Depuis quelques années, le nombre de projets d’élevage de saumons avec le système aquacole en recirculation (RAS, pour Recirculating Aquaculture System) augmente en Europe. PDM dresse la liste des projets souhaitant s’implanter en France et en Belgique. Aucun n’est encore entré en phase de construction, la plupart sont dans le viseur de militants écologistes. Pour faire le point général sur les principales inquiétudes concernant ces fermes, nous avons donné la parole à des politiques, militants et chercheurs mais aussi aux porteurs de ces projets.
Les opposants aux projets
Caroline Roose, députée européenne (les Verts/ALE), siège au sein de la commission de la pêche (PECH) et de la commission du développement (DEVE) : « On parle de notre souveraineté alimentaire mais elle se fait au détriment de la sécurité nutritionnelle de pays en développement. Le saumon d’élevage se nourrit de sardinelle, pêchée au Sénégal. Il faut 17 kilogrammes de sardinelle pour 1 kilogramme de saumon, ça représente la protéine d’un Sénégalais pendant un an. La nourriture à base de soja (issue de la déforestation) ou d’insectes ne fait que décaler le problème. Je suis contre l’aquaculture. On doit plutôt informer le consommateur afin qu’il consomme les espèces moins connues.
Lucille Bellegarde, de l’association Compassion in World Farming (CIWF) : « On n’est pas opposés à l’élevage mais au système RAS pour des raisons d’impact environnemental et de bien-être animal. On alerte sur la densité du poisson dans les bassins. On préconise 10 kg/m3, soit cinq fois moins que ce qui est proposé. Par ailleurs, il n’existe pas de biosécurité parfaite, la technologie de filtration n’est pas infaillible. Le système étant fermé, le risque d’une mortalité massive est plus important que dans les élevages en mer. On reste sceptiques quant aux émissions de gaz à effet de serre et aux volumes d’eau utilisés pour rincer les animaux, par exemple. »
Denis Buhagiar, Guy Laplatine, Pierre Geneau, militants écologistes de Boulogne-sur-Mer : « Ce qui saute aux yeux dans le projet Local Océan se sont les rejets d’azote et de phosphore directement dans la mer. Ceux-ci vont polluer l’environnement ainsi que la plage, se trouvant quelques mètres plus loin. Le remaniement des sédiments pourrait avoir une incidence sur la qualité des eaux. Cela aura un impact immédiat sur le tourisme et donc sur les emplois. La ferme aquacole pourrait également nuire à des espèces animales, le projet étant localisé au sein du parc naturel marin des estuaires picards et mer d’Opale. »
Les porteurs de projets expliquent
Xavier Govare, président de Pure Salmon France : « La solidité de notre dossier est le respect des ressources en eau. Toute l’eau utilisée sera salée, prélevée dans les graviers sur le littoral à 30 mètres de profondeur. On n’utilisera pas d’eau douce de nappes phréatiques. La densité du poisson sera de 70 kg/m3, soit 7 % de biomasse et 93 % d’eau. Les études vétérinaires montrent que le bien-être commence à être questionnable à partir de 15 %. On est au double de ce qui se passe en mer car nous avons une eau sécurisée, purifiée et stabilisée tout au long de l’année, avec des niveaux de température et d’oxygénation stables et aucun prédateur provoquant le stress animal. »
Alain Treuer, président de Local Océan : « Notre projet est né d’une nécessité de répondre au manque de protéines dans le monde. On peut sauver la planète, élever un saumon de qualité dans une ferme aquacole durable et ne pas polluer l’environnement. Chaque jour, on va rejeter 16 kilogrammes de phosphore et 315 kilos d’azote. Ils seront dilués dans les 6 500 m3 d’eau rejetés. L’impact environnemental est donc pratiquement inexistant. On veut aussi minimiser la présence d’huile de poisson et de poisson même dans la nourriture et privilégier les protéines végétales issues de betterave, maïs ou blé. Aujourd’hui, la technologie nous permet d’intégrer jusqu’à 60 % de protéine végétale, qu’on mélangera avec ce dont le poisson a besoin. »
Guirec Dewavrin, enseignant, expert et consultant en productions aquacoles basé en Suisse, auteur du livre La Piscicologie, le langage secret du monde aquatique : « À l’origine, j’étais réticent mais je me suis aperçu qu’avec une maturation de l’eau et un bon pilotage de son biotope microbactérien, j’avais des meilleurs résultats au niveau de la croissance et du bien-être du poisson. Le RAS répond également au manque de foncier sur le littoral, peut être implanté près de marchés et utilise peu de volumes d’eau. En circuit fermé, je peux contrôler l’hygiène et tous les éléments pouvant générer les accidents de pathologies et de pollution. Quant aux rejets, ce sont des mines d’or. Par exemple, on pourrait optimiser le phosphore liquide en mettant en place des productions végétales. Mais
il s’agit d’un métier nouveau et on manque de connaissances. Mieux vaut débuter avec un petit projet. Les projets à 10 000 tonnes sont dangereux car ils entraînent automatiquement des levers de boucliers. Cela dit, si on pollue, on est les premiers à en mourir. On n'a le droit à aucune erreur. »
Darianna MYSZKA