La seconde édition du Labo de l’innovation de PDM s’est déroulée fin septembre à Rennes. L'occasion de plonger au cœur d'une filière créative en termes de produits mais aussi de marchés, et qui s’engage dans le durable et le local. Retour sur l’une des tables rondes.
Propos recueillis par Dominique GUILLOT - Photos Thierry Nectoux
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Gilles Begaud, « AB Pêcheries commercialise ses propres captures avec la volonté de tendre vers la pêche la plus vertueuse possible. Pour mieux valoriser nos poissons d’eau douce, nous avons investi dans un atelier de transformation et nous travaillons avec des sociétés comme La Sablaise. » |
Marie Bevillon, « Depuis des années |
Charlotte Schoelinck, « Lisaqua se développe autour de l’idée de produits de la mer avec un impact environnemental réduit. Notre modèle de ferme circulaire combine différentes espèces pour créer un écosystème vertueux et garantir des gambas zéro antibiotique, zéro rejet polluant et zéro congélation.» |
Pascal Goumain, « Des produits bons, sains qui respectent l’environnement et le bien-être animal. |
Sommaire : 1- PDM : Gilles Begaud, d’AB Pêcheries de Loire, après une carrière d’acheteur marée chez Super U, vous vous êtes engagé dans la valorisation des produits de la Loire. Pourquoi ce choix ? 2- À quels poissons vous intéressez-vous particulièrement ? 3- Qui sont vos clients ? 4- Contrairement au monde marin, est-ce un univers où nous avons trop de poissons, avec des espèces invasives par exemple ? 5- Marie Bevillon, votre société La Sablaise collabore avec AB Pêcherie de Loire. Comment avez-vous fait ce chemin vers les produits d’eau douce ? 6- Comment s’est effectuée la connexion entre vous ? 7- Quels sont les autres produits de La Sablaise qui illustrent votre slogan ? 8- Vous avez un autre exemple plus récent… 9- La Sablaise s’est investie assez tôt dans le circuit du bio. Comment avez-vous senti l’intérêt de cette niche appelée à se développer fortement aujourd’hui ? 10- Charlotte Schoelinck, votre start-up Lisaqua, située à Nantes, propose de fournir des gambas fraîches, locales, disponibles toute l’année. Comment pouvez-vous tenir cette promesse en production et distribution ? 11- À qui s’adressent vos produits ? 12- Pouvez-vous détailler le fonctionnement de ce système ? 13- Ce système élaboré vous permet de livrer une gamba locale triple zéro : zéro antibiotique, zéro rejet polluant et zéro congélation ? 14- Quand cette crevette nantaise sera-t-elle disponible plus largement ? 15- Comment allez-vous positionner ce produit sur le marché ? 16- L’idée est très séduisante sur le papier mais n’y a-t-il aucun aspect plus négatif à gérer ? 17- Vous vous lancez donc bientôt dans une carrière d’aquacultrice ou vous avez d’autres projets ? 18- Le développement de l’aquaculture n’est effectivement pas toujours facile dans l’Hexagone. Pascal Goumain, président de Saumon de France, pouvez-vous nous rappeler où vous en êtes dans les multiples dossiers que vous mettez en œuvre ? 19- Malgré tout, votre groupe se démène pour relancer cette filière… 20- Au-delà, vous misez beaucoup sur l’aquaculture urbaine ? 21-Vous commercialisez en vente directe poissons et végétaux ? |
1- PDM : Gilles Begaud, d’AB Pêcheries de Loire, après une carrière d’acheteur marée chez Super U, vous vous êtes engagé dans la valorisation des produits de la Loire. Pourquoi ce choix ?
Gilles Begaud : Je viens effectivement de la grande distribution mais je m’intéresse depuis longtemps avec passion aux poissons d’eau douce. Et depuis 2016, je me suis associé à un grand professionnel, Alain Baillet. Nous assurons du service piscicole et, parallèlement, nous commercialisons nos propres captures avec la volonté de tendre vers la pêche la plus vertueuse possible. Dans cette optique, nous avons élaboré une nasse spécifique qui permet de capturer 100 % des poissons vivants, sans détruire l’environnement. On pêche moins, mais mieux.
Notre second objectif est de valoriser nos produits car les offres en poissons d’eau douce sont généralement peu élaborées. Nous avons donc investi dans un nouvel atelier de transformation.
2- À quels poissons vous intéressez-vous particulièrement ?
