Au Labo de l’innovation de PDM, à Rennes, le 24 septembre, il y avait bien sûr la révélation des gagnants des Coups de cœur de l’innovation (lire le PDM d’octobre). Mais aussi des débats intenses. Petit aperçu de la table ronde sur la réduction du bilan carbone et de la pollution plastique, avec de belles initiatives dans les emballages et la logistique. Les intervenants prennent ce sujet à cœur. Comme nous.
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Florence Blanchet, « Il y a 20 à 30 ans, on a supprimé des emballages en bois, dont les caisses à poisson que nous fabriquions. Mais la roue tourne, l’intérêt pour le bois revient. Tout reste à développer. » |
Érik Vallée, « Il a fallu deux ans de tests pour optimiser l’emballage, les matières, les plans de découpe de la BBC Pack. Des partenaires ont développé l’outillage spécifique pour industrialiser la fabrication. » |
Alexandre Masson, « On se bat au quotidien pour promouvoir la pêche française avec une belle quote-part de Pavillon France et notre marque Fraîcheur du jour, captant dans les criées le plus beau de la pêche côtière. » |
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Adrien Cagna, responsable qualité de la Scapmarée « Les petits conditionnements ont pour but d’attirer de nouveaux consommateurs au rayon poisson et de limiter la casse. L’emballage est le plus visible mais réduire le conditionnement limite le gâchis. » |
Brigitte Delanchy, « Notre chance extraordinaire, |
Vincent Storti, « À partir du 1er janvier 2020, je bannis totalement les sacs plastique jetables de nos poissonneries. Nous avons fait faire des cabas réutilisables pour la fin d’année, ils seront vendus 50 centimes. » |
1- PDM : Des alternatives au plastique sont explorées dans l’emballage des produits de la mer, comme la barquette en bois étanche de Blanchet. Comment est né ce projet ?
Florence Blanchet : L’idée de la BBC Pack remonte à 2008. Les demandes étaient de plus en plus fortes pour un packaging en bois collé plutôt qu’agrafé, et pour de l’étanchéité. En particulier pour les coquillages vivants et cuits. Pourquoi ne pas pelliplaquer le bois pour le rendre étanche ? Mais Blanchet reste une PME de 48 salariés, nous avons beau avoir un service R & D, nos premiers prototypes n’étaient pas concluants. Connaissant Érik Vallée, je me suis tournée vers Haliocéan pour reprendre le projet.
Érik Vallée : Pour faire un contreplaqué pliable, nous avons travaillé sur la maille, qui sert de charnière à l’intérieur du bois, et sur la colle. Il fallait qu’elles soient à usage alimentaire, avec une bonne résistance mécanique et à l’humidité. Il a fallu deux ans de tests pour optimiser l’emballage, les matières, les plans de découpe. Un film complexe, qui a des propriétés de thermoformage, épouse le bois. Des partenaires en Europe, notamment en Bretagne, ont développé l’outillage spécifique pour industrialiser la fabrication. Aujourd’hui, on met la plaque de bois dans la ligne et l’emballage ressort collé et pelliplaqué. Nous sommes en phase d’installation de l’outil.
2- Quand ces barquettes seront-elles sur le marché ?
F.B. : Ce sera prêt fin novembre pour notre premier client, la société GlobeXplore, qui a cru en ce projet, pour ses salades d’algues fraîches. La commercialisation étendue des deux gammes commence début 2020 : le libre-service et la palettisable, aux tailles traditionnelles, déclinables en diverses hauteurs.
É.V. : Les utilisateurs peuvent les passer sur une operculeuse classique, comme les barquettes en plastique.
3- Qu’en est-il du recyclage après usage ?
É.V. : Cet emballage contient 77 % de bois, facilement séparable du film plastique (NDLR, démonstration à l’appui).
4- La Scapmarée, centrale d’achats de Leclerc, appelle justement aux emballages alternatifs…
Alexandre Masson : Ce challenge sur l’emballage s’inscrit dans une démarche globale. Le libre-service concerne à peu près 200 références sur les 600 à 650 quotidiennes. Le sauvage, pesant 45 % en 2018, prend de l’ampleur. On se bat au quotidien pour promouvoir la pêche française avec une belle quote-part de Pavillon France et notre marque Fraîcheur du jour, pour capter dans les criées le plus beau de la pêche côtière. Il faut bien acheter mais aussi bien livrer. Notre coopérative approvisionne 600 points de vente sur le territoire, cinq fois par semaine, à 7 heures du matin au plus tard. Pour des produits en criée à 5 h 30, c’est du sport !
