Mareyage : la formation, un défi d’avenir

Le 07/06/2019 à 11:20 par La Rédaction

Avec une pyramide des âges vieillissante et des prévisions de départs nombreux dans la décennie à venir, le secteur du mareyage est confronté à un véritable défi en termes de main-d’œuvre. L’Union du mareyage français (UMF) et les organismes de formation avancent groupés sur le sujet. Rencontre avec trois acteurs impliqués.

 

 

“ Le certificat de qualification professionnelle (CQP)
est l’exemple parfait de l’action pragmatique
d’une branche professionnelle. ”

Peter Samson, secrétaire général
de l’Union du mareyage français

 

 

 

 

 

Quel est le paysage du mareyage français aujourd’hui, alors que l’on a observé des concentrations ces dernières années ?
Peter Samson : Cette dynamique est effectivement caractéristique du secteur, avec l’émergence de quelques opérateurs d’envergure nationale. Concrètement, la branche mareyage réuni 480 opérateurs et 10 700 salariés. Il s’agit avant tout d’entreprises installées sur le littoral, plutôt des TPE-PME, mais 15 % d’entre elles assurent désormais 70 % du chiffre d’affaires. Le mareyage demeure le plus gros acheteur des criées avec 65 % de leur chiffre d’affaires et 160 000 tonnes d’achats. Il repose sur trois piliers : le traditionnel, le négoce et la transformation.


Quelle est l'évolution démographique de la profession ?
P.S. : Nous aurons 2 000 départs à la retraite dans la décennie à venir et une pyramide des âges qui n’est pas dans une bonne dynamique : les plus de 45 ans sont désormais 39 % et les moins de 25 ans, 12 % ; le premier chiffre étant à la hausse et le second à la baisse. Les difficultés de recrutement concernent tous les postes, des métiers en tension, comme dans les achats, ou émergents, comme les responsables qualité, même si les ouvriers sont les plus représentés.


Les besoins resteront-ils importants ou peut-on envisager une automatisation et une baisse des besoins de main-d’œuvre ?
P.S. : À schéma constant de production et d’organisation de la filière, l’automatisation ne devrait pas faire une entrée rapide. Nous ne sommes pas dans les pays nordiques et disposons d’une flottille éparse, de la Manche à la Méditerranée, de 4 500 navires, d’une multiplicité de points de débarquement, d’espèces, de calibres… Cela pourrait être un choix, mais il nous ferait aller vers une standardisation des produits à l’heure où le marché demande plutôt l’inverse.


Le recrutement passe par une nouvelle dynamique et de la formation. Pouvez-vous nous détailler cette approche concrètement ?
P.S. : Parallèlement à la formation initiale, l’UMF s’occupe de la formation continue. Il s’agit d’une politique publique mais aussi de branche, avec différentes échelles. Agefos collecte des fonds privés dans la filière et mutualise des moyens pour différents mécanismes : contrat de professionnalisation, compte personnel de formation…

On parle d’une relance des certificats de qualification professionnelle (CQP)...
P.S. : Le CQP est l’exemple parfait de l’action pragmatique d’une branche professionnelle. Ce diplôme, obtenu en six mois, un temps relativement court, n’est pas forcément très coûteux et s’effectue en alternance, donc avec du temps en entreprise. Nous avions déjà créé un CQP d’employé polyvalent des produits de la mer en 2005, dispensé par deux établissements, le Centre de formation aux produits de la mer et de la terre (CFPMT) de Boulogne-sur-Mer et le lycée maritime de La Rochelle. Mi-2017, nous avons lancé un appel d’offres pour élargir leur nombre et sommes passés à neuf aujourd’hui. Soixante personnes ont été formées depuis cette relance, avec un très bon taux d’embauche. Un second appel d’offres, en cours, devrait voir aboutir deux nouvelles candidatures. Fin 2018, nous avons donc décidé de lancer un nouveau CQP sur un autre métier spécifique, celui d’acheteur/vendeur marée. Notre observatoire prospectif des métiers et de la qualification de la branche mareyage a identifié cette opportunité que nous sommes en train d’élaborer précisément.


