Hors-criée Faire revenir vendeurs et acheteurs dans le circuit

Le 26/07/2019 à 14:54 par La Rédaction

Les ventes hors criée se développent au détriment des halles à marée. Espoir de meilleurs prix, volonté d’échapper aux taxes ou de masquer une partie des captures, les causes esquissées sont à approfondir.
Les responsables des halles à marée sont déterminés à s’attaquer à ce fléau qui fragilise leurs structures
.

 

 

 

“ Nous privilégions deux axes : obtenir l’enregistrement
de ces ventes et mettre en place des actions pour attirer
davantage les vendeurs vers les halles à marée ”

Christophe Hamel, président de l’associataion des directeurs et responsables de halles à marée

 


Quelle est l’ampleur des ventes hors criée ?
Christophe Hamel : En criée, les ventes baissent légèrement : selon FranceAgriMer, depuis deux ans, le volume aux enchères a perdu 10 %. Mais les captures augmentent. C’est donc que les ventes directes non enregistrées dans les criées progressent. On voit bien que sur le merlu, nous faisons - 15 % en criée, je suppose qu’il est vendu à côté. Le lieu noir est vendu à 90 % de gré à gré d’après FranceAgriMer.


Justement, ces ventes ne sont pas si opaques, elles sont en partie déclarées. 62 000 tonnes de hors-criée ont été enregistrées sur Visiomer en 2018.

C.H. : Cet outil de transmission des données mis en place par l’État permet de déclarer des ventes auprès de l’administration, sans les enregistrer auprès des criées. Ce qui ne nous permet pas de récupérer la REPP (redevance d’équipement des ports de pêche). Il y a des ventes de gré à gré enregistrées en criées qui ne posent pas de souci. Et d’autres qui nous échappent, soit officielles, déclarées via Visiomer, soit cachées. Et là, nous avons un vrai manque à gagner.

Pourquoi observe-t-on cette recrudescence des ventes directes ?
C.H. : Est-ce lié au coût du passage en criée ? La REPP, destinée à l’entretien des quais, est récupérée par le port de débarquement et celui de stationnement, où le bateau va en relâche. La REPP représente environ un tiers des recettes des gestionnaires de criée. En Bretagne, nous avons harmonisé les taux à la demande de la région – hormis à Lorient, avec un système différent –, mais ça n’a pas entraîné de hausse des tarifs. La REPP est de 3 % de la valeur de la vente, payée moitié-moitié par le vendeur et l’acheteur. Le port de vente, lui, bénéficie d’une taxe sur les enchères, non harmonisée. En Cornouaille, c’est environ 3 %, selon les services rendus (glace, etc.). Cela fait donc en tout dans les 6 %. En vente directe, sans enregistrement en criée, c’est zéro… L’enjeu, ce n’est pas d’imposer la vente aux enchères, mais d’au moins récupérer la REPP pour l’usage des infrastructures.

Et en étant derrière les bateaux qui utilisent vos infrastructures sans payer de REPP ?
C.H. : Oui, nous pouvons surveiller, sauf que nous n’avons pas de pouvoir. Nous ne connaissons pas la valeur de la vente sur laquelle doit se calculer la taxe.

Les opérateurs sont-ils gagnants à court-circuiter les criées ?
C.H. : Cela reste une interrogation. Il n’y a pas d’intermédiaire, mais le prix n’est pas forcément meilleur. Pour le poisson bleu, souvent, le prix hors criée est basé sur celui proposé aux enchères. Je comprends le hors-criée pour cette pêcherie mono-espèce, avec de grosses quantités, la taille des lots en criée ne convient peut-être pas. Là, nous apportons surtout du service – glaçage, pesée, livraison – et il y a de l’enregistrement, ce n’est pas problématique. Mais globalement, notre système de vente aux enchères, de plus en plus transparent, améliore les prix. Le prix moyen augmente toujours. La mise en concurrence des acheteurs, renforcée par la mutualisation des ventes, valorise au mieux les produits des pêcheurs. Le décret de 2013 a complètement libéralisé les achats sous criée, les ouvrant à un maximum d’acteurs, ce qui a d’ailleurs fragilisé le mareyage. La mise en concurrence est optimum.

Une part de la vente directe peut aussi être liée à une volonté de masquer des captures ?
C.H. : C’est vrai. Les halles à marée sont résolument dans une démarche durable. Nous sommes proches des organisations de producteurs, des saisies sont parfois effectuées par notre intermédiaire en leur nom si leurs adhérents ne respectent pas leurs règles communes. Ça peut ne pas plaire, mais c’est aussi notre rôle.