Adrien Cagna : Nous avons entamé une reconnaissance « sourcing responsable » avec Bureau Veritas, selon la norme Iso 26000. Un groupe de travail regroupe des ONG, associations de consommateurs et professionnels du secteur, amont et aval. Les thèmes abordés : qualité, environnement, empreinte carbone, respect de la ressource, partie sociétale. Nous visons plus de labels MSC, Pavillon France, ASC, Label rouge, bio et sous filière Scapmarée. Nous travaillons sur l’empreinte carbone, la logistique et donc ce challenge écoemballage. Lancé en juin, il vise des alternatives recyclables aux conditionnements actuels, pour la barquette en LS, poissons et moules, et la caisse marée en polystyrène : emballages biosourcés, matériaux végétaux, issu de recyclage… Il faut a minima un certificat d’alimentarité.
5- Sur la caisse marée, vous êtes ouvert à la consigne ?
A.C. : Oui. Des fabricants nous proposent des emballages en carton, des caisses marée en polypropylène réutilisables, avec couvercle. Derrière, il y a une chaîne logistique à prévoir. Des candidatures arrivent encore, nous avons repoussé le délai pour avoir le maximum de retours. Nous démarrons les tests d’ici la fin d’année, en incluant toute la filière : fournisseurs, transporteurs, plateformes de préparation de commandes et magasins. Les lauréats, élus début 2020, auront des dotations financières et un contrat d’achat. Par exemple de 2 500 à 25 000 contenants pour la caisse marée.
6- Les perspectives de volumes sont plus importantes ?
A.C. : Oui, ça peut concerner 15 à 17 millions de conditionnements, via nos fournisseurs. Le but est d’inclure ces solutions dans nos cahiers des charges. Nos fournisseurs travaillent aussi à des alternatives et sont très demandeurs pour les tests.
7- Florence Blanchet, vous candidatez ?
F.B. : C’est fait, sur la barquette LS. C’est une opportunité pour lancer notre nouveau concept et montrer que le bois a sa place sur certains linéaires. J’en suis convaincue.
A.C. : La Scapmarée vise 100 % d’emballages recyclables d’ici 2022. Nous voulons aussi standardiser les tailles de conditionnement pour être plus performants dans la palettisation et la logistique ; avec du plus petit conditionnement pour limiter le gâchis alimentaire. Et travailler plus en local, pour limiter notre empreinte carbone.
8- Côté logistique, comment les transporteurs limitent-ils les émissions de carbone ?
Brigitte Delanchy : Le transport routier est stigmatisé depuis longtemps mais mes camions aux nouvelles normes européennes Euro 6 et Euro 6d polluent deux fois moins que vos voitures. Ça laisse pantois ! Nos camions ont tous moins de quatre ans, alors que la moyenne en Europe est à douze ans. Beaucoup de pays utilisent encore des diesel Euro 3 ou Euro 5, qui eux polluent quatre fois plus que les voitures. Mais faut-il arrêter la deuxième vie des véhicules, avec le risque de créer des clivages ? Le développement durable est une problématique de riches. Le camion est un outil, nous ne cherchons pas à avoir les plus gros, les plus beaux, mais les mieux adaptés à la diversité de nos transports : ramasse, urbain, distribution... Nous avons un panel de véhicules de puissances différentes et travaillons avec les constructeurs sur leurs émissions.
9- Quels modes de propulsion privilégiez-vous ?
B.D. : Pourquoi ne pas étendre demain le camion électrique que nous testons dans l’agglomération de Lyon depuis deux ans ? Notre prototype fait de petites tournées, est très propre, avec un gabarit qui permet de le rentabiliser. Au départ, les batteries prenaient trop de place mais le travail avec les constructeurs a été fructueux. En Normandie, à Blainville, en janvier 2020, sortiront les premiers camions électriques de capacité 16 tonnes. J’aurai le premier. L’industrialisation a gagné deux ans. D’autres camions sont équipés au gaz. Et une énergie nous passionne depuis toujours, propre, stockable : l’hydrogène. Nous sponsorisons le bateau Energy Observer pour promouvoir l’hydrogène vertueux, pas fait avec le pétrole ou l’énergie nucléaire mais en scindant la molécule d’eau.
10- À votre avis, à quel horizon cette technologie équipera-t-elle vos camions ?
