27, basée en Écosse, commercialise en Europe, depuis une vingtaine d’années, une large gamme de produits de la mer écossais (divers poissons et crustacés, saumon et truite d’élevage).

 

« La négociation sur les droits
de douane et les procédures d’exportation sera la clé. »

 

 
 

Quel est votre sentiment, en tant qu’actrice de la filière mer, face aux nombreux épisodes du Brexit ?

Nous avons longtemps laissé les politiques faire et attendu de voir ce qui allait se passer. Au fond, personne ne croit au no deal, à une sortie fracassante de l’Union européenne. À partir du moment où il y aura un accord de sortie négociée et votée, nous aurons alors deux années devant nous. Le backstop avec l’Irlande restant un point essentiel des futures discussions. Si nous étions sortis brutalement le 29 mars, nous aurions mis les bateaux à quai pendant trois semaines. Nous n’étions pas prêts, ni le gouvernement. Aucun système informatique centralisé n’existait.

Rencontrez-vous des problèmes particuliers dans vos relations commerciales avec les pays européens à l’approche de l’échéance ?

Rien n’a changé au niveau des échanges commerciaux à l’export. C’est en fait plus compliqué pour le développement de notre entreprise. Nous devons, par exemple, faire évoluer notre système informatique. Mais les choix potentiels ne sont pas les mêmes selon la direction que prendra notre sortie de l’Union européenne. Donc nous attendons. Je viens aussi de recruter une assistante qui est allemande, et je ne sais pas dans quelles conditions elle pourra rester !
Aujourd’hui, nos clients veulent avant tout s’assurer que nous allons pouvoir continuer à travailler ensemble. Beaucoup de Français nous ont déjà envoyé leur numéro de douane. On a parfois l’impression que le continent est plus prêt que nous. Mais beaucoup de pays ne nous en parle même pas.

Et que pensez-vous qu’il soit important de négocier dans les années à venir ?

Il faut d’abord savoir si nous restons dans le marché commun. Et sinon, négocier l’exemption de droits de douane et la réduction des certifications obligatoires. Un certificat de capture, comme pour la Norvège ou l’Irlande, nous aurons du mal à y couper. Mais d’autres, sur l’origine ou sanitaires, ne constitueraient que des frais en plus. La gestion de la pêche, les quotas… tout cela se mettra par contre en œuvre plus facilement. Même si nous serons sans doute, comme la Norvège ou les Féroé, soumis à des accords spécifiques.

La filière est-elle prête à mener ces négociations ?

Il n’existe pas aujourd’hui de travail de filière. Nous étions plus ouverts il y a quelques années, avec des organismes collectifs plus présents. On peut parfois penser que les gros opérateurs, bien implantés en Europe et disposant éventuellement de leur propre flottille de camions, espèrent tirer leur épingle du jeu en étant mieux armés que les petits pour faire face aux futures complications de l’export. Et dans ce cas, ils ne souhaitent pas forcément partager des informations pour se préparer.

En termes de logistique, n’y aura-t-il pas de nouvelles routes vers le continent à dessiner ?

Nous avons regardé, à l’est vers Ostende, ou à l’ouest vers la Bretagne. Mais, à moins d’évolutions majeures au cours des deux années de négociation, cela ne fait qu’ajouter un jour pour la logistique du frais. Boulogne restera le hub européen et le dédouanement s’y fera. Normalement, les documents produits au départ seront transmis automatiquement aux douanes françaises. Et pour peu que le chantier d’une criée électronique à Peterhead soit remis sur les rails, la logistique globale pourrait y gagner.

Les entreprises sont-elles accompagnées par les autorités ?

Au niveau de l’Écosse et de la Grande-Bretagne, quelques aides sont proposées, particulièrement pour accompagner les mutations informatiques, acheter de nouveaux logiciels ou assurer de la formation.

Propos recueillis par Dominique GUILLOT

 

 

 

  « Nous sommes prêts »
 
 

/tl_files/_media/redaction/7-Tables-rondes/2019/201905/DR_Karl-Simpson.jpg

 

Karl Simpson,

directeur de Simpson Fish, dans la région des Shetland, en Écosse.

