Réduire les troubles musculo- squelettiques

Le 10/02/2020 à 9:47 par La Rédaction

 

Jean Collin • Courtin
pdg


« Une personne qui
se sent bien au travail
est moins absente. »

 

Fanny Reffet • Chancerelle
responsable sécurité
et environnement

« L’organisation globale
du travail minimise es facteurs de risque. “ »
.

 

Étienne Mell • Courtin
responsable de production


«
L’automatisation de certaines tâches permet d’éviter certains troubles. »

 

Les TMS (troubles musculo-squelettiques) sont particulièrement présents dans le secteur des produits de la mer, avec des risques spécifiques, générant des arrêts pour maladie professionnelle. Les acteurs de la filière s’impliquent pour apporter des réponses concrètes dans leurs ateliers, à l’image des conserveurs bretons avec lesquels PDM a évoqué les solutions à apporter, différentes selon la taille de l’entreprise.

Sommaire

1- Depuis quand les TMS représentent-ils une priorité dans votre entreprise ?

2- Existe-il un cadre législatif contraignant ?

3- Lorsqu’une entreprise aborde ces problématiques, quels interlocuteurs a-t-elle face à elle et quelles sont les aides possibles ?

4- Pouvez-vous nous donner des chiffres qui illustrent votre volonté d’agir et les enjeux économiques ?

5- Comment articule-t-on la réflexion entre conception des locaux et investissement dans les équipements ?

6- Les équipementiers apportent-ils des solutions globales ?

7- Quelles ont été les grandes étapes de votre démarche et les réponses concrètes ?

8- Qu’en est-il des technologies nouvelles et plus coûteuses comme la cobotique (collaboration homme-robot), la robotique… qui apportent de réelles solutions ?

9- Comment gère-t-on d’ailleurs automatisation et image d’artisanat ?

10- Envisagez-vous de nouveaux investissements ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1- Depuis quand les TMS représentent-ils une priorité dans votre entreprise ?
Jean Collin : Depuis une quinzaine d’années, nous avons une plus grande conscience de la pénibilité de certains postes dans les conserveries, avec l’environnement humide, les gestes répétitifs, les charges lourdes… Il est question du bien-être des collaborateurs mais aussi de l’économie de l’entreprise puisque les arrêts pour accident ou maladie coûtent, en termes de cotisations sociales notamment.

Fanny Reffet : Le taux des cotisations d’accidents du travail et maladies professionnelles de la Carsat (1) prend en effet en compte les sinistres des trois années précédentes. J’exerce mon métier depuis dix années dans l’agroalimentaire et les problématiques de prévention des risques professionnels constituent un sujet majeur. Elles ne sont plus perçues comme une contrainte, une obligation, même si les pressions externes existent pour une amélioration continue. Elles constituent plutôt aujourd’hui un enjeu stratégique dans le cadre d’une politique de développement durable.

2- Existe-il un cadre législatif contraignant ?
J.C. : Nous avons effectivement une obligation de résultat. Mais je suis tout à fait d’accord avec cette perception. Il y une quinzaine d’années, les contrôles pouvaient effrayer, être synonymes de sanctions. Ce qui a changé, avec des organismes comme la Carsat, c’est l’aspect prévention. Ces services sont là pour accompagner les évolutions. Dans notre nouveau bâtiment construit en 2017, ils ont été très actifs pour l’améliorer et mettre en place les nouveaux process de fabrication.

3- Lorsqu’une entreprise aborde ces problématiques, quels interlocuteurs a-t-elle face à elle et quelles sont les aides possibles ?
J.C. : La Carsat, particulièrement, en tant qu’organisme de prévention des risques. Les TMS en font partie, au même titre que les accidents du travail et les maladies professionnelles. À ce titre, nous avions profité d’une enveloppe globale d’aides.

