Quand les circuits de distribution commencent à éclater

Le 06/11/2018 à 9:40 par La Rédaction

 

Les produits aquatiques répondent à de multiples tendances de consommation. Pourtant, le marché stagne. Et si le phénomène était lié à l’offre proposée dans les nouveaux circuits de distribution qui grignotent des parts de marché aux hypermarchés ? Une question au cœur des échanges du Labo de l’innovation de PdM qui s’est tenu le 25 septembre, à Rennes.

 

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❱ Alors que pour l’ensemble des produits frais et de grande distribution, les ménages se détournent des hypermarchés au profit des supermarchés et des enseignes de proximité, pour les produits aquatiques, c’est l’inverse. « C’est plus facile pour les hypermarchés d’avoir un beau rayon marée qui dynamisera les ventes, explique Cécile Guillot. D’autant que les supermarchés n’ouvrent pas leur banc marée tous les jours. »

❱ Plus de 12 % des ménages français ont acheté des produits traiteur de la mer en ligne en 2017, un peu plus de 10 % du thon en boîte, entre 4 et 6 % du saumon fumé et du surimi. Et seulement un peu plus de 2 % du poisson frais découpé.
Un manque de choix ? « C’est le problème de la poule et de l’œuf, mais les Français restent hésitant à acheter leur produits frais dans les drives », souligne Cécile Guillot.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le paysage de la distribution éclate. Alors que « le modèle de l’hypermarché perd significativement des parts de marché dans l’alimentaire », note Cécile Guillot, chef de l’unité pêche et aquaculture du département études et prospectives de FranceAgriMer, les nouveaux concepts n’en finissent pas de fleurir : les uns spécialisés dans le bio, les autres sur les segments des produits frais, des seniors, des produits locaux, etc.

En parallèle, pour séduire un consommateur « de plus en plus soucieux de manger sainement mais pressé par le temps, alors que le frigo est vide le mercredi », évoque Victoire Coursier, responsable grand compte chez Epicery.com, les services de livraison de repas à domicile, tels Deliveroo, Foodora ou encore UberEats se développent. Quant aux circuits courts, type Poiscaille ou la Ruche qui dit Oui, ils font de plus en plus d’adeptes.

« L’achat en ligne, pour beaucoup du drive, connaît une croissance continue. 27 % des Français y ont recours pour les produits de grande consommation et le frais. Ce chiffre devrait grimper car les moins de 35 ans sont 44 % à utiliser ce canal, poursuit Cécile Guillot. Ce développement du e-commerce est visible aussi pour les produits aquatiques, même si cela reste marginal. » De fait, seuls 1,7 % des volumes de poisson frais sont vendus par ce biais. En traiteur, ce chiffre s’élève à 3,7 %, en surgelé 6,1 % et en conserve 5,1 %. Surtout, cela concerne un nombre limité de produits, « pour lesquels la question de la chaîne du froid est considérée comme moins sensible aux yeux des consommateurs », souligne Cécile Guillot.

Mais, à considérer l’offre de produits aquatiques des drives en France, on peut se demander si le faible nombre de références proposées n’est pas aussi cause de méventes. « Pour moi, les grandes surfaces font une erreur en ne développant pas l’offre sur le drive », défend Pierrick Lec’Hvien, en tant qu’expert de la filière et de la distribution plus que comme directeur de la filière marée de Système U. Mais pourquoi ne le font-elles pas ? « L’objectif des enseignes est d’inciter les consommateurs à revenir en magasin, de rentabiliser les mètres carrés, poursuit-il. De plus, le drive est un service qui requiert du personnel et de l’organisation. Ce service a un coût qu’il est impossible de répercuter dans le modèle actuel de la distribution française, centré sur le prix. Pour le faire, il faudrait aller plus loin dans la valeur ajoutée, dans le service. Or, face aux chantiers menés dans le secteur, il est difficile de tester des solutions. »

Et le directeur de rêver pour ses chefs de rayons marée d’une application « push », comme celle qu’a développé Mericq. Depuis deux ans, l’entreprise dont Charlotte Abadie est directrice générale déléguée a mis au point une application mobile « qui nous permet, en temps réel, de faire connaître à nos clients les opportunités de pêche que nous pouvons avoir un peu partout en France. Ils reçoivent un SMS et peuvent commander automatiquement à partir de leur téléphone. Leur commande partira ensuite dans les circuits logistiques classiques. Mais ils ont accès facilement à l’information sans que l’on ait à les appeler un par un. C’est un gain de temps. Mais nous ne l’utilisons que pour les opportunités, pas pour le gros des volumes ».

« Imaginez qu’il soit possible pour un chef de rayon marée ou un poissonnier qui passe sa commande deux jours à l’avance de faire savoir à sa clientèle locale, par un simple post, qu’il aura un arrivage de saint-jacques. La moitié serait vendue le matin même », s’enthousiasme Pierrick Lec’Hvien, qui regrette, tout en comprenant, « l’inertie des grandes surfaces, qui laissent la place à de nouveaux entrants qui grignotent des parts de marché ».

