La chimie verte et les biotechnologies laissent entrevoir des perspectives formidables de conditionnements biosourcés. Même si le pétrole à bas prix freine les alternatives d’emballages éco-conçus, les industriels préparent déjà les plastiques de demain. Dans l’immédiat, il est déjà possible de recycler la plupart des plastiques pétrosourcés. C’est une question de volonté.
Propos recueillis par Bruno VAUDOUR - Photos Thierry NECTOUX
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Thierry Varlet, « On sait expanser des polymères issus de la biomasse,par exemple sur des bases amidon avecdes agents gonflants qui donnent du volume.” |
Guy Michel, «Les emballages biosourcés sont fabriqués à partir de ressources renouvelables. Il peut s’agir de biosources végétales ou animales.» |
Qui sont-ils ? Thierry Varlet, Guy Michel, |
PdM : Avant d’entrer dans le vif du sujet, comment positionnez-vous le poisson frais au LS ?
Thierry Varlet : Comparée aux métiers de la viande, la marée a mis du temps à investir le libre-service. Il y a encore un décalage au regard de l’offre de produits prêts à l’emploi. L’essentiel du poisson en LS se résume à des découpes simples, placées dans une barquette recouverte d’un film de protection. Sans chercher plus loin les performances de l’emballage qu’on a l’habitude de développer avec des spécialistes comme Europlastiques.
Y a-t-il une contrainte spécifique au poisson frais par rapport à la viande, notamment avec l’exsudat ?
T.V. : Non, il y a une différence de qualité d’exsudat mais pas de contraintes spécifiques. Une viande va « transpirer », un poisson « relâcher des substances liquides », itl y a surtout une différence de protéines. Toute la démarche consiste à s’adapter à chaque produit. Il n’y a pas de recette toute faite. L’emballage et le mélange gazeux tiennent compte du métabolisme de vieillissement qui diffère selon les familles d’espèces : poissons blancs, poissons bleus… Une fois les caractères spécifiés, le professionnel de l’emballage définit le conditionnement ad hoc.
Plus en amont, la caisse polystyrène règne en maître dans la marée. Voyez-vous des alternatives aussi performantes ?
T.V. : Je vois des alternatives ! Jusqu’à présent, et sans se préoccuper de savoir si ces ressources sont renouvelables, on est allé au plus simple avec des matériaux issus du pétrole. Parce que techniquement, il est facile de maîtriser le polystyrène et le gonflement des bulles, à des coûts raisonnables. Mais il faut passer à autre chose. Les premières alternatives consistent à reprendre l’effet barrière thermique du polystyrène en l’appliquant à d’autres matériaux que ceux issus du pétrole. On sait expanser des polymères issus de la biomasse, par exemple sur des bases amidon avec des agents gonflants qui donnent du volume. On voit aussi des développements d’emballages à partir de champignons qui s’expansent. Ce sont des solutions à moyen terme. Mais dans l’immédiat, on peut compter sur le matériau historique qu’est le bois, avec des applications très innovantes.
Europlastiques a travaillé sur des matériaux biodégradables ?
Guy Michel : Parlons plutôt de matériaux biosourcés car le vrai biodégradable est difficilement applicable aux types d’emballages que nous réalisons pour les produits frais. Si la biodégradation commence trop tôt alors que l’on veut conserver un poisson, l’emballage n’a pas joué son rôle au vu des contraintes pour arriver jusqu’au LS. Le biodégradable répond à des critères qui sont normés. Il a une capacité à se dissoudre dans un environnement et dans un délai précis. La bagasse, par exemple, matériau issu de la canne à sucre, est biodégradable mais sans un film plastique de protection, elle ne tient pas. Le problème serait identique avec une barquette 100 % algue, trop sensible à l’humidité, ne serait-ce que celle de l’air. Pour ces raisons, Europlastiques s’oriente vers des emballages biosourcés fabriqués à partir de ressources renouvelables. Il peut s’agir de biosources végétales ou animales.
