Grossistes et mareyeurs, partenaires ou concurrents ?

Le 09/02/2015 à 11:59 par La Rédaction

 

Fragilisées, de plus en plus d’entreprises de mareyage indépendantes intègrent des réseaux de grossistes en quête d’experts. D’autres se lancent dans la vente en gros pour capter de la valeur ajoutée. Mais si le flou entre les métiers s’accentue, grossistes et mareyeurs ont besoin l’un de l’autre, confirment Alan Le Venec, président des mareyeurs de Concarneau, et Olivier Bigot, directeur chez Ame Haslé.

Propos recueillis par Céline ASTRUC - Photos :Thierry NECTOUX

 

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Oliver Bigot,
Directeur d'Ame Haslé

« Mon métier est avant tout de vendre
et de livrer à des clients qui ne veulent
plus réceptionner 3 ou 4 livraisons
par jour »

Alan Le Venec,
SAS Le Venec
et GPME de Concarneau

« Il faut anticiper au mieux les achats. Impossible de conserver un poisson
cinq jours au frigo en espérant le vendre. »

 

Face aux concentrations et aux défaillances dans le secteur, on peut se demander si le mareyage indépendant a un encore un avenir ou si cet avenir passe par une intégration dans un réseau de grossistes ?

Alan Le Venec : Rappelons avant tout que le mareyage est une étape intermédiaire essentielle. Les mareyeurs disposent de la connaissance des bateaux et des espèces. Ils en sont les premiers transformateurs dans des ateliers de marée proches des ports de débarque. Une proximité qui joue en faveur de la qualité des produits. Mieux vaut travailler un poisson le jour de son achat plutôt que de le charger entier dans un semi-remorque afin d’être trié, fileté, taillé, pelé et conditionné le lendemain dans un atelier lointain. Ce faisant, on limite aussi les coûts de transport. Au fond, qu’importe que les frontières entre les métiers soient floues. Les mareyeurs réalisent un travail que les grossistes n’auront pas à faire. Ils investissent dans des compétences qui leur permettent de calibrer très précisément des portions de tel ou tel poisson, en optimisant les achats, les lots. Un exercice plus complexe qu’il n’y paraît. Depuis 2014, grossistes et poissonniers sont habilités à acheter sous criée. Beaucoup appuient sur un bouton sans vraiment savoir ce qu’ils achètent.

Olivier Bigot : Malheureusement, c’est une réalité de tous les jours. Et même si pour un grossiste, on peut comprendre que l’achat soit vu comme une perte de temps, il est essentiel de se rendre régulièrement sous les criées et sur les ports pour appréhender le produit, connaître les bateaux et savoir ce qui se passe. Les acheteurs produits de la mer d’Ame Haslé doivent le faire. Même si nous avons investi dans une société de mareyage, Fraîcheur Saint-Malo, 50 % de nos volumes produits de la mer sont achetés auprès de mareyeurs indépendants. Nous avons besoin de leurs savoir-faire. En dehors des zones côtières, rares sont les personnes capables de bien travailler les produits de la mer, d’appréhender les notions de rendement.

Vous avez investi dans la marée en 1998, puis dans une société de mareyage. Pourquoi ?

O. B. : Pour offrir plus de services à nos clients et optimiser la logistique. Plus vous déposez de marchandises chez un client, plus vous amortissez les coûts de transport. Si nous ne nous étions pas diversifiés hors des fruits et légumes, Ame Haslé n’aurait pas perduré : le prix moyen d’un kilo de légumes est inférieur à 1 euro…

A. L.V. : … et celui du transport dans le frais de 1 euro le kilo !

O. B. : Et puis, mon métier, c’est avant tout de vendre. Vendre ce que nos clients veulent bien acheter et livrer sur une zone de chalandise précise. 90 % des marchandises vendues sont livrées par notre propre flotte logistique. Mais les clients, aujourd’hui, ne veulent plus réceptionner trois ou quatre livraisons par jour. C’est une perte de temps. Se diversifier s’impose, mais en s’appuyant sur des spécialistes du produit.
En 1998, l’activité marée s’est développée avec les produits des mareyeurs bretons, normands, français et européens. Nous nous sommes pourtant heurtés à une concurrence féroce, que nous n’avions pas imaginée, de la part de ces mêmes mareyeurs, surtout bretons, nos fournisseurs. Or les clients préfèrent toujours les circuits les plus directs. Cela nous a rendus plus ouverts à l’idée d’acquérir une société de mareyage quand l’opportunité s’est présentée.