Qu’en est-il de l’apprentissage ?
P.S. : Il s’agit d’un autre dispositif que la nouvelle réforme de la formation nous permet aussi d’accompagner, mais auquel les CQP ne sont pas éligibles. Le CAP mareyage, oui, même si le contenu doit évoluer, être modernisé et redynamisé. C’est en cours. Et nous tentons de mettre pour cela d’autres acteurs dans la boucle comme les transformateurs et les criées par exemple.


Avez-vous des partenaires dans ces démarches ?
P.S. : Agefos, les régions, Pôle emploi, les missions locales sont des partenaires. Les CQP, notamment, fonctionnent bien avec les dispositifs de retour à l’emploi. Dans un schéma classique, Agefos recherche le dispositif le plus adapté entre les coûts pédagogiques et ceux du salarié ou de la personne formée.


La filière souffre-t-elle d’un déficit d’image et quels arguments faites-vous valoir auprès des jeunes salariés ou en recherche d’emploi ?
P.S. : Nous avons élaboré six vidéos sur différents métiers, que l’on peut retrouver sur notre site internet. Agefos et l’Éducation nationale ont monté la plateforme Bouge ton avenir, sur laquelle nous sommes présents avec des visites à 360°, des interviews, des descriptions de postes… Notre observatoire a réalisé un référentiel d’activités et de compétences qui a abouti a des fiches de poste précises. Nous communiquons en propre mais mettons aussi à dispositions de nos partenaires (adhérents, organismes de formation, syndicats…) du contenu et essayons d’être plus présents dans les salons de l’emploi.


La filière souhaite aussi moderniser le secteur en s’intéressant à des problématiques sociales, comme l’égalité homme-femme ou la réduction des risques au travail (troubles musculo-squelettiques, blessures…). De quelle manière ?
P.S. : Il y a du travail dans cette branche. Elle recrute et les métiers sont variés : production, qualité, R & D, dirigeant… Et comme il existe beaucoup de PME, les progressions possibles sont réelles et inscrites en général dans un véritable développement local. Nous sommes dans le schéma d’une lente érosion et le recrutement est impératif. Mais le mareyage n’est pas seul face à ce défi. Il se situe entre la production et la consommation. Donc tout le monde fait des efforts.
Nous nous saisissons de tous les leviers pour faire avancer la filière. Les conditions d’emploi constituent effectivement un axe important et nous avons négocié un accord d’égalité homme-femme dans un univers à dominante masculine. Les femmes occupent plus de postes à temps partiel, avec des salaires moins bien valorisés.
Par ailleurs, les statistiques révèlent que la branche est accidentogène. Nous avons signé, l’année dernière, une convention nationale d’objectif avec l’Assurance maladie métiers de la mer pour que les entreprises investissent sur cette thématique, accompagnées par les Caisses régionales d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat). Nous valorisons aussi des dispositifs moins sectoriels, mais qui constituent des leviers pour des actions concrètes.
Nous avons encore répondu à un appel à candidatures de la plateforme Responsabilité sociale et environnementale (RSE) de France Stratégie pour accompagner les TPE-PME dans cette voie. Nous pensons que le mareyage a beaucoup de choses à dire dans ce domaine et que la thématique peut être très fédératrice.

Propos recueillis par Dominique Guillot

 

  Nadine Poitevin, directrice du centre de formation
des apprentis (CFA) de Lorient
 
 
 

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« Nous accompagnons les acteurs
du port de Lorient qui rencontrent
des difficultés de recrutement. »

 

 
 

Quel regard portez-vous sur le mareyage vu du côté de la formation ?

En janvier 2017, une rencontre était organisée avec le conseil régional et les acteurs de l’emploi et de la formation : Pôle emploi, UMF et l’Association bretonne des acheteurs de produits de la pêche (Abapp), sur les difficultés de recrutement dans les entreprises de mareyage du port de Lorient. Les mareyeurs ont alors identifié un besoin en compétences au regard de la pyramide des âges élévée et des difficultés à recruter du personnel qualifié. Ils évoquaient aussi un turn-over important.