Le projet Blue EcoPha va dans ce sens ?
G.M. : Ce projet, dont nous sommes partenaires avec Breizpack, associe des scientifiques et des industriels. Il consiste à élever des bactéries marines isolées à partir de mollusques (palourdes, coques, seiches) sur un substrat tel du tourteau de protéagineux ou des coproduits végétaux agroalimentaires. On va en extraire une molécule polymérisable, le PHA (1), véritable plastique issu de l’agrochimie.
Cela signifie qu’on utilisera demain des bioplastiques ?
G.M. : Le PHA existe déjà en Asie. Les Chinois exploitent la technologie mais leur procédé d’extraction du PHA à partir des bactéries est polluant, voire très polluant. Le projet Blue EcoPha associe un procédé d’extraction vertueux qui n’élimine pas les efforts environnementaux réalisés par ailleurs, qu’il s’agisse d’économies d’énergie, d’eau et surtout de solutions pour se soustraire de procédés chimiques. De fait, la bactérie ne libère pas naturellement la molécule. La voie d’extraction choisie par EcoPha doit être irréprochable et viable. Cela exige un peu de temps pour offrir une réponse industrielle et on y arrivera.
Quel est le calendrier du projet ?
T.V. : Dans 24 mois, il y aura un pilote industriel digne de ce nom de plusieurs mètres cubes. On a déjà un an d’expérience derrière nous. L’objectif est de réaliser de petites unités de production d’un plastique de nouvelle génération distribué localement. En attendant d’arriver à une unité de plusieurs dizaines de mètres cubes comme en Asie, de façon à réduire les coûts.
La chimie verte offre donc de belles perspectives…
G.M. : Avec le biosourcé, comme Blue EcoPha ou le PLA (2) à base d’amidon de maïs, on remonte à la molécule que l’on va synthétiser comme un polymère pétrosourcé.
T.V. : L’amidon est un polymère de type sucre. Je prends un sucre, assemblage de six carbones, et je le coupe en deux pour faire deux morceaux de trois carbones. Que l’on peut ensuite polymériser pour en tirer un PLA. Et c’est là que la différence se fait avec l’algue, dont on peut extraire des sucres simples, mais qui ne polymérisent pas facilement.
Quels sont les coûts comparés entre les conditionnements pétrosourcés et ceux biosourcés ?
G.M. : La difficulté est de comparer des éléments qui ne sont pas comparables par rapport à l’échelle de fabrication ou de sources. L’industrie pétrochimique existe depuis environ 70 ans, elle est mondialisée et transforme des milliers de tonnes. Alors que la proto-industrie de la chimie verte va parler non pas en millier de tonnes mais en tonnes ! À partir de là, nous, industriels, prenons évidemment en compte la dimension économique, sans s’aligner obligatoirement sur la pétrochimie demain matin. Si on veut quelque chose d’abouti, le rapport de coûts entre l’emballage pétrosourcé et biosourcé est au minimum de 3 sur la décennie à venir. Projetons-nous dans 20 ans : en encourageant la biochimie et ses sources renouvelables, les comparaisons de coûts seront alors beaucoup plus justes. À présent, il est raisonnable de partir d’un facteur 3 si on ne veut pas tuer la chimie verte dans l’œuf.
T.V. : Ce facteur 3 peut diminuer en suivant les préconisations de la Cop21. Cela suppose un système de taxation qui s’impose sur des matériaux qui prélèvent des ressources fossiles et qui portent atteinte à l’environnement.
Aujourd’hui, quel est l’emballage plastique le plus vertueux ?
G.M. : Celui en polyoléfines (3) ! Je défends ma paroisse, mais les matériaux les plus simples sur le plan des molécules chimiques, les moins transformés et qui recourent à moins de catalyseurs ou d’additifs, sont les plus vertueux.