A. L.V. : Je peux comprendre que les grossistes proches de la mer se lancent dans l’achat direct des produits, mais sur le reste de la France, je crois qu’il faut que chacun reste à sa place. Sans le mareyage, ce serait la fin de la pêche française. Il est nécessaire de soutenir notre métier et nos entreprises si, demain, nous ne voulons pas manger seulement du poisson d’importation ou du poisson carré. Au-delà des savoir-faire techniques, les mareyeurs jouent un rôle crucial dans la filière. Ils sont un lien fort avec les CCI, les criées, les gestionnaires de port. Ils ont créé des associations pour relancer des flottilles... Au travers de notre fédération, l’UMF, nous participons aux discussions avec la DGCCRF, la DPMA, les OP sur la question des quotas, des exigences réglementaires en matière de traçabilité… Des dossiers sur lesquels les grossistes ne sont pas consultés faute de représentants. Beaucoup souhaiteraient d’ailleurs adhérer à l’UMF. Cela montre la force et l’importance du mareyage. Nous sommes la clé de voûte de la filière. Nous sommes les seuls capables d’assurer la traçabilité, de fournir aux consommateurs les informations sur les engins de pêche, les zones de pêche. Nous faisons le tampon entre l’amont et l’aval de la filière.

 

Mais le maillon est fragile…

A. L.V. : Oui. La baisse régulière des apports, la diminution des quotas, le vieillissement de la flotte nous fragilisent et l’hiver dernier ne nous a pas aidés. Il faut s’adapter. Avant, nous achetions sous trois criées. Les débarques y étaient suffisantes. Aujourd’hui, nos volumes viennent de toutes les criées de Bretagne. Pour conserver nos exigences de qualité et de coût de transport, nous avons investi dans un atelier à Erquy. Et pour éviter que nos camions ne repartent à vide de Concarneau ou d’Erquy, nous livrons directement certains clients, notamment en collectivité, et devenons un peu grossistes, notamment pour notre offre de « poissons du jour » frais, portionnés et désarêtés, destinée aux collectivités. Cette offre nous a même permis de nouer un partenariat avec TerreAzur qui la commercialise sur le reste de la France. Eux ont pu élargir une gamme limitée au saumon, cabillaud et lieu noir avec de l’anon, du merlan, du tacaud, de la julienne. Nous, nous avons obtenu plus de visibilité sur la demande et pouvons anticiper au mieux nos achats. C’est une évolution forte du métier. Il faut acheter au plus juste. Impossible de conserver un poisson cinq jours au frigo en espérant le vendre. Il y aura toujours un bateau, ici ou ailleurs, en France ou en Europe, qui aura un beau produit à vendre moins cher.

O. B. : Quand on regarde ce qui s’est passé l’hiver dernier, nous sommes obligés d’ouvrir les zones d’approvisionnement aux autres pays d’Europe. Bien sûr, il faut 24 heures pour amener le produit, ce qui n’est pas sans impact sur sa qualité, mais cela évite le chômage technique et permet de répondre aux attentes clients. En GMS, la demande peut-être aléatoire, celle de la restauration commerciale est assujettie à la santé de l’économie, mais dans les collectivités, le poisson s’impose toute l’année. Il faut pouvoir proposer une gamme large, allant du tacaud et du griset au homard ou au cabillaud. Ce dans toutes les tailles. Si on n’y parvient pas, le congelé l’emportera.

 

Pas la viande ?

O. B. : Ce n’est pas la même concurrence.

A. L.V. : Non. Lorsqu’il y a pénurie ou que les prix montent trop, les consommateurs changent d’habitudes alimentaires. Ce mouvement, nous l’avons anticipé avec la baisse des quotas. Pour y faire face, les mareyeurs se sont ouverts à l’import et suivent les migrations du poisson. Et ce n’est pas sans incidence sur la consommation puisque les gens qui réclament de manger certains poissons comme les fraises... soit toute l’année, sont nombreux !
C’est dommage, mais pas nouveau.

O. B. : Nous devons quand même tenter de limiter les espèces proposées toute l’année en expliquant à nos clients que le respect des saisonnalités permet de concilier prix et qualité.