Suite à ce constat, vous avez accompagné la relance des certificats de qualification professionnelle ?
Notre CFA détient une expertise dans la filière grâce à la formation proposée sur le CAP poissonnier écailler, le bac pro poissonnier-écailler-traiteur et des actions de formation continue en mareyage. Nous avons donc proposé de développer le CQP employé polyvalent des produits de la mer. Deux sessions ont eu lieu en 2017 et 2018, soit une quinzaine de demandeurs d’emploi formés. Il a été mis en place dans le cadre d’une action territoriale et expérimentale (ATE), en partenariat avec le conseil régional et Pôle emploi, ce qui a permis de mettre en place un process de recrutement et d’ajouter un module de tuteur pour accompagner l’accueil des stagiaires en entreprise. Nous avons aussi signé une convention avec les mareyeurs et un agrément européen de notre laboratoire pour commercialiser ce que nous traitons, car le tonnage est important.
L’objectif principal du CQP est d’accompagner les stagiaires vers la réalisation de l’ensemble des activités d’un atelier de mareyage dans un esprit de qualité et de respect des normes d’hygiène et de sécurité.

Quels arguments faites-vous valoir auprès des jeunes salariés ou en recherche d’emploi ?
Le CQP permet d’acquérir une qualification professionnelle et ainsi de sécuriser le parcours du demandeur d’emploi. La formation apporte une maîtrise de la transformation du poisson mais également des connaissances globales sur la reconnaissance d’espèces, le conditionnement, l’expédition, l’HACCP et donne une vision d’ensemble propice à une évolution professionnelle.

 

 

 

  Vincent Coatanea, directeur du Centre de formation
aux produits de la mer et de la terre (CFPMT)
 
 
 

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« Une belle dynamique
dans la filière. »

 

 
 

Qu’elles sont les spécificités du CFPMT en matière de formation ?
Il a été créé par des professionnels locaux pour répondre à leurs besoins en ressources humaines. D’abord dédié aux produits de la mer, il a accompagné le développement de l’industrialisation et s’est ouvert à d’autres filières de l’alimentaire, boucherie, fromagerie et pâtisserie, en lien notamment avec la grande distribution. Il assure 70 000 heures de formation par an pour 1 400 personnes.
Je suis tout à fait d’accord avec le sens de la réforme actuelle de la formation, la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui passe d’une logique d’offre à celle de la demande. Le besoin de formation doit partir de la branche, des entreprises.
Dans ce cadre, quels sont vos rapports avec l’UMF ?
Nous travaillons régulièrement avec les organisations professionnelles de Boulogne qui sont adhérentes. Nous les aidons à répondre à des besoins collectifs, comme la formation des demandeurs d’emploi avec des préparations opérationnelles à l’emploi, ou ce qui va devenir Pro A, l’ex-période de professionnalisation pour les salariés.
Il existe un engouement des entreprises pour les formations diplômantes ou certifiantes, et le CQP en est l’illustration. On peut penser que la demande va croître, d’autant qu’un nouveau CQP devrait voir le jour, qui fera appel à des compétences différentes : métiers, produits, langues…

Quel regard portez-vous sur l’avenir de la filière ?
La courbe démographique est plutôt vieillissante, mais en même temps, cela va représenter une formidable opportunité en libérant de nombreux emplois. La demande du mareyage ou de l’industrie en main-d’œuvre qualifiée ne faiblit pas. Je pense que l’on va aller vers moins de spécialisation et plus de polyvalence. Le métier va évoluer vers du multitâche, car le mareyage se mécanise toujours plus. À moyen terme, nous n’irons peut-être pas vers de la robotique, mais au moins de la cobotique, qui implique une action conjointe de l’homme et de la machine. Même si le secteur à ses particularités liées à un produit en partie sauvage et à l’importance majeure de l’action humaine.

Comment lutter contre le déficit d’image, susciter des vocations et revaloriser les métiers ?
Je suis plutôt positif et ne pense pas que le mareyage souffre vraiment d’un déficit d’image. Nous formons 35 apprentis chaque année, entre les CAP mareyage et poissonnerie. Même si 80 % de notre clientèle est constituée de salariés d’entreprise, nous continuons à former des demandeurs d’emploi et des apprentis, en prise directe avec les mareyeurs. Dans ce secteur, nous ne manquons pas de candidats car il existe du travail à Capécure, juste à notre porte. Nous avons un peu plus de difficultés avec la poissonnerie, qui implique de la mobilité. Mais globalement, il existe une belle dynamique dans la filière du poisson. Quant à la modernité, on peut rappeler que nous travaillons en partie avec des logiciels 3D pour apprendre les meilleurs gestes avec précision.

 

 

 

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