Réduction des coûts du transport, de l'empreinte carbone, évolution de la logistique urbaine… Les défis que doivent relever les acteurs du transport et de la logistique marée sont nombreux. Qu’en pensent-ils ? Pour croiser les regards, nous avons posé les mêmes questions à deux acteurs du secteur : Brigitte Delanchy, du groupe éponyme, et Grégory Grare, commissionnaire de transport.
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Grégory Grare « Une des grandes difficultés |
Brigitte Delanchy « Nous traitons tous les jours des commandes plus nombreuses mais dont les volumes sont de plus en plus petits. Cette tendance est onéreuse. » |
1- La logistique marée est jugée particulièrement coûteuse par les utilisateurs. Qu’en pensez-vous ?
Brigitte Delanchy : Trop souvent, le transport est vu comme un coût et non comme un service à valeur ajoutée permettant de toucher des clients lointains. La logistique de la marée n’est pas en soit plus onéreuse que celle du frais. Mais je comprends que la perception des acteurs soit différente dans la mesure où les produits transportés dans la marée sont bruts, le poids de la logistique paraît plus lourd que pour un produit transformé.
De plus, les spécificités de la logistique marée sont des freins à la mixité des produits dans un même véhicule. Ainsi, dans la marée, nous sommes tributaires des horaires des criées et de la première transformation des produits. Les flux sont extrêmement tendus. Récupérer de la marchandise dans tous les ports de France pour qu’elle soit disponible le lendemain à la même heure sur tous les étals de France, c’est un petit miracle quotidien !
Ensuite, l’odeur d’iode et l’environnement humide lié à la perte d’eau du poisson et à la fonte de la glace présente dans les caisses en polystyrène perforées rendent impossible le transport d’autres produits. Mais utiliser des caisses étanches n’est pas forcément la bonne solution pour la filière. Laisser le poisson baigner dans son eau peut poser un problème de qualité.
Grégory Grare : Les péages vont augmenter, le prix de l’énergie aussi. Tout laisse à penser que le coût du transport va aller en augmentant. En tant que commissionnaire de transport, nous travaillons les produits de la mer à 80 % en surgelé et à 20 % en frais. Et clairement, la logistique marée est infiniment plus complexe : impossible dans ce secteur de rater une rotation, d’avoir une ou deux palettes de retard. Il s’agit d’une logistique en flux tendus, forte en stress. Elle nécessite de pouvoir déployer des capacités de transport assez impressionnantes. D’autant qu’une des grandes difficultés de la logistique marée reste l’absence de prévisions. Un transporteur sait où et à quelle heure il doit être, mais il ne sait pas toujours combien de colis ou de palettes il aura à charger dans son camion. L’expérience du secteur pour tenter d’ajuster au mieux est une vraie valeur ajoutée. Mais cette expertise a un coût.
Pourquoi utiliser un commissionnaire de transport ? Utiliser un commissionnaire de transport est une façon d’externaliser sa logistique. Ne disposant pas d’une flotte de véhicules dédiée, ce dernier fait appel à son réseau de transporteurs partenaires pour trouver la meilleure solution, en fonction des destinations désirées, des contraintes imposées par l’expéditeur et par ses clients. |
2- L’innovation dans l’emballage marée pourrait-elle influer sur le coût du transport ?
Brigitte Delanchy : Un transporteur se doit de s’intéresser à l’emballage. Plus ils sont réutilisables, imperméables, palettisables et transportables facilement, mieux c’est. Aujourd’hui, la diversité des emballages dans la marée ne permet pas toujours de rationaliser la palettisation. Les caisses en polystyrène ne font pas toutes la même taille ; les bourriches peuvent être rondes, rectangulaires ou coniques ; les coquillages se transportent en filets, en sacs, etc.
Pour optimiser l’étape de la palettisation, il faut de l’expérience et accompagner notre personnel. D’autant qu’aujourd’hui, les petits conditionnements se multiplient. Un problème pour nous comme pour l’environnement. À cet égard, il faut noter que la filière des produits de la mer est l’une de celle où l’on transporte le moins de suremballages.
À titre personnel, j’ai envie de croire au retour des emballages en bois dans le secteur, comme ceux que peut développer l'entreprise Blanchet. Le bois est un matériau noble, naturel, recyclable, qui absorbe naturellement l’humidité et limite, mieux que le plastique, les risques bactériologiques.
J’aimerais bien que les vétérinaires, les services de la santé publique lancent une étude sur le sujet de l’emballage en se penchant sur ces emballages ancestraux qui avaient leur part de bon sens, notamment pour la protection de la planète.
Grégory Grare : Dans une opération de transport, les acteurs qui interviennent sont nombreux. Je pense que pour réduire les coûts du transport, il faudrait favoriser le dialogue, la coopération entre expéditeurs, transporteurs, mais aussi acheteurs, sociétés d’import et leurs partenaires. Pourquoi pas ceux de l’emballage ? La question du conditionnement joue un rôle clé sur l’impact environnemental d’un produit.