A. L.V. : La qualité dure et perdure !

O. B. : Et fait gagner beaucoup de parts de marché. Avec les différentes crises alimentaires, les clients sont inquiets, il faut les rassurer. Le poisson frais coûte cher et doit rester associé à un achat plaisir. En apposant notre marque sur des produits de la mer, nous nous engageons à offrir un plaisir gustatif, fruit d’un travail intelligent du produit tout au long de la filière.

A. L.V. (dans un sourire) : Le discours est bien rodé ! Mais je l’appuie. Si vous ne faites pas de qualité vous finirez par perdre des clients. Tous sont prêts à mettre 10 ou 20 centimes de plus si le calibre, la découpe, le poisson répond exactement à leurs attentes.
Vous serez peut-être un poil plus cher mais peu de gens vous feront concurrence. Faire moins, c’est prendre le risque de faire des déçus, d’essuyer des retours, etc.

O. B. : Et cela coûterait une fortune.

 

Transformer plus pour assurer sa croissance, est-ce une piste qui s’offre aux mareyeurs ? Quitte à faire du surgelé, puisqu’il peut vous faire concurrence. Après tout, le surgelé de qualité existe...

A. L.V. : Il est possible de faire du surgelé de qualité, mais l’image du surgelé ne sera jamais la même que celle du frais. Dans la restauration, le surgelé est vu comme le moyen de composer ses menus à l’avance grâce à la stabilité des prix. Nous avions été contactés pour faire du merluchon Pavillon France portionné, surgelé IQF, mais nous étions plus chers que du merluchon Pavillon France frais, forcément, et plus cher que du merluchon surgelé venu d’ailleurs. Ça n’a pas fonctionné. Aujourd’hui le marché du surgelé reste, en France, un marché de prix.

O. B. : Éventuellement cela peut passer sur des espèces nobles mais sinon…

A. L.V. : …mieux vaut tenter de saisir l’opportunité offerte par l’invitation faite aux collectivités d’utiliser plus de produits frais et locaux. À nous d’être inventif et de leur proposer des offres à un prix stable, sous l’appellation « poisson du jour » ! C’est l’espèce et non le prix qui varie. En frais, il n’y a pas de perte d’eau liée au glazing. Bien portionné et désarêté, les enfants adhèrent. Des chefs m’ont appelé pour me dire que certains demandaient du rab, et le nombre de portions qui me sont commandées a été multiplié par 4.

O. B. : Pari gagné !

A. L.V. : Aujourd’hui, il faut avoir de la visibilité, coopérer, mais aussi expérimenter pour durer. Une spécialité de la maison Le Venec. Mes parents ont largement contribué au développement du prêt à cuire, voilà 30 ans. Pour trouver des débouchés aux cardines et limande soles, ils ont eu l’idée de les peler, les étêter, les ébarber. Bref, de les présenter prêtes à cuire.

O. B. : Les produits élaborés sont effectivement de plus en plus demandés. En réalité, on se demande même si on ne devrait pas cuire les poissons pour certains. Sans plaisanter, pour s’assurer un avenir il faut innover, anticiper et surtout éviter de subir.

A. L.V. : Il est toujours possible d’innover dans le poisson, notamment dans les découpes. Après les darnes, les filets, les dos, on trouve aujourd’hui les cœurs. Un seul impératif, garantir le sans arête. C’est une norme !

O. B. : Pas un appel d’offre de cuisine centrale n’est émis sans cette condition.

A. L.V. : Seul problème : plus on investit dans la recherche et la transformation du poisson, plus son prix augmente. Le poisson le plus cher du monde se trouve en France.

O. B. : Devant le Japon ?

A. L.V. : Oui, et les prix de retrait rebaptisés prix de commercialisation par les OP bretonnes n’y sont pas pour rien. Il importe alors de chercher à valoriser le plus possible la matière première poisson, de se pencher sur les chutes de découpes. Cela passe par la recherche de molécules utiles dans les viscères, les têtes, les queues… Recherches qui peuvent ne jamais aboutir. Mais parfois, comme avec les coproduits de raie, de requins ou les têtes de lotte, on peut améliorer l’ordinaire. Comme tout mareyeur responsable, il faut conserver un peu de trésorerie pour faire face aux intempéries, mais aussi pour investir dans ses ateliers, dans ses véhicules, dans des assurances pour éviter les impayés.
Investir c’est anticiper les problèmes pour construire l’avenir, même si celui-ci dépend beaucoup de l’amont de la filière, de la quantité, de la régularité des apports et des espèces débarquées.

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