F.R. : En tant qu’entreprise de taille intermédiaire, nous sommes moins accompagnés par la Carsat sur les TMS mais plutôt par les services de la santé au travail, qui disposent d’un pôle ergonomie avec une expertise très poussée. Ils mettent à disposition des moyens importants pour faire des études de postes, accompagner des projets d’amélioration des conditions de travail…

4- Pouvez-vous nous donner des chiffres qui illustrent votre volonté d’agir et les enjeux économiques ?
F.R. : Sur les TMS, l’indicateur le plus pertinent est celui des maladies professionnelles plus que celui des accidents. Nous disposons d’un tableau de bord, avec des objectifs annuels, et observons les taux de fréquence et de gravité. Mon poste a été créé en 2015 pour structurer cette approche. Et, entre 2016 et 2019, nous avons constaté une baisse d’un tiers de la fréquence des maladies professionnelles. C’est encourageant, alors que le contexte est plutôt défavorable dans le sens où nous sommes sur une population à risque : il s'agit d'une production manuelle avec un effectif très féminin, plus sujet aux TMS, ainsi qu’une ancienneté et un âge moyen importants.

5- Comment articule-t-on la réflexion entre conception des locaux et investissement dans les équipements ?
J.C. : En amont, les différents organismes (Carsat, services vétérinaires, etc.) travaillent avec nous. Ils apportent idées et savoir-faire en termes d’humidité et d’atmosphère ambiante, de qualité des sols… Puis, on analyse les différents postes.

F.R. : De notre côté, nous sommes passés, en 2015, par un rapatriement des activités de l’ancienne usine du port vers deux sites dédiés au thon et à la sardine. Nous avons, dans un premier temps, assuré la poursuite de la production. Et depuis, nous sommes davantage dans un travail d’investissement et de modernisation.

6- Les équipementiers apportent-ils des solutions globales ?
Étienne Mell : C’est à l’utilisateur de définir un cahier des charges, élaboré avec la Carsat, des ergonomes et les opérateurs auxquels nous expliquons le projet. Dans une petite structure comme la nôtre, c’est facile.

J.C. : Il est assez rare que les machines standards fassent d’emblée l’affaire. Et nous avons généralement besoin d’un ensemble, ce qui nécessite de la conception, du sur-mesure et de l’adaptation dans le temps.

F.R. : Nous avons développé des relations privilégiées avec certains équipementiers qui disposent de bureaux d’études (CTS, Solsin, Guelt par exemple). Ils connaissent bien nos contraintes et exigences, et les intègrent dans les nouveaux équipements. C’est particulièrement vrai concernant le convoyage et les systèmes d’approvisionnement de lignes qui concentrent les enjeux en matière de TMS, en termes de hauteur, de conception… Au-delà des équipes de production, nous intégrons aussi les équipes de maintenance, de nettoyage. Elles travaillent de nuit et sont parfois en dessous de nos radars alors que les besoins sont concrets. Elles souffrent autant de TMS.

E.M. : Chez nous, l’opérateur prépare son chantier, assure l’opération, nettoie et suit la maintenance. Et nous veillons de plus en plus à disposer d’outils facilement nettoyables. Cela améliore les conditions de travail mais aussi la productivité. De grands équipementiers, comme ceux des stérilisateurs, disposent de machines qui s’intègrent à des lignes voire commercialisent des lignes complètes. Après, d’autres fabricants, comme le breton Guelt, sont à la fois proches et dotés d’une réelle expertise. Il y a toujours des réglages à effectuer et la proximité est précieuse.