3- Quels sont les nœuds logistiques de la filière et les pistes pour limiter les coûts ?
Brigitte Delanchy : Dans la marée, il y en a deux. Le premier est celui de la ramasse. Les points de collecte sont multiples et nous devons y passer deux à trois fois par jour, sans savoir s’il y aura ou non de la marchandise. Nous ne sommes pas sur des produits industriels où nos clients nous délivrent une information nous permettant d’ajuster nos moyens.
Cela dit, comme il ne s’écoule que deux ou trois heures entre la débarque du poisson et le moment où nos camions arrivent, je ne suis pas certaine qu’une informatisation plus poussée de la filière améliore beaucoup ce point.
C’est à l’aval qu’une optimisation des coûts semble possible. En effet, nous livrons tous les jours des volumes de plus en plus petits. Nous sommes capables d’aller jusqu’à 10 kg ! Cette tendance est onéreuse. In fine, penser réaliser une économie en achetant en direct auprès des criées plutôt qu’en passant par les grossistes est peut-être un mauvais calcul.
Grégory Grare : Le dernier kilomètre est celui où il y a le plus d’économies à réaliser. En amont, à Boulogne, la récupération des marchandises auprès des expéditeurs est bien organisée par les transporteurs et parfois, les mareyeurs livrent eux-mêmes les plateformes de préparation de commandes.
C’est au niveau de la livraison que les problèmes peuvent se poser. Si jamais, les camions arrivent trop tôt ou trop tard, il faut alors redéployer des solutions pour livrer de nouveau le client. C’est onéreux. Dans la marée, c’est encore plus coûteux que dans le surgelé dans la mesure où la marchandise est périssable.
Pour réduire les risques et limiter les coûts, il faut favoriser une meilleure circulation de l’information entre les différentes parties prenantes. Chez Transport Geofret, nous avons développé, avec des prestataires informatiques et le soutien financier de Bpifrance et de la région Hauts-de-France, un logiciel qui facilite la fluidification de l’information et sécurise les opérations de transport. Concrètement, lorsque nous traitons une commande, notre client va recevoir par mail une confirmation de transport qui reprend tous les éléments de sa commande initiale. Le transporteur partenaire et le destinataire se voient adresser le même document. Tous peuvent vérifier qu’il ne manque rien, que des erreurs ne se sont pas glissées. Ensuite, nous pouvons mettre en place un système de traçabilité des camions en temps réel. Via une application sur smartphone, le chauffeur informe l’expéditeur et son client de son départ imminent, il envoie une photo du chargement. L’information partagée permet une dernière vérification et l’anticipation de l’heure d’arrivée. Cela évite les allers-retours et les coûts inutiles.
Enfin, et c’est important aussi pour la réduction de l’empreinte carbone, il est crucial que les transporteurs ne reviennent pas à vide. Beaucoup en ont conscience et gèrent le problème eux-mêmes. Mais en tant que commissionnaire, nous pouvons leur proposer des chargements retours à récupérer dans des zones dites corridors, proches du lieu de livraison initial. C’est plus facile dans le surgelé, où il n’y a pas de problème d’odeur, mais une fois le matériel nettoyé, il est tout à fait possible de transporter du vin ou des produits secs dans un camion marée.
4- Au niveau du dernier kilomètre, quel regard portez-vous sur les systèmes de points de stockage réfrigérés, où les petits commerces peuvent venir récupérer leurs commandes à l’heure qui les arrange ?
Brigitte Delanchy : J’envisageais de pousser ce type de système il y a cinq ans, mais nous avons été confrontés au problème de l’emballage. Dans ces systèmes de collecte, il faut être très vigilant quant aux risques de contamination croisée entre les produits : poissons, légumes, etc. Il faut investir dans des équipes de maintenance pour des nettoyages quotidiens, ce qui grignote les économies réalisées sur le transport. Mais il est impensable de prendre le moindre risque sanitaire.
Cela dit, nous envisageons aujourd’hui d’adapter nos plateformes proches des centres-villes pour qu’elles puissent, demain, accueillir ceux qui souhaiteraient récupérer eux-mêmes leurs colis. Nous envisageons aussi d’investir dans des petites plateformes avancées au sein des centres-villes. Les schémas de logistique urbaine sur lesquels nous travaillons sont nombreux. Tout évolue très vite. La maturité du marché devrait arriver d’ici deux ou trois ans.
Côté distribution urbaine, nous menons de front une dizaine d’expériences, dont l’une avec des véhicules électriques, qui génèrent moins de nuisances sonores et de pollution. C’est passionnant d’être acteur d’un monde qui bouge !
Mais pour aller plus vite, il serait fantastique de travailler au sein d’une interprofession… Nous pourrions aller dix à vingt fois plus vite et pour dix à vingt fois moins cher. Cela dit, partager les fruits de sa R & D n’est jamais aisé.
