Plus de deux ans après l’annonce du projet de la ferme de saumons Local Océan à Boulogne-sur-Mer, les dirigeants de la société sortent du silence. Où on est le projet à plus de 200 millions d’euros qui envisage d’élever 9 000 tonnes de saumon par an ? Alain Treuer, PD-G de la société a répondu aux questions de PDM le 8 mars.
PDM – Quelle est la genèse de votre projet ?
Alain Treuer, président de Local Océan – Ce projet est né d’une nécessité de répondre au manque de protéines dans le monde. On peut, grâce à de nouvelles technologies, sauver la planète, élever un saumon de qualité dans une ferme aquacole durable et sans polluer l’environnement. Avec le système aquacole en recirculation (RAS, pour Recirculating Aquaculture System, NDRL), on ne va pas polluer les côtes, contrairement à des élevages en mer, et on peut mieux contrôler l’environnement du saumon pour assurer son bien-être.
PDM – Pourquoi avoir choisi Boulogne-sur-Mer ?
On souhaitait s’implanter localement, avoir l’accès direct au consommateur. À Capécure, on a également de la main-d’œuvre et un savoir-faire exceptionnel, notamment pour la transformation. Un autre avantage d’être sur le port est la proximité avec l’eau de mer, une ressource renouvelable, presque infinie.
PDM – Justement, on vous reproche une utilisation de grandes quantités d’eau. 7 500 m3 d’eau doivent être rejetés chaque heure dans la rade, au port.
De ces 7 500 m3, 6 500 m3 seront utilisés pour le système de refroidissement. Cette eau ne touchera pas le poisson et retournera en mer telle que pompée auparavant. Les 1 000 m3 restants seront filtrés, purgés des bactéries, enrichis en oxygène, désinfectés par UV, puis injectés dans les bassins. Cette eau sera ensuite à nouveau traitée avant d’être réintroduite dans les réservoirs (99,5 % du débit du système). Il reste donc un petit pourcentage d’eau qui sera soigneusement nettoyé et traité avant d’être rejeté. Les filtres seront placés sous le sédiment, permettant une filtration naturelle afin de ne pas mettre en danger les animaux marins.
PDM – Que retrouvera-t-on dans ces rejets ?
On va rejeter, chaque jour, 16 kilogrammes de phosphore et 315 kilogramme d’azote. Ils seront dilués dans les 6 500 m3 d’eau rejetés qui ont servi au refroidissement. L’impact environnemental est donc pratiquement inexistant.
PDM – Ces rejets pourraient polluer l’eau, être à l’origine du développement d’algues…
Pourquoi voudrait-on polluer l’eau qu’on sera amené à utiliser par la suite ? Si on pollue, on devra fermer l’élevage après quelques années car nettoyer davantage l’eau polluée nous coûterait encore plus cher. Ce n’est pas notre but. On veut créer un outil durable.
PDM – La taille de ce projet interroge aussi. 9 000 tonnes, c’est tout de même beaucoup pour un projet qui se veut durable et local.
En proportion avec ce qui est fait en mer au Chili ou en Norvège, on est tout petit. Il faut le mettre en perspective. Là-bas, on fait dix fois plus en quantité que ce que nous voulons faire ici.
PDM – Quelle nourriture comptez-vous utiliser ?
Dans le RAS, on a besoin d’un aliment très pointu. On veut minimiser la présence d’huile de poisson et de poisson même, et privilégier les protéines végétales issues de betterave, maïs ou blé. Aujourd’hui, la technologie nous permet d’intégrer jusqu’à 60 % de protéine végétale qu’on mélangera avec ce dont le poisson a besoin.
PDM – L’année dernière, la Mission régionale de l’environnement (MRAE), la Commission nationale de protection de la nature (CNPN) et le parc naturel marin ont émis un avis défavorable sur le projet, estimant que l'étude d'impact était insuffisante.
Nous avons soumis le dossier sur les questions très précises posées par la préfecture (du Pas-de-Calais, NDLR) concernant les espèces protégées à terre, l’entrée et les rejets d’eau. Sur ces questions, les instances ont répondu favorablement. Ensuite, elles ont posé d’autres questions qu’on a décidé de traiter et dont les réponses seront dévoilées lors de l’enquête publique. On est transparents mais cela ne sera à rien de communiquer si on ne peut pas donner toutes les réponses.
PDM – Quand l’enquête publique pourra-t-elle commencer ?
On espère d’ici six semaines. Ensuite, après le rapport du commissaire, la préfecture prendra sa décision. On espère commencer la construction cette année.
PDM – Ce projet est estimé à plus de 200 millions d’euros. La production sera également plus chère. Le client sera-t-il à même de payer le prix pour ce type de produit ?
Cela dépendra aussi de ce que le vendeur mettra comme marge. Notre production coûtera 30 à 40 % plus cher par rapport au produit norvégien, élevé en mer. Mais il n’y aura plus de chaîne d’approvisionnement puisque on sera sur place, près des transformateurs et du marché. On veut créer une marque locale, écoresponsable et durable avec un bon produit qu’on peut donner à nos enfants. On sera transparents et on montrera aux gens comment le poisson est élevé. On n’a pas l’esprit industriel. Le projet est cher car on veut tout mettre en place pour ne pas polluer, pour que le poisson se porte bien et pour que le goût soit meilleur.
Propos recueillis par Darianna MYSZKA
Qu’est-ce que le projet Local Océan ?
Local Océan, l’entreprise présidée par Alain Treuer et co-dirigée par Werner Forster, a choisi le port de Boulogne-sur-Mer pour implanter sa première ferme aquacole « nouvelle génération », dédiée à l’élevage de saumons atlantiques « de haute qualité ». Le projet prévoit une production de 9 000 tonnes de saumon d’ici quatre ans. La production sera basée sur la technologie RAS (Recirculation Aquaculture System) de Billund Aquaculture. La ferme possèdera 30 bassins, dans lesquels la densité de poisson prévue est de 50 kg/m3. Le projet est estimé à plus de 200 millions d’euros. Il est financé par des fonds propres, mais aussi des crédits remboursables. La société mise également sur les fonds d’investissements et sur les « nombreux » investisseurs privés intéressés par le projet. La société est confrontée à de multiples critiques de scientifiques et militants écologistes, notamment en ce qui concerne le bien-être animal, la pollution marine et le traitement de l’eau. Elle trouve tout de même le soutien des politiques locaux (la communauté d'agglomération du Boulonnais) et régionaux qui lui ont attribué des crédits pour financer le projet.
Pour construire sa ferme, Local Océan a fait appel à Rudy Ricciotti, l’architecte du Mucem de Marseille et du Palais du cinéma de Venise. Le béton utilisé aura recours au ciment Hoffmann bas carbone. Matériau de prédilection de Rudy Ricciotti, il possède le triple avantage de protéger le bâtiment des aléas maritimes (coups de mer, tempêtes, oxydation saline), d’assurer un rôle de tampon thermique à l’heure du réchauffement climatique et de garantir une résistance acoustique afin d’éviter les perturbations par ondes sonores lors de grands vents ainsi que leur impact sur les poissons élevés au sein de la ferme.