F.R. : L’enjeu porte sur l’intégration de l’ensemble et pas sur chaque machine individuellement. C’est d’ailleurs l’organisation globale du travail qui minimise les facteurs de risque à l’origine des TMS. On privilégie souvent une approche biomécanique, en ciblant les contraintes physiques : gestes, mouvements, postures. Mais il y existe d’autres facteurs, individuels (âge, sexe, antécédents médicaux, histoire de vie…), l’ambiance (température, humidité, vibration…) et surtout l’organisation du travail : horaires, polyvalence, sens et reconnaissance. Ce sont les facteurs psychosociaux. Une démarche de prévention efficace doit prendre en compte tous ces axes. Certaines personnes sont exposées à une réelle pénibilité physique mais ne déclarent jamais de TMS car elles sont bien dans leur travail. Elles sont autonomes, trouvent du sens à leur tâche, entretiennent de bonnes relations avec leurs collègues. D’autres, sur des postes pas forcément très sollicitants mais sans marge de manœuvre, subissent la cadence sans autonomie et vont déclencher des TMS. Si l’on subit un choix, même le meilleur, on ne va pas l’accepter par principe : l’humain est comme cela, le Français en particulier et le Breton encore plus !

E.M. : Tout à fait d’accord. Et je crois que, pour que quelqu’un trouve du sens à son travail, il doit maîtriser son poste, de l’amont à l’aval. Pour cela, nous favorisons l’autonomie des personnes. La production pure prend quelques heures dans une journée. Le reste est consacré à une bonne organisation pour bien faire les choses. Cela contribue aussi à la montée en compétences des employés. Une personne qui se contentait au début, par exemple, de mettre les boîtes sur la ligne et de les récupérer, va ensuite prêter attention aux capteurs, au graissage de la machine, à la qualité des sertis… Elle est plus responsable et respectueuse de son travail et de ses collègues.

F.R. : Dans l’industrie, il existe un risque de fractionner les tâches à outrance et de les vider de leur sens.

J.C. : Une personne qui se sent bien au travail est moins absente. Si elle connaît bien son poste et sa machine, elle sait faire face à des arrêts et limite les moments de non-production. Tout cela se tient, y compris économiquement.

7- Quelles ont été les grandes étapes de votre démarche et les réponses concrètes ?
E.M. : Clairement, c’est l’automatisation de certaines tâches qui permet d’éviter certains troubles. Comme sur ce fameux poste de touillage de la soupe à la main. Aujourd’hui, elle est brassée en permanence et mécaniquement dans une cuve de 1 000 litres. Moins de manipulations physiques et répétitives égal moins de TMS.

F.R. : Étripage, emboîtage, parage… tout est manuel chez nous. Sur une partie de la ligne, nous avons installé des sièges. Mais cette posture a aussi des inconvénients : il faut lever les bras plus haut et les épaules sont plus sollicitées. Du coup, nous avons organisé une rotation entre les postes assis et debout. Mais la rotation et la polyvalence ont aussi leurs limites. Elles peuvent déresponsabiliser les personnes vis-à-vis d’une tâche qu’elles ne réalisent pas intégralement. Il ne faut pas qu’une personne se sente dépossédée d’un savoir-faire, même sur une tâche à forte pénibilité… qui peut paradoxalement faire partir du savoir-faire !

8- Qu’en est-il des technologies nouvelles et plus coûteuses comme la cobotique (collaboration homme-robot), la robotique… qui apportent de réelles solutions ?
J.C. : Dans le milieu des produits de la mer, il n’est pas facile de tout automatiser. Vider le chinchard, par exemple, avant d’élaborer une soupe, ce n’est pas évident. Un robot a un coût et nécessite des compétences de maintenance, de fonctionnement. Il peut faire économiser un ou deux postes, mais il faut en créer d’autres parallèlement. Ce n’est pas une machine magique que l’on pose et qui marche seule pendant 20 ans ! La réflexion est toujours présente mais ce n’est pas la solution miracle.

E.M. : Nous procédons par étape. Nous passons du manuel au semi-automatique avec des solutions qui existent et que nous adaptons. Puis nous regardons la productivité et la rentabilité. Mais nos cadences et nos rythmes de travail ne sont pas adaptés à du tout-automatique. Chaque chose en son temps !