G.B. : Le menu des pêcheurs en eau douce a changé au cours des trois dernières décennies. Il s’agissait auparavant de sandre, brochet, anguille, alose, lamproie… Aujourd’hui, 50 % des captures portent sur des silures et des brèmes. C’est sur celles-ci que nous assurons la transformation. Nous avons notamment appris à découper les silures, qui sont de très gros poissons, comme des thons et nous proposons des longes, pavés… Nous élaborons aussi, mécaniquement, des « pétales de brème », sorte de carpaccio exploitable par les chefs en cuisine. Enfin, nous développons la méthode ikejime.
3- Qui sont vos clients ?
G.B. : Le poisson d’eau douce est globalement assez cher et nous intéressons des consommateurs en recherche d’un produit local. Nos segments de clientèle sont plutôt le long du fleuve. Il s’agit d’abord de la restauration gastronomique et étoilée, qui nous aide à remettre au goût du jour des poissons oubliés. Nous assurons aussi de la vente directe dans une paillote installée en bord de l’Erdre. Depuis 2017, nous développons en plus le snacking et la bistronomie. L’idée est de proposer, avec La Sablaise, une gamme de conserves dédiée au fleuve, à partir de nos coproduits de silure et de brème. Nous travaillons aussi avec des fumeurs : Les Saules et Le Moulin du Couvent.
4- Contrairement au monde marin, est-ce un univers où nous avons trop de poissons, avec des espèces invasives par exemple ?
G.B. : Trop, non. Les écosystèmes de nos rivières se sont beaucoup modifiés avec l’arrivée de nouvelles espèces mais ce n’est pas systématique.
5- Marie Bevillon, votre société La Sablaise collabore avec AB Pêcherie de Loire. Comment avez-vous fait ce chemin vers les produits d’eau douce ?
Marie Bevillon : La Sablaise est une PME familiale ancrée aux Sables-d’Olonne, le quatrième port de pêche français en valeur. Notre métier est de fabriquer des conserves et des produits traiteurs, comme les poissons marinés et la soupe.
La démarche que nous poursuivons avec Gilles Begaud depuis deux ans répond à l’un de nos slogans : « Le bon a toujours raison. » Cela passe par des innovations en accord avec divers critères, comme celui de durabilité. En matière de sourcing d’abord, nous privilégions les apports locaux. Les espèces concernées doivent ensuite répondre à un bon cahier des charges environnemental. En termes d’économie, nous souhaitons être de véritables acteurs pour l’emploi dans notre région et offrir aux distributeurs les produits qu’ils attendent.
Cela fait des années que nous fabriquons des produits sans prétention que l’on trouve dans le placard de la ménagère, mais plutôt naturels et qui sont totalement en accord avec la demande d’aujourd’hui.
6- Comment s’est effectuée la connexion entre vous ?
G.B. : Nous avons un agrément de première transformation et ne voulions pas aller au-delà. Par ailleurs, en tant que pêcheur ligérien, nous voulions transformer en local. Nous sommes donc aller voir La Sablaise. Nous souhaitions un produit à notre image, de belle qualité. Tout le monde n’est pas intéressé par les petites séries car il s’agit d’un modèle industriel qui a ses contraintes. Mais Marie Bevillon nous a dit oui de suite !
M.B. : Marché de niche veut effectivement dire petite séries. Mais c’est un modèle que nous pratiquons depuis une vingtaine d’années. Nous y apportons de la valeur ajoutée pour nous démarquer dans un marché très concurrentiel. Quand Gilles Begaud nous a raconté son parcours et sa façon de travailler, cela nous a semblé une évidence. Nous avons ensuite élaboré des recettes nature et saines, sous la marque Marin d’Eau Douce, qui ont trouvé leur place dans des rayons régionaux… Même si on n’a pas encore converti tout Les Sables-d’Olonne au brème et au silure !
7- Quels sont les autres produits de La Sablaise qui illustrent votre slogan ?
M.B. : Un autre axe fort est celui des semi-conserves de poissons marinés. En 2005, le moratoire sur l’anchois dans le golfe de Gascogne a failli emporter cette gamme. Nous l’avons fait perdurer pendant cinq ans avec de l’anchois de Méditerranée. Cela a été un véritable combat pour conserver les emplois car l’essentiel de cette activité est désormais délocalisé au Maroc. En 2010, avec le retour de l’anchois du golfe, notre savoir-faire nous a permis de valoriser la pêcherie dans le circuit court et spécialisé du bio. Nous sommes vraiment sur une niche : de l’anchois de pêche française, travaillé à 80 % à la main aux Sables-d’Olonne. Nous répondons à une demande locavore et de fabriqué en France.
8- Vous avez un autre exemple plus récent…
M.B. : Effectivement. Le défi était de valoriser les poissons moches, abîmés ou en surplus dans le circuit d’un grand distributeur, Leclerc. Nous en avons fait un projet collaboratif en soumettant un questionnaire aux poissonniers de ce réseau et en leur proposant d’élaborer leur propre soupe. À partir de leurs réponses, nous avons conçu une recette qu’ils ont testée et validée. C’est elle qui est aujourd’hui distribuée dans le réseau régional.