B.D. : Peut-être plus vite qu’on ne l’imagine. Je ne devrais pas le dire mais j’aurai la chance d’avoir un prototype d’ici la fin de l’année. Les spécialistes me donnaient un horizon 2030-2035, mais comme j’y crois et que je suis obstinée, aujourd’hui ils me donnent 2025. Et je pense que ce sera plus court. Mais se posera la question du réseau de distribution de l’énergie, c’est toute la difficulté. Nos conducteurs sont aussi sensibilisés à la conduite économique. Un outil digital leur donne la circulation pour que ce soit fluide et qu’ils évitent d’émettre du CO2 dans les bouchons. Avant toute chose, nous sommes des gestionnaires de flux, c’est ce qui nous anime.
11- Comment optimisez-vous ces flux ?
B.D. : C’est notre plus grande préoccupation. L’entreprise a été créée il y a 50 ans sur une ligne Lorient-Lyon. Autant ne pas faire 1 000 km à vide ! Nous mettons des camions pour la ramasse chez nos clients et nos plateformes de consolidation mixent et massifient les flux. Comme le hub de La Gravelle, en Mayenne, qui peut voir des flux venir de Loire-Atlantique, Bretagne, Normandie et repartir vers d’autres destinations. Nous sommes sur une économie de cueillette, incertaine, avec ses saisonnalités… Notre outil digital nous servira à éviter les kilomètres à vide, qui coûtent à la planète et au client, qu’il faut sensibiliser. Transporter de l’air a un coût énorme, il faut du bon sens. Notre chance extraordinaire, c’est de pouvoir être tous acteurs d’un monde qui doit se réinventer. Il n’y a pas un schéma mais des solutions.
12- Vincent Storti, poissonnier, est à l’initiative de l’une d’elle, pour lutter contre le sac plastique jetable.
Vincent Storti : Nous avons fait faire un emballage biodégradable sur mesure, à base de papier kraft, comme une grosse enveloppe, en trois formats. Ça a été difficile à mettre en place mais ça fonctionne bien. Un peu isotherme, il garde la fraîcheur et l’humidité, et ne suinte pas. Seuls les poissons que nous vidons et nettoyons ont un peu trop d’humidité. Et à partir du 1er janvier 2020, je bannis totalement les sacs plastique jetables de nos quatre poissonneries. Nous avons fait faire des cabas réutilisables pour la fin d’année, ils seront vendus 50 centimes – ils nous coûtent le double – et nous insisterons pour que les gens reviennent avec. Certains prennent déjà leur boîte hermétique, peut-être 0,5 % d’entre eux, mais ça grimpe. On revoit les paniers, les cabas à roulettes. Je suis très sensible au retour à la normalité. Quand j’ai commencé en 1982, il n’y avait que des sacs de moules en toile de jute, il n’y a pas mieux pour la réutilisation, la dégradation. Et la sardine de Méditerranée, le thon, la morue, étaient en caisses en bois.
13- Une étude montre que ces caisses conservent mieux le poisson.
F.B. : Effectivement, notre interprofession, le Siel (Syndicat des industries de l'emballage léger en bois), a fait mener une étude sur la conservation des sardines dans des emballages en bois par rapport à d’autres matériaux. Les résultats sont très probants. À sept jours, la note de fraîcheur dans l’emballage bois est 2,2 fois supérieure que dans le polystyrène.
V.S. : Je confirme. La sardine en caisse bois tenait cinq à six jours sans souci, et aujourd’hui elle ne tient que deux ou trois jours !
F.B. : Il y a 20 à 30 ans, on a supprimé des emballages bois, dont les caisses à poisson, que nous fabriquions, pour des raisons dites sanitaires. Les services vétérinaires ne voulaient plus de bois chez les mareyeurs et poissonniers, sans se baser sur des textes de loi, mais uniquement de l’interprétation. Nous n’avons pas été écoutés. Mais la roue tourne, l’intérêt pour ce produit revient. Tout reste à développer.
V.S. : Nous, les poissonniers, n’avons pas assez de demandes collectives poussant les fabricants à innover. L’emballage, aujourd’hui, c’est la question numéro un ! L’été, à la poissonnerie de Léon, je jette dix conteneurs de polystyrène par jour ! Jusqu’au jour où on me les refusera…
14- Elles partent au recyclage ?