F.R. : Le point de départ est toujours le même : trouver la solution adaptée au besoin. Chez Chancerelle, notre vision est de supprimer toutes les tâches sur lesquelles l’homme n’a aucune valeur ajoutée, ce que l’on nomme la pénibilité gratuite. Nous installons actuellement un outil cobotique d’aide à l’opérateur sur l’un de nos postes. L’idée est d’alléger la charge physique sur la manutention de grilles de cuisson. L’outil permet de limiter l’effort et les postures pénibles. Il ne s’agit pas d’un exosquelette mais d’un préhenseur, avec un système de capteur sensible. Mais même en fin de ligne, nous n’avons pas de robot. Toute la palettisation est encore manuelle.

J.C. : Notre état d’esprit reste le même. Nous essayons toujours d’améliorer ce qui est pénible. Notre fameux confit de noix de saint-jacques, par exemple, est encore élaboré à l’ancienne, à la main de A à Z. Une étape consiste à découper des pains de marins d’une livre et demie dont on découpe la croûte pour la chapelure et mélange la mie. Nous avons récemment investi dans un couteau pneumatique. Ici, on ne parle donc pas d’automatisation d’une tâche mais nous avons aidé la personne à la réaliser avec moins de difficulté physique.

9- Comment gère-t-on d’ailleurs automatisation et image d’artisanat ?
E.M. : Nous conservons l’expertise là où il y a du savoir-faire. Et il n’y en a pas forcément dans les travaux répétitifs, de manutention par exemple. La mise en carton de nos boîtes pourrait notamment être automatisée. Notre plus-value réside dans la qualité des matières premières, des recettes, la maîtrise des process…

J.C. : Les nouvelles générations n’acceptent d’ailleurs plus ce genre de tâches. Et l’automatisation peut attirer de nouvelles compétences, avec de nouveaux besoins en termes de pilotage, de programmation, de maintenance.

10- Envisagez-vous de nouveaux investissements ?
F.R. : Nous sommes engagés dans une démarche d’amélioration continue donc, chaque année, nous faisons un bilan et fixons de nouveaux objectifs santé et sécurité. En 2020, nos priorités sont la lutte contre les TMS et le maintien dans l’emploi : deux choses complémentaires. Nous avons des investissements importants prévus et des plans de formation denses. Nous allons par exemple poursuivre le déploiement de l’éveil musculaire à la prise de poste. Cela évite les accidents à froid, limite l’apparition des TMS mais crée aussi du lien dans l’équipe. Nous allons aussi remplacer le système de ventilation de l’usine de sardine pour améliorer la qualité de l’air.

E.M. : Notre projet 2020 porte sur la reprise des boîtes après le sertissage, avec un convoyeur, un laveur et un encageur automatiques avant la stérilisation. La sortie, elle aussi, sera automatisée, avec, à suivre, une table d’accumulation en amont de l’étiqueteuse. Il s’agit des postes les plus pénibles et répétitifs.

J.C. : Nous sommes clairement ici dans la prévention des TMS et profitons d’une aide financière de la Carsat relativement importante : de l’ordre de 50 000 euros sur un investissement de 115 00 euros.

(1) Caisse d’assurance retraite et santé au travail

Propos recueillis par Dominique GUILLOT - Photos Thierry NECTOUX

 

 

   Lexique

 
 

Les troubles musculo-squelettiques (TMS) :

Affections périarticulaires provoquant des douleurs aux poignets (syndrome du canal carpien), aux coudes (épicondylite, épitrochléite), aux épaules (tendinite des bras tendus) et des lésions chroniques de la colonne vertébrale (cervicalgies, lombalgies).
L’évaluation des risques professionnels, l’aménagement de l’environnement de travail, l’utilisation d’équipements ergonomiques, les mesures de prévention collective (sécurité des machines, état des sols…), le port d’équipements de protection individuelle appropriés, le respect des mesures d’hygiène (tenue agroalimentaire) et des principes du système HACCP (2) permettent de diminuer les diverses nuisances et de réduire fortement les risques professionnels.

(2) Analyse des dangers et points critiques pour leur maîtrise.

Source : Pierre-Yves Le Gall – Carsat Bretagne.

 

 

 

 

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