Parmi eux, des acteurs comme Epicery.com, qui s’appuient sur le savoir-faire des artisans. « Ce sont eux qui ont le savoir-faire et la meilleure connaissance des produits, justifie Victoire Coursier. Notre objectif est d’être un intermédiaire entre ces commerçants de quartier et des clients qui n’ont pas le temps de se rendre chez eux. Là, il leur suffit de commander sur internet ou leur application mobile, avec comme porte d’entrée le commerçant de leur choix. Ils peuvent être livrés en 1 heure. Pour le commerçant, Epicery devient une nouvelle boutique. Nous leur offrons une solution digitale clé en main. »

En échange de 25 % du chiffre d’affaires apporté, Epicery.com digitalise le catalogue du commerçant : photos des produits, de la boutique. La plateforme met aussi à disposition une tablette pour que le poissonnier, le boucher ou le fromager puisse gérer ses stocks en temps réel, modifier chaque matin ses prix « qui doivent être les mêmes que ceux de la boutique », ou recevoir les commandes. Epicery prend aussi en charge la livraison des clients.

« Les outils sont très intuitifs et même quelqu’un de non technophile comme moi peut s’y habituer en moins de deux semaines », souligne Arnaud Vanhamme. Le meilleur ouvrier de France en poissonnerie, installé dans le 16e arrondissement de Paris, fait partie des premiers commerçants à avoir rejoint la plateforme. « Étant donné les problèmes de stationnement et de pollution à Paris, on comprend que les clients aient du mal à s’arrêter en boutique et préfèrent se faire livrer, précise-t-il. Je suis sûr que dans dix ans, 40 à 60 % de mes ventes se feront en ligne à Paris. Alors, même si 25 % du chiffre d’affaires, c’est beaucoup, nous devions nous lancer. Cela nous permet de capter une clientèle que nous n’avions pas. » Il est convaincu qu’avec le temps, avec des volumes qui « s’accroissent de 15 à 20 commandes par mois », les coûts de livraison finiront par tomber.

Aujourd’hui, dans le modèle Epicery, le client est aussi sollicité à hauteur de 2,90 euros par commerçant dans un rayon de 2,5 km et de 4,90 euros pour 5 km. « En fonction des produits commandés, nous optons pour différents modes de livraison : vélo cargo, voiture, à pied, avance Victoire Coursier, mais demain nous sommes ouverts à toutes les solutions : click and collect, boîte réfrigérée près des gares… »

Des solutions qui ne manqueront pas d’arriver, selon Pierrick Lec’Hvien : « Aujourd’hui, le dernier kilomètre est hors de prix, mais je constate que les initiatives pour le réduire se multiplient. » Pour Charlotte Abadie, cependant, les innovations qui se dessinent dans la logistique concernent surtout les périphéries urbaines. « À la campagne ou à l’international, beaucoup de choses restent compliquées sauf à nouer des partenariats avec de grands groupes. Des travaux sur le sujet sont menés, nous en avons grandement besoin, précise-t-elle. De la même façon, nous devons aujourd’hui trouver des partenaires dans la filière, pour innover dans la transformation, le conditionnement, etc. Le prix Coup de cœur remis à Skinpack Océan, pour ses poissons de nos côtes pasteurisés à froid et glissés dans un emballage skin micro-ondable, est un bel exemple de l’esprit collaboratif qui doit régner pour apporter une satisfaction au client, quel que soit le circuit où il va. Sinon, les investissements sont trop lourds. Or, pour Mericq, l’essentiel reste de se concentrer sur l’amont de la filière. Pour alimenter les marchés, il faut de la ressource. »

À cet égard, Pierrick Lec’Hvien est convaincu qu’on ne pourra pas proposer une offre large partout. « Est-ce d’ailleurs utile ?, questionne-t-il. Avec les comportements parfois contradictoires des consommateurs et les multiples solutions qui se développent, je ne suis pas certain qu’il faille systématiquement étendre une offre au-delà des basiques : moules, saumon, cabillaud… Pour limiter la casse et les coûts logistiques, on va développer des offres à DLC poussées qui risquent d’être déceptives. »

Reste qu’avec la méconnaissance des Français vis-à-vis des produits de la mer, cet éclatement des circuits pourrait conduire à renforcer la consommation d’un nombre très réduit d’espèces. « Pas forcément, réagit Victoire Coursier. Car à un moment donné, ceux qui aiment le poisson auront envie d’en découvrir de nouveaux. Pour cela, ils iront en boutique, découvrir et récupérer des conseils auprès de professionnels comme Arnaud Vanhamme. C’est important de jouer la complémentarité. »

« Le savoir-faire ne peut pas se digitaliser. La boutique sera de plus en plus une vitrine, derrière laquelle nous aurons des zones de préparation de commandes », confirme ce dernier, qui travaille main dans la main avec Epicery à imaginer des solutions digitales pour gérer les promotions, la mise en avant des offres du jour : sushi maison, paella ou autres.

Céline ASTRUC – Photos : Thierry Nectoux

 

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