V.S. : Non. Nous les lavons, pour les odeurs. Puis je suppose que c’est brûlé. J’ai étudié l’achat d’un compacteur, ça vaut 15 000 euros. Mais le problème, c’est le stockage avant ramassage. Il faudrait stocker de quoi remplir un camion. Une grande surface peut le faire, pas les poissonniers. J’ai envie de recycler le polystyrène, même si ça coûte la main-d’œuvre, mais je ne peux pas.
15- Du côté de Leclerc, comment sont gérées ces caisses ?
A.C. : Chaque magasin gère ses déchets. Les caisses de marée sont souvent nettoyées, compactées et récupérées par des prestataires comme Veolia, mais elles sont ensuite incinérées, sans revalorisation.
Chez Delanchy, ces caisses sont bien récupérées pour le recyclage ?
B.D. : Oui, nous repartons de chez des clients livrés avec leurs caisses de marée vides pour les emmener aux centres de compactage. C’est tout le sens qu’il faut donner à la chaîne logistique aujourd’hui. Mais très peu d’acteurs le recyclent véritablement en France, quasiment tout le polystyrène compacté ici est retraité en Chine ou en Italie.
B.D. : Le bilan carbone est catastrophique pour recycler. C’est dramatique de faire des collectes coûteuses en beaucoup d’endroits, alors qu’il pourrait y avoir un recyclage local. Le polystyrène ne peut pas resservir en alimentaire mais a d’autres vertus, pour isoler des maisons notamment. Je crois beaucoup en l’économie circulaire.
F.B. : Nous, industriels, avons cette responsabilité. Pour le bois, nous avons la chance d’avoir en local des récupérateurs pour les entreprises, qui remettent dans le circuit des palettes réparées, renvoient du bois vers du panneau d’aggloméré ou des chaufferies. Et nos petites bourriches peuvent être réutilisées chez les particuliers.
B.D. : Nous constatons aussi depuis dix ans une baisse terrifiante du poids moyen des colis transportés, tombé de 16 à 6 kg. Beaucoup sont à 2,4 kg, avec un nombre de références inimaginable ! Quand nos collaborateurs en sont à se casser le dos pour trier des petits colisages de 200 grammes, il y a des questions à se poser.
17- D’où vient cette tendance ?
B.D. : Producteur ou consommateur ? Sans doute les deux. On crée aujourd’hui de plus en plus de références, pour être le premier, mais est-on sûr que le consommateur le veut ? Est-ce responsable de vendre des huîtres emballées par six ?
É.V. : C’est toute la question du développement des rayons libre-service face aux rayons traditionnels.
V.S. : Je me bats pour acheter des bourriches de 15 kg, 10 kg minimum. Je vends l’huître à l’unité, oui, mais en vrac. Les emballer par six, c’est faire fausse route.
F.B. : Mais si nous fabriquons cet emballage, c’est qu’il y a une demande de nos clients et du marché.
A.C. : Les petits conditionnements ont pour but d’attirer de nouveaux consommateurs au rayon poisson et de limiter la casse. L’emballage pèse près de 20 % de l’impact environnemental d’un produit. Le reste, c’est notamment le transport, et surtout le gaspillage alimentaire. L’emballage est le plus visible mais réduire le conditionnement limite le gâchis.
V.S. : Justement, en poissonnerie, on utilise tout. Le poisson d’un ou deux jours part en filetage, la carcasse en soupe… Tout valoriser, faire du quasi zéro déchet, c’est mon objectif tous les jours. Pour la marge et pour ne pas jeter. Il faut bien réfléchir aux achats car le plus difficile, c’est de vendre.
18- Autre évolution, les livraisons à domicile augmentent, y compris pour le poisson, accroissant l’impact du dernier kilomètre. Les points relais sont-ils une solution ?
B.D. : Sur le trajet de l’usager, ce serait pertinent d’avoir des casiers, Amazon commence à en déployer. Nous l’avons proposé il y a dix ans et on nous regardait avec de grands yeux. L’expérience n’a pas abouti à cause du nettoyage, car hors de question de prendre un risque pour la sécurité alimentaire. Ça a freiné ce développement pour nos produits, comme la viande ou le maraîchage, mais ça ressurgira.
V.S. : Vers où ira la consommation ? Vers le pavé de saumon livré sous skin par Chronofresh, la poissonnerie ? Le bilan carbone sera lié aux choix des consommateurs. Et à leur pouvoir d’achat.
Propos recueillis par Solène LE ROUX - Photos Thierry NECTOUX