Dessine-moi un poisson !

Le 06/12/2018 à 9:36 par La Rédaction

 

Quarante-huit heures pour imaginer des solutions rendant « attractive la consommation de produits de la mer issus de la pêche française auprès d’une cible peu habituée à en consommer, n’ayant pas le savoir-faire culinaire ». Voilà le défi lancé par France Filière Pêche à quinze étudiants. Les prix de ce Food Hackathon ont été remis lors du Salon international de l’alimentation (Sial) qui s’est tenu du 21 au 25 octobre à Paris. Des idées jeunes, à étudier pour séduire la nouvelle génération.

Nous n’avions aucune idée du thème qui nous serait attribué », raconte Claire Poudroux, étudiante à Agrosup Dijon. « Il y a eu un tirage au sort pour savoir pour quelle interprofession nous allions travailler, poursuit Pauline Masson, étudiante à Oniris, école vétérinaire et agroalimentaire de Nantes. Entre viande, fruits et légumes et poisson, le poisson était mon second choix, après les fruits et légumes. J’ai grandi dans le Jura où l’accès aux produits de la mer est limité, je ne sais pas trop comment les cuisiner. » Un peu réservés au départ par le défi de France Filière Pêche, les quinze étudiants se sont plongés par équipes de cinq dans un marathon de créativité. « Au fond, la problématique posée nous concerne pleinement. On mange peu de poisson dont l’image est celle d’un produit compliqué, cher, pas sexy et difficile à cuisiner », avoue Élise Potet, étudiante à l’EBI, l’École de biologie industrielle.

Enfermés pendant 48 heures dans les locaux d’AgroParisTech, sensibilisés aux enjeux du secteur par France Filière Pêche, ces étudiants, qui ne se connaissaient pas, ont uni leurs savoirs et compétences en marketing, agroalimentaire, technologie, recherche et développement. Objectif : imaginer, quitte à casser les codes, des solutions pour s’assurer que les produits de la mer auront une place dans l’alimentation de demain.
Dans chaque quintet, trois idées de produits ou services ont été approfondies. Un jury composé d’acteurs de la filière est venu spécialement au Sial pour écouter ces présentations de 30 minutes et remettre trois prix : celui de l’innovation, de la faisabilité et le coup de cœur.

« C’était un moment de surprise et d’enthousiasme, avoue Hubert Carré, directeur général du Comité national des pêches, membre du jury. Des idées comme la Bombe gourmande, c’est explosif pour des gens qui 48 heures plus tôt ne connaissaient rien au poisson. » Gaëtan de Lamberterie, directeur marée de Carrefour et vice-président de France Filière Pêche révèle, en coulisse de la remise des prix : « Mon coup de cœur, c’est la Bombe gourmande, même si je reste un peu sceptique sur la faisabilité. Je trouve formidable, dans ce Food Hackathon, de voir émerger toutes ces idées neuves. On se rend compte aussi à quel point les produits bruts n’inspirent pas les jeunes. Un minimum de transformation s’impose. »

Autre membre du jury, Jérôme Lafon, délégué de la filière pêche et aquaculture au sein de FranceAgriMer, s’amuse de « la révolution proposée au rayon marée par certains », mais avoue que « si des idées, comme le steak de poisson notamment, ont déjà été tentées sans rencontrer de succès, d’autres comme les lamelles de poisson O’bout de la ligne, qui ont remporté le prix de la faisabilité, sont très malignes. On se demande même pourquoi on n’y a pas pensé plus tôt » !

De son côté, Caroline Morlot, responsable marketing et communication de France Filière Pêche, aimerait bien que « la filière s’empare de certaines de ces idées, les adapte, les transforme en prototypes ». Le cri du cœur lancé par l’équipe ayant remporté le prix coup de cœur pour sa proposition de partenariat entre France Filière Pêche et la restauration collective l’a particulièrement touchée. « Ce projet est une réponse à des traumatismes d’enfance vécus par certains étudiants. Il doit nous inspirer. Jusqu’à présent, la marque Pavillon France n’a pas beaucoup travaillé le segment de la restauration collective. Il est urgent de changer ça ! », indique la jeune trentenaire. Elle signale qu’en collaboration avec le Comité interprofessionnel des produits d’aquaculture et le Comité national de la conchyliculture, un dossier Feamp a été présenté pour travailler cette cible. « Nous verrons si le projet est accepté. Nous avons conscience qu’introduire la diversité des produits aquatiques français dans les cantines au vu des contraintes budgétaires n’est pas facile. Mais de jolies initiatives portées par des mareyeurs, à Lorient ou à Boulogne, prouvent que c’est possible. »

