Les gisements de la baie de Saint-Brieuc et de la baie de Seine continuent de battre les records de biomasse exploitable. Une manne potentielle pour les pêcheurs mais la filière reste prudente pour ne pas engorger un marché en berne en ce début de saison.
Chaque année, l’Ifremer mène des campagnes d’évaluation des gisements en Bretagne et en Normandie. En baie de Saint-Brieuc, la biomasse exploitable des coquilles mesurant plus de 102 millimètres atteint les 64 200 tonnes. Depuis le début de la saison, la taille minimale de capture est rehaussée à 105 millimètres. D’ici décembre, l’Ifremer estime que la biomasse pourrait atteindre les 78 300 tonnes.
En baie de Seine, la biomasse exploitable des coquilles mesurant plus de 110 millimètres est estimée à 137 000 tonnes, record absolu avec une hausse de 56 % par rapport à 2023. Une croissance fulgurante expliquée par un bon reliquat de coquilles de la saison dernière et par une forte abondance de la nouvelle génération.
Commercialisation difficile en Normandie
Si la pêche est bonne en ce début de saison, Arnauld Manner, directeur de Normandie Fraîcheur Mer (NFM), déplore une commercialisation « difficile, avec une hausse des volumes débarqués et un marché atone. La baisse de consommation des produits de la mer par les ménages se ressent aussi sur la saint-jacques ». Des premiers signaux encourageants arrivent, « les distributeurs lancent des opérations mais nous restons dans l’expectative. Habituellement nous montons de 2 à 3 jours de pêche par semaine 15 jours avant les fêtes, on se pose la question de ne pas le faire cette année pour ne pas engorger le marché ». Autre inquiétude, certains opérateurs se désengagent de la démarche Label Rouge. D’après NFM, cela représente une part non significative des volumes labellisés. La filière normande se distingue par le fait qu’environ la moitié seulement des volumes débarqués passent sous criée. « La section normande de l’Union du mareyage français participe aux réunions de gestion, on espère que cela conduira à avoir des positions transversales entre les mareyeurs et des éléments de conjoncture de marché circonstanciés. »
Un partenariat robuste en baie de Saint-Brieuc
La spécificité de la Bretagne est le partenariat capitalistique et commercial entre l’OP Cobrenord et le transformateur Celtarmor. Le premier assure un prix d’intervention en criée (2,30 euros en date du 14 novembre), ce qui assure au second des volumes pour répondre à la demande de ses clients distributeurs (lire dans PDM no 228, p. 47). « Notre prix d’intervention est stable, rassure Damien Venzat, directeur de Cobrenord. Mais nous sentons les problèmes de pouvoir d’achat des consommateurs, il faut être prudent sur la mise en marché. » Comme en Normandie, il hésite à augmenter le nombre de jours de pêche en amont de Noël. Xavier Menguy, de Celtarmor, note « qu’il y a moins de demande des distributeurs. Nous avons aussi perdu Casino et Cora, qui ont été rachetés, et nous savons que les volumes ne suivent pas toujours ». La coquille de Saint-Brieuc est connue pour son prix plus élevé que la normande (à la mi-novembre, les différents professionnels estiment le différentiel entre 15 et 30 %) mais Xavier Menguy justifie cela par « les engagements pris dans le cadre des cahiers des charges des MDD ».
Hauts-de-France : le yo-yo
Dans les Hauts-de-France, les apports des 15 bateaux de la CME (Coopérative Maritime Étaploise), qui pêchent majoritairement en baie de Seine, sont les mêmes qu’en 2023… mais pas les prix. « Cette année, nous avons très peu contractualisé. Et les prix fluctuent énormément », constate Étienne Dachicourt, directeur de la CME, citant un cours passant de 3,50 à 2,70 euros/kg en 24 heures. Le directeur de l’organisation professionnelle a du mal à expliquer ces yo-yo. Abondance de coquilles ? Plus gros volumes vendus à Boulogne-sur-Mer ? Il n’émet que des hypothèses. « Mais les bateaux ne sont pas contents. C’est avant Noël qu’ils font leur trésorerie pour la fin de saison, où les prix sont plus bas. »
Quelles mesures de gestion ?
Depuis environ 50 ans, les pêcheurs de Bretagne et de Normandie prennent soin de leur gisement de coquilles. Au fil des décennies, ils ont mis en place un système de licences et de durée de pêche limitée, accompagné par les campagnes d’évaluation de l’Ifremer. Seuls deux jours de pêche par semaine sont autorisés entre octobre et la mi-mai, limité à 60 minutes par jours en baie de Saint-Brieuc et 45 en baie de Seine. Une taille minimale est imposée. Un principe de jachère est aussi en place sur les deux gisements pour assurer son renouvellement continu. « Si le gisement est notre capital, alors nous ne pêchons que les intérêts », explique Xavier Menguy.
Vincent SCHUMENG et Marielle MARIE