9- La Sablaise s’est investie assez tôt dans le circuit du bio. Comment avez-vous senti l’intérêt de cette niche appelée à se développer fortement aujourd’hui ?
M.B. : Il y a un peu plus de dix ans, la culture de ces réseaux spécialisés était déjà sur le circuit court, le durable et des produits porteurs de sens. Cela résonnait parfaitement chez nous, particulièrement dans une période où nous avions du mal à valoriser nos approvisionnements de proximité et le surcoût inhérent. Le réseau Biocoop nous a mis le pied à l’étrier et je les en remercie car il a participé à sauver un savoir-faire. Notre gamme bio représente désormais 30 % de notre activité.
10- Charlotte Schoelinck, votre start-up Lisaqua, située à Nantes, propose de fournir des gambas fraîches, locales, disponibles toute l’année. Comment pouvez-vous tenir cette promesse en production et distribution ?
Charlotte Schoelinck : Pour comprendre Lisaqua, il faut d’abord expliquer l’origine du projet. J’ai un doctorat en biologie marine et avec ce titre, j’ai travaillé au ministère des Pêches et des Océans au Canada, sur les espèces invasives. Au cours de cette expérience, j’ai pu voir concrètement l’envers du décor de l’aquaculture, en termes d’usages massifs d’antibiotiques et de rejets en aval. Mais j’ai aussi découvert l’aquaculture multitrophique intégrée. Le principe repose sur la proximité de cages d’élevage intensif de saumon en pleine mer avec des concombres de mer, des macroalgues, des moules… Toutes ces espèces se nourrissent alors des rejets des saumons, qui ne sont plus dilués mais revalorisés. C’est autour de cette idée d’élaborer des produits de la mer en limitant l’impact sur l’environnement que Lisaqua s’est développée à partir de 2018, avec Gabriel Boneu et Caroline Madoc.
11- À qui s’adressent vos produits ?
C.S. : La plupart des gambas que nous trouvons aujourd’hui sur les étals de la grande distribution contiennent des sulfites et sont produites dans des pays lointains, généralement en abîmant des mangroves et en réduisant le trait de côte utile pour les pêcheurs locaux. Or le consommateur recherche désormais des produits sains, locaux, frais et respectueux de l’environnement. Notre réponse est une ferme circulaire de gambas qui combine différentes espèces avec des rôles précis dans l’écosystème. Cela exclut le recours aux antibiotiques, permet d’utiliser l’ensemble de l’alimentation que nous apportons et donc de limiter les rejets.
12- Pouvez-vous détailler le fonctionnement de ce système ?
C.S. : Concrètement, les gambas cohabitent dans un bassin avec une colonie de bactéries qui assurent la transformation des rejets azotés et forment du nitrate. Celui-ci nourrit le plancton qui devient lui-même un aliment des gambas. Dans un autre bassin, des microalgues absorbent la totalité des nitrates et, dans un dernier, des invertébrés avalent les restes solides des rejets des gambas. L’eau est en retour filtrée par les microalgues et les invertébrés, ce qui permet de fonctionner en circuit fermé. Valorisation des effluents, maintien de l’élevage en bonne santé sans antibiotiques, filtration naturelle de l’eau, le tout à proximité des marchés et des bassins de consommation… Les bénéfices sont nombreux.
13- Ce système élaboré vous permet de livrer une gamba locale triple zéro : zéro antibiotique, zéro rejet polluant et zéro congélation ?
C.S. : Exactement. Il s’agit d’une véritable innovation de rupture. Les premiers retours après une vente test de gambas crues ou cuites dans un magasin nantais ont été excellents de la part du poissonnier comme de sa clientèle.
14- Quand cette crevette nantaise sera-t-elle disponible plus largement ?
C.S. : Pour Noël 2021. Pour l’instant, nous sommes sur un pilote dans lequel nous assurons toute la mise en place du système de filtration. Ensuite, nous construirons une ferme pour élever une vingtaine de tonnes de gambas chaque année. La crevette est une Penaeus vannamei et le reste relève de nos petits secrets de fabrication : nous travaillons encore à la sélection des espèces de bactéries, de microalgues… les plus efficientes.
15- Comment allez-vous positionner ce produit sur le marché ?
C.S. : Nous allons nous appuyer sur le réseau de poissonniers nantais pour distribuer une crevette pêchée le jour même : 20 tonnes, cela représente seulement 400 kg par semaine. Nous pensions à du cru mais la cuite semble intéresser les consommateurs.