Étonnamment pourtant, ce prix coup de cœur du jury était peut-être l’un des plus sages imaginé par cette équipe qui a concentré ses efforts sur les circuits de distribution du poisson. « Même si je ne suis pas un gros consommateur de produits de la mer, j’ai conscience que l’offre est déjà large, justifie Hubert Vercken, étudiant de 23 ans à l’Essec, école de commerce située à Cergy (Val-d’Oise). Par contre, comme beaucoup de jeunes, je ne vais pas en poissonnerie et ne passe même pas dans les rayons marée des grandes surfaces. Ils ne donnent pas envie. Notre idée a donc été d’explorer des solutions pour reconnecter les millenials avec le poisson. » En commençant par remplacer les rayons marée par des bars à poissons, dotés d’un design plus moderne. Fini les couleurs bleu piscine, les éclairages industriels et froids et les informations peu accessibles ! Vive le mobilier chaleureux, pourquoi pas avec du bois. Mais surtout avec trois zones bien définies, devant lesquelles une borne tactile servirait de coach au client, en donnant des idées de recettes bien sûr, mais aussi des informations nutritionnelles et l’histoire des poissons. Sur la première zone, les poissons bruts, entiers et d’origine française seraient exposés ; les découpes et produits traiteurs occuperaient la deuxième zone, tandis que la troisième serait dédiée à un espace cuisine. Crucial pour faire goûter des poissons cuisinés et commercialiser des plats à emporter.

Une idée bien dans l’air du temps. Elle évoque, dans une certaine mesure, le concept de Sainsbury’s, au Royaume-Uni, où les Britanniques peuvent choisir leur poisson et leur sauce, ou encore celui du bar à papillotes d’Auchan. Mais le projet va plus loin et s’inspire des espaces cuisine mis en place par certains hypers, proposant parfois des ateliers et des shows culinaires. Ou encore du Comptoir Sapmer implanté à Concarneau. Il faut tout faire « pour mettre l’iode à la bouche » des jeunes consommateurs. Le slogan vient du nouveau concept de Picard, plus chaleureux, testé à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine).

Pour le mettre en œuvre, l’équipe d’étudiants ayant remporté le prix de la faisabilité a proposé un fishboat : « Un foodtruck en forme de bateau, qui proposerait brochettes, émincés, sandwichs et barquettes à base de poissons de nos côtes », détaille Domitille Chassaigne, étudiante à Oniris. Et ce n’est pas Caroline Morlot qui la contredira sur l’intérêt des foodtrucks pour initier les jeunes – et moins jeunes – aux produits de la mer. La balade estivale du camion-cuisine aux couleurs de Pavillon France a fait ses preuves. Pour la responsable marketing et communication de France Filière Pêche, pas de doute : « Faire goûter les produits est toujours un premier pas vers la vente. Les animations techniques où, à la plancha ou au micro-ondes, on prépare les espèces de nos côtes en magasin sont bénéfiques à toutes les enseignes. »

Plus de chaleur, mais surtout plus de fun et de ludique. Voilà ce que les futurs ingénieurs agro ou responsable R & D espèrent voir apparaître dans les offres de produits de la mer de demain. Plusieurs équipes ont donc planché sur des concepts intégrant des jeux. « Dans nos box apéritives, les consommateurs pourront trouver, via une application internet, des quiz autour des poissons qu’ils dégustent. Qu’il s’agisse du rouget qu’ils grignotent en chips de filets séchés ou du grondin, tacaud ou cardine proposés en rillettes avec des crakers en forme de poissons dans la box de l’univers épicerie ou sous forme de billes aromatisées et colorées pour l’univers du frais », explique Claire Poudroux. Une idée qui pourrait faire de la concurrence aux apéricubes de l’univers fromager ! Elle a en sus le mérite d’être éducative. Toutefois, elle ne lève pas un frein majeur à la consommation du poisson dans la jeune génération : le savoir-faire culinaire. Même quand ils aiment la cuisine, ils avouent tous ne maîtriser ni la préparation, ni la cuisson des produits de la mer.

