L’étiquette : pourquoi est-ce si compliqué ?

Le 12/03/2018 à 15:22 par La Rédaction

 

Faire une étiquette pour informer les consommateurs est un casse-tête. Nutrition, origine, environnement… La journée d’échanges organisée par le pôle Aquimer, fin janvier, a révélé le nombre et la complexité des réglementations auxquelles sont soumis les professionnels. Mais trop d’information tue l’information. Simplifier s’impose. C’est à l’ordre du jour, mais attention aux surprises.

 

 

Les produits de la mer face au Nutri-score

> Une application volontaire.  Approuvé le 31 octobre 2017 par le gouvernement, le Nutri-score va arriver sur les emballages alimentaires de produits transformés. L’étiquette de couleur n’est pas encore obligatoire mais le ministère de la Santé souhaite le porter au niveau européen. Une étude scientifique réalisée dans des conditions réelles de consommation, avec 1 300 produits étiquetés dans quatre rayons, a prouvé qu’avec le Nutri-score, la qualité nutritionnelle du panier d’achat s’améliorait très nettement. Notamment chez les populations les moins aisées et les plus touchées par l’obésité. Autre constat : les produits porteurs du Nutri-score sont plus choisis que les autres. Trente trois marques et cinq enseignes l'affichent déjà sur leurs produits, notamment Auchan et Intermarché, avec sa marque Odyssée.

> Le calcul. La présence de fruits, légumes, fibres et protéines améliore la note Nutri-score d’un produit, tandis que des niveaux élevés de calories, sucres, sel et acides gras, saturés ou non, la font baisser. Une lettre entre A et E est attribuée au produit selon ses bénéfices nutritionnels.

> Les produits de la mer face au Nutri-score : un verdict étonnant.

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Les réactions possibles de la filière

> Travailler sur un mode de calcul spécifique aux produits de la mer comme cela se fait pour les produits laitiers, afin que la qualité des protéines de poisson et des oméga 3 soit prise en compte.

> Communiquer autour des atouts du poisson, non comptabilisés par le Nutri-score.

> Modifier les recettes au risque d’en perdre la « naturalité ».

Moins de la moitié des Français liraient régulièrement les étiquettes des produits qu’ils achètent et seuls 12 % systématiquement. Serait-elle trop complexe ? Pour favoriser une consommation responsable, les réglementations relatives à l’étiquetage ont fleuri : OCM, INCO, Code de la consommation… La profusion d’informations submerge un consommateur dont les préoccupations évoluent. « Hier c’était la ressource, aujourd’hui c’est la santé. Demain, ce seront les centaines de caisses de polystyrène non recyclées et enfouies au fond des océans qui intéresseront le consommateur », s’enflamme Thomas Canetti, Pdg de Sovintex, conscient bien sûr que l’étiquette ne suffira pas à rassurer le consommateur sur tous ces points.

Ni même à le guider dans ses achats. C’est trop complexe ! Le tableau nutritionnel imposé par la Commission européenne sur les produits alimentaires transformés en témoigne. Seul un expert en nutrition peut véritablement le décrypter. « Les associations de consommateurs se sont battues contre », affirme Olivier Andrault, chargé de mission pour UFC-Que Choisir, défenseur du Nutri-score. Validée par le gouvernement, cette solution propose d’afficher par une lettre et une couleur la qualité nutritionnelle d’un produit. Simple et efficace : la lettre A et la couleur verte incitent à une consommation plus fréquente et régulière, la lettre E et la couleur rouge poussent à réserver la consommation du produit aux moments de gourmandise. « Nous donnons aux Français les moyens de reprendre le dessus sur leur alimentation. Les tests en situation réelle montrent que le Nutri-score permet de lutter efficacement contre l’obésité, notamment chez les jeunes », explique Michel Chauliac, chef de projet nutrition pour le ministère de la Santé. De plus, « cela encouragera les transformateurs à améliorer leurs recettes. Leurs efforts seront visibles, en passant par exemple de la lettre C à B ». Même si, tempère Olivier Andrault, « toutes les recettes n’ont pas vocation à être améliorées. Les produits classés D ou E ne sont pas à interdire, mais à introduire de façon plus occasionnelle dans l’alimentation ».

Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour la filière. Comment modifier les recettes traditionnelles d’un saumon salé au sel sec ou d’une sardine à l’huile ? Même au naturel, la sardine affiche un C, le maquereau, lui, se contente d’un D.