T.V. : Je suis d’accord avec Guy Michel, les polyoléfines « bien fabriquées » sont les plastiques ayant le moins d’impact environnemental dans l’état actuel de nos connaissances. Le pari que l’on fait avec le PHA est celui d’un bioplastique à très faible impact, car issu de nos déchets transformés par des micro-organismes sur place.
G.M. : Contrairement à du maïs OGM ou à la canne à sucre issue de la déforestation et qui viennent de loin tous les deux… Il n’y a pas encore de substitution vertueuse sur toute la ligne !
T.V. : À l’occasion du CFIA, nos amis scientifiques présenteront une micro-usine de fermentation bactérienne sur un substrat comparable à celui de Blue EcoPha. Ce démonstrateur d’emballage éco-conçu expliquera tout le process d’action bactérienne, d’extraction et de fabrication du bioplastique.
Peut-on recycler les emballages classiques pétrosourcés ?
G.M. : Refaire un emballage alimentaire à partir d’un emballage alimentaire suppose qu’on puisse assurer la traçabilité et qu’il n’y ait pas de contamination croisée, d’ordre organique ou chimique. En bref, c’est impossible en milieu ouvert, autrement dit à partir des déchets des consommateurs.
En milieu fermé, c’est-à-dire avant le circuit de consommation, il est possible de recycler les rebuts d’une barquette en cours de fabrication, pourvu que ces rebuts soient collectés et tracés, le tout sur un même site. Dans ce cas, on peut réaliser un emballage alimentaire respectant parfaitement la réglementation et la sécurité alimentaire. Dans tous les autres cas, on peut recycler les rebuts à 100 % dans les secteurs du bâtiment ou des équipements. Car les polymères qui composent les emballages pétrosourcés sont eux-mêmes régénérables. Le procédé de transformation des granules plastiques que nous utilisons dans l’emballage est réversible : on chauffe, on compacte, parfois on expanse. Ensuite, on broie et le cycle repart.
T.V. : Tous les emballages plastiques peuvent être recyclés, y compris le polystyrène. La limite en France vient des collectivités qui n’ont pas fait le choix de recycler tous ces matériaux. Comme si seul le verre blanc était recyclable et pas les autres couleurs !
G.M. : Aujourd’hui, on ne peut pas mettre une barquette usagée de filet de poisson dans le sac jaune pour des raisons de choix qui nous échappent. Pourtant, ces matériaux sont recyclables. Progressivement, la filière de recyclage se fait à l’idée de tout traiter. Le département du Nord a bien avancé sur le sujet. Grâce au tri optique, qui permet de sélectionner très finement des emballages souillés, tous les emballages alimentaires primaires peuvent aller dans le sac jaune. La Bretagne et les Pays de la Loire déploient aussi des moyens de tri optique. Sachant qu’en 2020, tous les emballages primaires alimentaires souillés devront être recyclés en France, en particulier les barquettes pétrosourcées.
Le recyclage des barquettes plastiques est pour le moins inattendu…
T.V. : Parce qu’on a tellement dit au public que les plastiques n’étaient pas recyclables ! La seule contrainte est lorsqu’il y a des mélanges de matériaux au sein d’un même plastique. Certaines barquettes se composent d’un assemblage qui empêche le recyclage. Le premier axe consiste donc à employer le plus possible un monomatériau qui ne comporte donc qu’un seul type de polymère. Le second axe sera celui des matériaux biosourcés qui peuvent être, si on veut leur ajouter cette fonction, biodégradables et mieux encore compostables. Ce jour-là, la boucle sera bouclée. Le bioplastique conçu par Blue EcoPha a un intérêt formidable : il se dégrade aussi dans l’eau de mer. Le progrès est considérable face à la prolifération des plastiques et à leur fragmentation dans les océans.
(1) Polyhydroxyalcanoate
(2) Acide polylactique
(3) Polyéthylène (PE), polypropylène (PP)
Biodégradables Un matériau qui s’affiche biodégradable doit aussi être compostable selon les normes internationales suivantes : |