Grégory Grare : Au sein de Transport Geofret, nous sommes assez peu confrontés à la question du dernier kilomètre. Nous le faisons pour la maison Lenôtre, sur une logistique très spécifique. Reste que ce dernier kilomètre est le plus cher dans la chaîne du transport et celui qui a le plus d’impact au niveau écologique. Il est logiquement au cœur de multiples réflexions, de projets d’innovation comme l’autopartage.
Qui nous dit que dans dix ans, il sera encore possible de livrer en camion des clients dans Paris intra-muros ? Pour moi, le modèle qui devrait émerger est celui des points relais. Les transporteurs investissent de plus en plus dans de petites centrales logistiques à l’intérieur des villes. Soit cela simplifie encore la livraison au client final, soit ces centrales peuvent devenir des points relais.
5- Le secteur du transport est en ébullition pour réduire son empreinte carbone. Quelles sont les pistes auxquelles vous croyez le plus ?
Brigitte Delanchy : L’hydrogène ! En distribution fine, je pense que l’électrique est parfait. Pour le reste, nous aurons besoin de l’hydrogène. Aujourd’hui, nous testons les camions à gaz. C’est la technologie la plus mature. Elle devrait être poussée dans les deux à trois prochaines années, mais il est dommage que la France ait pris du retard en matière de biogaz. C’est pourquoi, même s’il n’existe pas encore d’études scientifiques sur les risques pour la santé de rejets d’oxygène, je suis favorable à l’hydrogène. Toutefois, la mixité des solutions est essentielle.
L’autre piste de travail, où il faudra réfléchir collectivement avec les industriels de l’agroalimentaire et de l’emballage, c’est celle du coefficient de remplissage des véhicules. Avec le développement des petits colisages, toujours plus légers, nous ne mettons plus que 6 tonnes dans un camion au lieu de 10. C’est loin d’être optimal et la solution n’est pas de multiplier l’usage de véhicules plus légers. Économiquement comme écologiquement, ce n’est pas viable. À terme, il faudra trancher entre du prix ou du service ; entre sauvegarder la planète ou vouloir tout, tout de suite et livré chez soi.
Grégory Grare : Faire baisser la facture énergétique passe par des investissements. Les transporteurs le font, explorent de multiples solutions pour offrir des livraisons plus propres, moins coûteuses en termes d’énergie. Gaz, biométhane, tout électrique…, tout est envisagé. Ils y sont incités par l’engagement de multinationales comme Nestlé ou Carrefour à réduire leurs émissions de CO2 de 20 à 25 % d’ici 2025. À terme, il s’agit peut-être pour ces acteurs de négocier le retrait de la majoration gazole, conçue pour aider les transporteurs à faire face aux variations des cours, sur les factures de transport. Néanmoins, je trouverais intéressant, en tant que commissionnaire de transport, de voir émerger un label, visé par l’Ademe (1), pour valoriser le transport durable. Cela pourrait être un critère de choix, une demande de nos clients les plus engagés en matière de responsabilité sociétale des entreprises. Dans la filière, bon nombre d’entreprises le sont et s’obligent à repenser leur modèle économique pour être plus durables. C’est essentiel.
(1) Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie
Propos recueillis par Céline Astruc
Photos Thierry NECTOUX et Lionel FLAGEUL
Quelles innovations vous séduisent ? Brigitte Delanchy : Celles qui valorisent l’homme et son métier. Pour la manutention et la palettisation, nous regardons les robots capables d’amener les marchandises jusqu’aux préparateurs de commandes. Cela éviterait l’usure des corps et valorisait le métier, l’intelligence humaine. Idem pour les chauffeurs.
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Face au Brexit Brigitte Delanchy : Depuis le début, le sujet nous préoccupe. Nous participons à toutes les réunions de travail, en prônant un Brexit soft, à la mode norvégienne. Malheureusement, je crains un Brexit dur. Il va fragiliser nos organisations. À l’import comme à l’export, revenir à des frontières, avec contrôles douaniers et vétérinaires là où nous nous sommes habitués depuis plus de vingt ans à la libre circulation des marchandises, sera compliqué. D’autant que la logistique d’il y a 20 ans n’existe plus. À cette époque, dans un même camion, nous avions le chargement de deux clients, contre 80 aujourd’hui. Grégory Grare : Un Brexit dur se profile. Beaucoup de choses restent incertaines. Quid des volumes d’Irlande et Islande qui transitaient par l’Angleterre avant d’arriver à Boulogne, par exemple ? On peut imaginer qu’avec le bel outil portuaire de Boulogne, des solutions par ferry se développent avec l’Irlande. De son côté, l’Islande favorisera peut-être un passage par les Pays-Bas… La seule certitude, c’est que le passage aux frontières sera ralenti. Heureusement, en France, notre système douanier est percutant, au moins pour faciliter l’encaissement des droits de douane. Cela pourra se faire avant l’expédition des marchandises. L’expéditeur recevra alors un bon à scanner qu’il pourra remettre au chauffeur. Cela fera gagner du temps. Mais pour les flux à l’export, un système équivalent n’existe pas encore. C’est un souci. |