La solution est aussi du côté des contrôles, non ?
C.H. : Tout à fait…

Quel est l’impact de ces ventes pour les halles à marée ?
C.H. : Ce qui nous inquiète, clairement, c’est que des taxes nous échappent, alors que les personnes concernées profitent de nos infrastructures. Nous avons besoin de les entretenir, nous investissons, nous modernisons les équipements de tri, de froid… Si ces ventes se développent, il y aura de moins en moins de poisson sous criée et les halles à marée risquent d’être surdimensionnées. Leur pérennité est en jeu. Notre association prône de préserver le maillage territorial afin que les pêcheurs puissent débarquer à différents endroits, mais nos structures sont fragiles. Ça se saurait si les criées étaient riches ! Une façon de nous en sortir est de récupérer la valeur de ces enregistrements. L’enjeu est fort, surtout dans le contexte du Brexit.

Il y a aussi un enjeu de transparence.
C.H. : Oui. Quid de la réglementation sanitaire, de la traçabilité, de la transparence du marché ? Nous travaillons beaucoup à la prévision des apports, avec une deuxième version de l’outil informatique Prévapport, plus ergonomique, et dans le futur, une interconnexion avec des outils de prévisions à bord des navires. Mais il y a un flou, une opacité sur ce qui se passe à côté des criées…

Quelles sont les parades envisagées ?
C.H. : Nous avons deux axes de travail : essayer d’obtenir l’enregistrement en criée, en travaillant avec les services de l’État, pour au moins récupérer la REPP sur ce qui est déclaré à Visiomer. Des demandes ont été faites dans ce sens, pour l’instant sans retour. Récupérer en criée des ventes hors criée est pourtant un axe mis en avant dans le plan de filière. Il nous paraît aussi intéressant, pour certaines espèces, d’imposer le passage sous criée. Notamment pour les coquillages : bulot, coquille Saint-Jacques… Le deuxième axe, c’est de travailler sur notre offre.

Comment peut-elle évoluer ?
C.H. : Nous devons d’abord mieux comprendre ces ventes directes. Nous allons lancer une étude pour les caractériser, cela nous aidera à définir nos actions. On doit se remettre en cause. Nous sommes prêts à nous adapter, nous ne sommes pas figés dans des pratiques. Par exemple, en Cornouaille, nous allons avancer les heures de vente car la logistique nécessite un ramassage plus tôt. Nous pouvons proposer de nouveaux services. Ainsi, nous avons mis en place des bornes de saisie sur des points de débarquement afin de faciliter les opérations des pêcheurs. Mais est-ce que ce sont les outils adaptés ?

Et côté tarifs ?
C.H. : Si c’est une question de coût, nous pouvons réfléchir à des tarifs adaptés aux nouveaux modes de commercialisation. La REPP est à repenser, peut-être avec une facturation qui ne serait plus liée à la valeur de la vente mais au service rendu pour l’usage des infrastructures ? Il faut faire évoluer le système pour avoir des redevances justes vis-à-vis de tous nos utilisateurs. Ce sont nos axes de travail pour 2019-2020 : favoriser l’enregistrement, si possible aidé par l’obligation de passage sous criée pour certaines espèces, et réfléchir à être plus attractifs, pour donner envie de revenir sous criée.

Propos recueillis par Solène LE ROUX

 

   Arnauld Manner, directeur du groupement qualité Normandie Fraîcheur Mer (NFM) à Port-en-Bessin   
 

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« Les pêcheurs sont dynamiques pour vendre eux-mêmes leurs produits. »

 

 
 

Quel regard portez-vous sur l’essor des ventes hors criée ?
 Comme dans l’agriculture, la vente directe se développe, avec une forte demande des consommateurs. Beaucoup de bateaux font les marchés, jusqu’au milieu de la France voire plus loin. Certains cachent vraisemblablement des surquotas, notamment sur la coquille Saint-Jacques, et génèrent du black ; il y a peu de contrôles. Mais c’est aussi, pour tous ceux respectant les règles, un moyen d’obtenir de meilleurs prix de vente, même s’il y a des frais à déduire. Les pêcheurs proposent des prix très compétitifs par rapport aux poissonniers, ils n’ont pas les mêmes charges de structure ni de coût d’achat. Et ils sont dynamiques, avec des camions à l’effigie du bateau, une communication sur Facebook… Ils génèrent de l’attractivité, de la valorisation.