Pourquoi alors ne pas apprendre en s’amusant ? L’équipe qui a imaginé la Bombe gourmande arrive aussi avec une idée futuriste, tout droit inspirée des jeux vidéo : la cuisine augmentée. « Équipé de lunettes type HoloLens de Microsoft, l’étudiant qui veut épater sa copine suit les conseils et les gestes d’un chef qui se présenterait à lui sous la forme d’un hologramme, expliquent Anja Le Bihan et Pauline Masson, de l’Essec. Ce jeu pourrait être téléchargeable sur le site de Pavillon France ou via un QR code, et contenir des niveaux à passer. » « J’adore l’idée, s’emballe Caroline Morlot. C’est ludique, mais cela a du sens : contribuer à la formation du public. Nous devons, au sein de France Filière Pêche, voir comment nous emparer de l’idée et contribuer à mettre les nouvelles technologies au service de la filière. »

En attendant d’avoir un coach virtuel pour ouvrir les saint-jacques, fileter un saint-pierre ou parer une sole, l’équipe qui a reçu le prix coup de cœur a imaginé pour les cuisiniers amateurs le produit-service Garde la pêche. « Une box contenant des produits de la mer français, en filets frais et en dose adaptée, avec cinq ingrédients pour préparer la recette qui serait glissée dans une boîte thermoréfrigérée », explique Hubert Vercken. L’idée : pouvoir la commander, via internet, en vente unique ou sur abonnement et se la faire livrer chez soi. « Nous avons aussi imaginé la possibilité de récupérer la box dans les enseignes de proximité », souligne l’étudiant, conscient qu’il s’agit d’un marché de niche.

Le projet Garde la pêche présente quelques similitudes avec Valocéan, initié par Force Mer. « Ce système de box va certainement arriver dans le secteur des produits de la mer. Mais gare à la logistique du froid. Je crois plus à une réception en GMS qu’à une livraison à domicile », confie Caroline Morlot. Mais vu la richesse des idées apportées par les étudiants, la responsable espère que ce premier Food Hackaton auquel France Filière Pêche participe ne sera pas le dernier.

Céline ASTRUC

 

  Prix de l'innovation  
 

La bombe gourmante

Une idée d’Antoine Foulon, Pauline Masson, Margot Abdelli, Mathilde Chevret, Anja Le Bihan.

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En version salée ou sucrée, la Bombe gourmande imaginée par ce quintet d’étudiants n’est pas sans évoquer les œufs Kinder. Sauf que tout est comestible et que la surprise : c’est le poisson. « Cru avec des fruits, pour les desserts ; cuit avec des petits légumes dans une version salée », précise Anja Le Bihan. La coque, elle, est à craqueler dans la version dessert. En salé, il s’agit d’une sauce solidifiée qui fond lorsque le consommateur verse dessus un bouillon, qui vient réchauffer l’ensemble.
L’équipe imagine un emballage type boîte à œufs, dans une zone produits frais gourmets, afin de séduire ces 73 % de jeunes qui adorent essayer de nouveaux produits alimentaires.

Le regard du jury : résolument nouveau, même si la faisabilité reste à prouver.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  Prix de la faisabilité
 
 

O’bout de la ligne

Une idée d'Hamadel Ndiaye, Claire Poudroux, Élise Poutet, Domitille Chassaigne et Joanna Soares.

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Des petites tranches de poissons, de nos côtes et peu communs, marinés pour réaliser ses propres sushis, les intégrer dans une salade ou les glisser dans un sandwich, voilà une des idées qui a émergé de cette équipe qui cible ainsi les 18-35 ans. « Nous avons exploré les process, la question du transport…, indique Claire Poutroux, d’Agrosup Dijon. Les lamelles de poisson cru sont surgelées d’abord pour éviter les risques sanitaires et faciliter le transport. Mais nous imaginons une vente en marée LS, avec une DLC de dix à douze jours grâce à l’usage des hautes pressions. » Contenant douze lamelles de 3 à 5 cm, les barquettes sous vide sont dotées d’un QR code pour raconter l’histoire du mulet, de l’éperlan, du rouget ou de la barbue.

Le regard du jury : le poisson sans odeur et sans préparation. Mais pourquoi n’y avons-nous pas pensé plus tôt !.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  Le prix coup de cœur
 
 

Un partenariat France Filière Pêche et restauration collective

Une idée de Caroline Carré, Samuel Robard, Laura Salis, Camille Traore et Hubert Vercken.

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Dans cette équipe, certains ont été « traumatisés » – c’est eux qui le disent –, par le poisson à la cantine. Ils ont donc travaillé sur une idée qui permettrait de changer la donne à l’avenir en créant, avec les acteurs de la restauration collective, une dynamique de workshop, à l'aide d'ateliers collaboratifs. Coaching de grands chefs, partage de savoirs avec les mareyeurs et découverte du monde de la pêche, avec le support de France Filière Pêche, auprès du personnel de la restauration collective sont au menu de ces séances.

Le regard du jury : ce projet est sorti comme un cri du cœur issu de souvenirs d’enfance. Il nous renforce dans l’idée, au sein de France Filière Pêche, qu’il est urgent de travailler plus sur le segment hors domicile.

 
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