16- L’idée est très séduisante sur le papier mais n’y a-t-il aucun aspect plus négatif à gérer ?
C.S. : Nous prenons notre temps pour standardiser tous nos protocoles mais la route est encore longue. Il faut aussi que nous placions bien notre produit en termes de prix. Les clés du succès d’un produit : maîtrise du prix, praticité, identité, (tradition ou origine), durabilité. Et effectivement, nous avons par exemple besoin d’une eau à 28 °C qu’il faut donc chauffer. Nous travaillons avec plusieurs acteurs pour récupérer de la chaleur résiduelle que nous pourrions capter afin d’optimiser ce poste. À chaque étape, il y a des challenges différents.
17- Vous vous lancez donc bientôt dans une carrière d’aquacultrice ou vous avez d’autres projets ?
C.S. : Déjà, nous envisageons une production de 20 tonnes comme une première étape. L’idée est de passer à 100 tonnes rapidement. Un volume qui implique des autorisations environnementales lourdes, qui limitent d’ailleurs le développement de l’aquaculture en France. J’envisage surtout de faire mes armes sur les gambas, qui offrent l’avantage d’un cycle court de six mois, puis de passer au poisson, au tilapia par exemple… avant de développer d’autres espèces !
18- Le développement de l’aquaculture n’est effectivement pas toujours facile dans l’Hexagone. Pascal Goumain, président de Saumon de France, pouvez-vous nous rappeler où vous en êtes dans les multiples dossiers que vous mettez en œuvre ?
Pascal Goumain : Je fais un peu le lien entre tous les métiers que nous venons de voir. J’ai été parmi les premiers à introduire le silure en région Centre dans les années 1990 avec un prégrossissement en circuit fermé. Aujourd’hui, je navigue entre des activités matures, comme l’élevage de saumon et de truite en mer ou la pisciculture en eau douce, mais aussi celles qui impliquent des technologies nouvelles en circuits fermés et particulièrement l’aquaponie.
La filière aquacole, en l’espace de trente ans, a perdu 30 % de ses volumes. C’est juste un grand gâchis. Alors que le monde de l’aquaculture a été multiplié par douze, y compris chez certains de nos voisins européens. Et malgré la volonté des pouvoirs publics, qui ont lancé en 2015 un plan pour l’aquaculture, il ne se passe pas grand-chose sur le terrain. C’est un paradoxe car il y a une appétence des jeunes pour nos métiers.
19- Malgré tout, votre groupe se démène pour relancer cette filière…
P.G. : AMP (Aquaponie Management Project) a choisi dès l’origine de se positionner sur des activités matures afin de disposer de gisements et de travailler des marchés de niche. D’où le rachat de Saumon de France à Cherbourg, la plus grande ferme française avec une autorisation de produire 3 000 tonnes. Nous y avons introduit une activité de truite élevée en mer pour disposer d’un complément de gamme. Mais notre projet d’aquaculture multitrophique intégrée a été retoqué car il a été perçu comme la demande d’une seconde concession, alors que nous souhaitions juste produire des algues en plus. Nous souhaitons en effet continuer à décloisonner les métiers entre le food et la cosmétique. Nous avons par ailleurs des piscicultures dans le Calvados sur lesquelles nous travaillons beaucoup à réduire l’impact environnemental.
20- Au-delà, vous misez beaucoup sur l’aquaculture urbaine ?
P.G. : Le consommateur veut des produits bons et sains. L’enjeu des dix années à venir est d’être capable de garantir l’innocuité des produits. Avec l’aspect environnemental et le bien-être animal en plus. Nous avons aligné ces quatre points et nous nous sommes lancés dans une production hors sol et en circuit fermé. Les technologies ont beaucoup progressé à travers le monde et rendent les modèles économiques viables. Mais entre « milieu artificiel » et « usine à poisson », la perception des clients est encore très négative. C’est le syndrome l’aile ou la cuisse. L’aquaponie, en mêlant économie circulaire et limitation des rejets, permet de rendre cette approche plus vertueuse et plus acceptable. Et comme 80 % des gens vivent en ville, il est intéressant de décliner cette aquaponie en milieu urbain et périurbain. À Cherbourg, Asnières ou Paris, nos fermes sont proches des consommateurs.
21-Vous commercialisez en vente directe poissons et végétaux ?
P.G. : Nous produisons effectivement, localement, poissons et fruits et légumes de saison : tomate, fraise, framboise, salade… Après, nous veillons sur l’ensemble de nos activités à construire une gamme de produits variés et accessibles afin de ne pas produire des aliments uniquement destinés aux consommateurs aisés, même si nos coûts de production sont évidemment plus élevés que ceux des élevages de bar en Méditerranée. Notre marketing passe aussi par les valeurs que nous portons.