Le marché traditionnel joue moins ce rôle d’ambassadeur ?
On le voit dans nos démarches qualité, il y a un gros déficit des mareyeurs sur la mise en avant de certains produits. Jusqu’ici, ils s’appropriaient peu la coquille Label rouge, le bulot IGP. Cela bouge désormais, parce qu’ils sont piqués au vif par leurs acheteurs qui les réclament. Ils vendent de la matière première, mais pas assez une image. NFM propose d’accompagner la traçabilité avec un étiquetage lié au bateau, mais la dynamique n’a pas pris. Ça transparaît au sein des criées : la valorisation est plus le fait de produits nobles achetés par les poissonniers, de plus en plus présents en direct. Avant, ils étaient clients des mareyeurs. La tendance est à éviter les intermédiaires : les mareyeurs, et peut-être les criées demain.

Obliger le passage sous criée vous semble-t-il pertinent ?
C’est en projet sur la coquille Saint-Jacques chez nous. Cela garantirait la transparence, mais irait à l’encontre des décisions prises pour favoriser les circuits courts, comme d’avoir donné aux bateaux la possibilité d’obtenir un agrément sanitaire d’expéditeur de coquillages. Le mareyage doit de plus en plus se contenter sous criée des espèces à gros volumes ou nécessitant plus de transformation, avec moins de valeur ajoutée. Malgré les difficultés que cela implique pour eux, le contexte politique va malheureusement plutôt dans le sens des ventes directes..

 

 

 

  Lionel Collachot, président de l’Acaap,
Association centre Atlantique des acheteurs des produits de la pêche
(340 adhérents, huit criées), PDG des Viviers de Noirmoutier
et membre des conseils portuaires de Noirmoutier et Saint-Gilles-Croix-de-Vie

 
 

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« Les centres de marée
sont des partenaires très importants.“ »

 

 
 

Pourquoi, selon vous, enregistre-t-on une baisse des ventes en criée ?
Il y a certainement un problème d’approvisionnement, mais aussi de la vente directe entre certains producteurs et revendeurs. C’est un problème récurrent, que les criées estiment à 30 % des ventes mais qui a peut-être augmenté, c’est difficile à quantifier. Nous y sommes défavorables. Il n’y a pas de problème sur le gré à gré enregistré, ce sont des volumes déclarés, plutôt stables, avec des taxes minorées, autour de 3 à 3,5 %. Pour la sardine, sur 11 tonnes pêchées, 10 partent ainsi au gré à gré vers les usiniers et mareyeurs, et 1 tonne en criée. C’est un système rodé, qui fonctionne. Les ventes aux enchères et le gré à gré enregistré procurent un revenu indispensable aux halles à marée, qui assurent un vrai contrôle. Ces ventes sont irréprochables, ce n’est pas le cas du hors-criée.

Que recouvrent ces ventes ?
Il peut s’agir de crevettes, coquilles Saint-Jacques, seiches… Notre position est claire : la cotriade – la godaille – n’est pas un problème. Mais on ne peut pas demander aux centres de marée et mareyeurs d’être rigoureux, avec tout ce que ça implique, et à côté laisser ces ventes se développer. Seuls certains marins sont concernés, plutôt des côtiers. Il ne s’agit pas de blâmer qui que ce soit, mais de les amener à jouer le jeu.

Comment les convaincre ?
Les prix sont meilleurs au niveau de la vente en criée, ils sont bien plus intéressants, même en incluant les taxes. Et cela apporte de la tranquillité sur les paiements. Pour les deux parties, vendeurs et acheteurs, c’est aussi la garantie de la traçabilité, de l’agréage qualité et l’assurance d’être au clair s’il y a des contrôles sanitaires… En tant que mareyeurs, nous sommes très satisfaits du système des criées. Il y a en plus une proximité, une vraie complicité localement. Les centres de marée sont des partenaires très importants.

Faut-il aussi obliger le passage sous criée ?
Nous y sommes favorables, pour la crevette, la saint-jacques, afin que nous soyons tous sur un pied d’égalité. Certains acheteurs objectent qu’ils doivent assurer leurs approvisionnements, mais ils peuvent passer par les contrats de gré à gré, sécurisés, et s’acquitter de la taxe préférentielle, cela fait déjà une vraie différence, en passant de 6,5 à 3,5 % de taxe. Il faut que tous ceux qui en profitent financent les structures, au sein de la filière entière. De même pour la question des achats à distance, qui étaient nécessaires, mais atteignent désormais une ampleur qui peut fragiliser le mareyage local. Notre poids économique est faible, nous avons besoin de nous entendre entre les différents maillons de la chaîne. D’ailleurs, nous travaillons avec les organisations de producteurs et le comité des pêches des Pays de la Loire à la création d’une interprofession dans la région pour favoriser ce dialogue à notre échelon..

 

 

 

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