(Simpson Fish est une entreprise familliale représentée en France par la société Interseafood. )

 

« J’ai voté pour rester dans l’UE mais aujourd’hui nous sommes prêts, autant le faire. »

 

 
 

Comment les mareyeurs écossais se préparent-ils au Brexit ?

Nous n’aurions jamais pensé nous retrouver dans ce genre de situation à cette date. Nous ne savons pas ce qu’il va se passer, personne ne le sait. Je dirais qu’il y a 60 % de chances pour que l’issue soit le no deal et 40 % de chance pour que l’on arrive à négocier une sorte d’arrangement. Si rien n’est fait du côté de Bruxelles, nous allons droit vers une sortie abrupte de l’Union européenne. Je suis encore plus pessimiste qu’il y a quelques mois, Theresa May a subi une incroyable défaite. Nous nous préparons au pire, le gouvernement écossais nous aide à anticiper le no deal. Si cela arrive, nous serons prêts mais chacun dans notre coin, les mareyeurs et négociants ne travaillent pas ensemble sur cette question. Chacun gère à sa manière.
 
Qu’impliquerait un no deal pour votre activité ?

De la paperasse. L’administratif est la partie qui va évoluer. Nous devons mettre en place des attestations vétérinaires, des certifications pour les douanes… Nous sommes déjà en train de préparer tous ces papiers en amont pour ne pas être pris de court si demain l’Union européenne ferme ses frontières. Dans les Shetland, entre 20 et 50 % de l’activité de pêche est destinée à l’export en Europe. Chez Simpson Fish, c’est près de 40 % de notre chiffre affaires annuel et la France est notre plus gros client. Nous ne pouvons et ne voulons pas perdre ce marché que nous connaissons bien. Nous allons réorganiser nos procédures, cela demande beaucoup de travail supplémentaire. Je vais certainement devoir embaucher une personne en plus mais ce n’est pas si grave. Je ne vois pas de problème insurmontable, nous allons continuer de faire des échanges avec la France. Notre seule surprise pourrait être si les Français bloquent les importations ou la frontière. 70 % de nos marchandises transitent par Boulogne-sur-Mer.

Et quel serait l'impact sur le coût des produits de la mer exportés ?

C’est très dur de prévoir. Nos clients français ne seront pas impactés par les prix. Les cours varient tout le temps mais à part ça, il ne devrait pas y avoir de forte hausse. Il y aura peut-être quelques manques de matière première si les pêcheurs britanniques n’ont plus accès aux eaux européennes. En cas de fermeture des frontières, chaque espèce sera taxée différemment. Le coût de ces taxes aux frontières sera déduit de la marge des pêcheurs. Nous ferons en sorte d’absorber au maximum les variations de coût liées au Brexit. Mes clients attendent de moi qu’il n’y ait aucun problème sur les livraisons, peu importe la marchandise.

Les pro-Brexit regrettent‑ils leur vote à l’heure actuelle ?

Les pêcheurs écossais ont massivement voté en faveur du Brexit et ils n’ont pas changé d’avis. Ce qu’ils veulent, c’est plus de liberté vis-à-vis de la pêche, de ne pas se faire dicter les quotas, les méthodes et les zones de pêche par Bruxelles. Il y aura probablement une baisse des cours en criée mais ils espèrent compenser avec davantage de volumes. Les pro-Brexit pensent qu’il faut réduire la taille de la Commission européenne et surtout que cette dernière soit moins invasive. L’UE doit être réformée et je pense que nous aurions dû rester pour participer et aider à cette reconstruction. Nous n’avons rien contre les pays européens individuellement, ni contre les citoyens de l’UE, notre problème concerne les politiques de Bruxelles. Certains Britanniques qui ont voté contre le Brexit sont même en train de changer d’avis. Personnellement, j’ai voté pour rester dans l’Union européenne et aujourd’hui je me dis : nous sommes prêts, autant le faire.

Propos recueillis par Guillaume JORIS

 

 

  • Facebook
  • Twitter
  • LinkedIn
  • More Networks
Copy link
Powered by Social Snap