Des scores déroutants pour les professionnels. Qu’en sera-t-il pour les Français, encouragés par l’Anses à en consommer deux fois par semaine ? « Les consommateurs ont aujourd’hui une image positive de nos catégories de produits, considérées comme saines et naturelles. Le Nutri-score peut potentiellement brouiller cette perception positive », déplore Pierre Commère, délégué général de l’Adepale. Alors que le Nutri-score est plébiscité par les associations de consommateurs en France comme en Europe et que le gouvernement souhaite en défendre la généralisation dans l’Union européenne, l’inquiétude est de mise. « On peut supposer des comportements négatifs en termes d’actes d’achat, poursuit Pierre Commère. Or, s’il est certainement possible de travailler à la marge certaines recettes, il n’est pas possible de modifier les caractéristiques essentielles de produits comme les conserves à l’huile ou les poissons fumés. » C’est collectivement que les professionnels des secteurs concernés vont tenter « de voir, avec les pouvoirs publics, comment il serait possible de valoriser les bonnes protéines marines et les bons acides oméga 3 dans les algorithmes, ce qui n’est pas actuellement le cas». Le responsable veut croire que des ajustements, autorisés en amont pour les produits laitiers ou les boissons, pourront encore être faits. Mais en coulisse, certains regrettent de ne pas avoir anticipé le problème.

Analyse du cycle de vie :
la filière anticipe

Depuis deux ans, la filière appréhende les méthodes d’évaluation de l’impact environnemental des produits de la pêche et de l’aquaculture sur l’intégralité de leur cycle de vie, via les projets ICV Aqua et ICV Pêche. « Selon l’espèce ciblée, la zone et l’engin de pêche, des différences existent. Mais dans une même pêcherie, l’impact environnemental peut varier fortement selon les pratiques du capitaine », souligne Thomas Cloâtre, coordinateur du projet ICV Pêche au CNPMEM. Les résultats des deux ICV seront accessibles gratuitement en mai, via la base de données Agribalyse de l’Ademe. Ils pourront aussi faire émerger des guides de bonnes pratiques.

En sera-t-il de même pour l’étiquetage environnemental ? « Il arrive et concerne tout le monde », avertit Chiara Bacci, spécialiste des marchés à la direction générale des affaires maritimes et de la pêche, à la Commission européenne. 40 % des consommateurs réclament des informations environnementales sur l’étiquette, notamment les plus jeunes. Encore faut-il les recueillir. Impact carbone, impact sur la qualité des eaux, sur la ressource, etc., la tâche n’est pas aisée. Mais le travail a déjà commencé.

Le projet ICV Pêche mené par le Comité national des pêches vise à évaluer l’incidence environnementale de la pêche en fonction de l’espèce, la zone et le navire de pêche. ICV Aqua, conduit lui par Aquimer, se penche sur huit espèces d’aquaculture ou de pêche du nord de la France, en tenant compte aussi de l’activité de transformation. Soutenus par France Filière Pêche, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et la région Hauts-de-France, « ces programmes vont permettre de combler le manque de données relatif aux produits de la mer et favoriser la réflexion sur l’étiquetage environnemental », soutient Thomas Cloâtre du Comité national des pêches.

Il le faut, car depuis le Grenelle de l’environnement, la question avance et ne concerne plus seulement l’impact carbone. Dans l’alimentaire, Casino floque déjà certains de ses produits MDD d’une vignette chiffrant leur impact environnemental, évalué sur l’ensemble du cycle de vie des produits. Plus le chiffre affiché est faible, moins la consommation du produit impacte l’environnement. Du moins au regard de deux critères : la pollution de l’air et de l’eau. « Nous en mesurons quatre mais l’Ademe n’en a retenu que deux dans son mode de calcul », explique Gabrielle Adam, responsable développement durable chez Casino. S’agit-il des plus pertinents pour le secteur ? Pas sûr. Quid de la préservation des ressources, de la valorisation des coproduits… ? Les facettes de la durabilité sont nombreuses. Comment seront-elles pondérées ? Un seul chiffre ne dit pas tout. « Essayer d’être simple c’est très bien mais parfois, on risque d’avoir des résultats que l’on n’attendait pas », admet Chiara Bacci.

Mais il peut y avoir un juste milieu entre l’extrasimplicité et l’excès d’information. Concernant l’obligation d’apposer la technique de pêche, elle avoue : « Nous sommes peut-être allés un peu loin. » Et reconnaît, étude consommateurs à l’appui, que ces derniers n’ont pas toujours les connaissances pour appréhender de tels critères. La confusion entre respect de l’environnement et qualité gustative est fréquente. Labels, signes officiels de qualité ou marques collectives doivent rassurer le consommateur, puisqu’un impact sur les ventes existe. Pour autant, rares sont ceux qui sont capables d’en définir les valeurs réelles.

Dans un tel chaos, difficile pour les professionnels de se positionner ! « À quand un label qui regrouperait tous les critères », interpelle un professionnel dans la salle. « Le superlabel n’existe pas et n’existera jamais, répond fermement Édouard Le Bart, directeur du programme MSC France. Le coût serait excessif. Aujourd’hui, la certification MSC coûte près de 20 000 euros à une entreprise. Si vous ajoutez la dimension sociale, l’analyse du cycle de vie, si c’est local ou non… le montant dépasserait les 100 000 euros ! » Et de poursuivre : « Au sein du MSC, nous nous occupons uniquement de ce qu’il y a sous l’eau. Nous avons l’ambition de faire au mieux ce qu’on sait faire, sans s’éparpiller, même si on se penche de plus en plus sur la dimension sociale. Le travail forcé est incompatible avec le MSC. »

Gare aux paradoxes
de l’étiquetage environnemental

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« En 2015, des chaluts à perche électrique ont demandé à être labellisés MSC. Leur bilan carbone est meilleur qu’un chalut classique mais l’impact sur la ressource est encore trop méconnu pour les certifier »

Édouard Le Bart,
directeur du programme MSC France.

 

À quand l’étiquetage environnemental obligatoire ? Peut-être pas pour demain. Mais l’étiquetage carbone a déjà été envisagé. Aujourd’hui, Casino travaille pour les produits alimentaires sur un indice d’impact environnemental basé sur l’analyse du cycle de vie d’un produit au regard de divers critères : émission de gaz à effet de serre, consommation d’eau, eutrophisation (impact sur la qualité de l’eau), écotoxicité. Pour l’heure, le calcul de l’indice ne prend en compte, à la demande de l’Ademe, que les gaz à effet de serre et l’eutrophisation. Mais demain ? Or, en fonction de la pondération et du nombre de critères d’évaluation de l’impact environnemental, l’indice peut fortement varier. Au risque, pourquoi pas, si l’on oublie de tenir compte d’autres critères, de favoriser des produits issus de la pêche au chalut à perche électrique, très peu gourmand en carburant ! Il importe que la filière réfléchisse à ses critères de protection de l’environnement et à leur pondération.

« La question de l’éthique devance même celles de l’environnement ou de la ressource dans certains pays. Car le MSC ou l’ASC est désormais un prérequis », souligne Marc Chopin, directeur qualité chez Delpierre. Il faut dire que derrière la question de l’éthique et du social se cache aussi la question de l’origine, tant la phrase « nos produits sont nos emplois » est inscrite dans la mémoire collective.

Mais « le poisson ne peut pas afficher de nationalité », rappelle Geneviève Morhange, de la DGCCRF. Alors, nombre d’acteurs choisissent de s’engager dans des marques collectives telles que Normandie Fraîcheur Mer ou Pavillon France pour revendiquer leur origine. Claire Babouillard, de l’Institut national de l’origine et la qualité (Inao), signale aussi « recevoir de plus en plus de demandes pour le labeI Rouge comme pour des reconnaissances d’IGP ». Citant l’huître de Normandie, le bar de Corse et le caviar d’Aquitaine. Toutefois, mieux vaut s’armer de patience lorsque l’on attaque une démarche auprès de l’Inao. Comptez plus de cinq ans pour obtenir une certification IGP ou label Rouge et dix ans pour une AOP. Trop long et parfois trop coûteux pour les entreprises qui peuvent avoir des intérêts à plus court terme. Mais si vous l’obtenez, Chiara Bacci rappelle l’existence d’un fonds de 103 millions d’euros disponible à Bruxelles pour promouvoir les produits labellisés par des sigles officiels de qualité. Elle insiste : « S’il vous plaît, utilisez-le ! » Pour convaincre les professionnels de s’engager, l’Inao devrait par ailleurs communiquer autour de ses labels officiels dès cette année.

À l’issue de cette journée de travail, les participants ont un peu le tournis devant les défis qui les attendent. D’autant qu’ils ne sont pas convaincus de leur efficacité. « Finalement, à voir ce qui n’est pas lu ou compris, on pourrait faire de la place sur l’étiquette », ironise un participant. Malheureusement, ce n’est pas à l’ordre du jour.

 

 

 

 

 

 

 

             
 

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Hervé Diers,
président de JC David,
entreprise de salaison.

« J’ai mis cinq ans pour obtenir le label Rouge. C’est un formidable accélérateur d’affaires. L’année qui a suivi, j’ai immédiatement réalisé 20 % de chiffre d’affaires en plus. Aujourd’hui, j’emploie 50 personnes et réalise un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros. »

 

Adeline Denizot, agent qualité pour Normandie Fraîcheur Mer, à Granville.

« Une demande de certification IGP sur le bulot de Granville est en cours depuis dix ans. Elle permettra de le différencier des bulots d’importation en France. Mais pour valoriser le bulot à l’export, nous avons opté, et obtenu, le MSC. »

 

Pascal Goumain, président du groupe Aquaponic Management Project, Saumon de France.

« Avoir l’origine France dans le nom de sa marque est un atout mais cela oblige à une certaine rigueur, tant pour la qualité gastronomique et la durabilité du produit que
pour le bien-être animal.
La confiance des chefs est aussi une preuve de qualité. »

 

 

 

 

   

 

 

 

 

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