Professionnels, chercheurs et officiels ont montré un visage uni, dynamique et proactif face au risque Listeria monocytogenes. Lors d’une journée technique organisée le 1er juin sur les dangers microbiens dans la filière aquatique, l’accent a été mis sur l’importance du partage des données et sur la diversité des moyens de prévention.
C’est la première cause de rappel en France sur les produits aquatiques. La bactérie Listeria monocytogenes représente une menace bien connue des professionnels. Elle était aussi au cœur des débats le 1er juin dernier, lors d’une journée sur « Les moyens de maîtrise et caractérisation des dangers microbiens », qui a réuni une cinquantaine de participants à Paris. Les organisateurs de l’évènement étaient l’Anses et l’Actalia, en partenariat avec le Pôle Aquimer. « Listeria monocytogenes a été l’un des principaux motifs d’alerte l’an dernier », souligne en introduction Matthieu Vicaire, du ministère de l’Agriculture/DGAL (direction générale de l’alimentation), soulignant le caractère très « positif » de cette journée, tout comme sa consœur Virginie Hossen, référente nationale produits de la pêche à la DGAL.
Dans le viseur de l’assemblée, un ennemi coriace. « Listeria monocytogenes est très résistante au sel et se multiplie sur une large plage de température, y compris dans un réfrigérateur », rappelle notamment Alexandre Leclerc, directeur adjoint du centre national de référence des Listeria à l’Institut Pasteur de Paris. Présente dans l’environnement, la bactérie peut former un biofilm dans les ateliers de produits de la mer. L. monocytogenes peut surtout donner lieu à une maladie humaine grave : la listériose. Le nombre de cas humains augmente notablement dans le monde depuis les années 2010, sans que l’on sache exactement pourquoi. Alexandre Leclerc attire l’attention sur la démographie. « La pyramide des âges évolue, avec de plus en plus de personnes âgées, plus sensibles au risque. Or, les industriels se basent souvent sur un consommateur bien portant. » Le développement du e-commerce entraîne également des difficultés lorsqu’il s’agit de remonter la chaîne à la suite d’un signalement de cas de listériose. À noter que la maladie est à déclaration obligatoire depuis 1988. Après la crise de 1992 (langue de porc contaminée à Listeria, 279 cas), un système d’information bidirectionnel et continu a été mis en place en 1993. Nommé One Health, il permet à une cellule interministérielle Listeria de réagir rapidement à la suite de la déclaration d’un cas patient ou d’une notification de contamination de la part d’un industriel. « Il est essentiel de ne pas mettre la poussière sous le tapis, d’autant plus qu’il existe un risque pénal. Les industriels doivent comprendre que les autorités sont aussi là pour aider, pas seulement pour réprimer », insiste Alexandre Leclerc. Autre élément à garder en tête : toutes les souches ne rendent pas malade.
Certains complexes clonaux, comme CC121 ou CC9 ne donnent pas de formes humaines graves mais reflètent une contamination de l’environnement de l’usine. À l’inverse, CC1 ou CC6 sont hypervirulents. CC8, relié au saumon, commence à poser problème et apparaît dans certains clusters européens.
La surveillance et les méthodes de caractérisation ont fortement progressé ces dernières années. La technologie « révolutionnaire » WGS (Whole Genome Sequencing, dont Illumina et Nanopore sont les fournisseurs principaux) permet désormais un séquençage haut débit.
Prévenir le risque Listeria commence dès la conception des usines et ateliers. C’est le message passé par Hein Timmerman, spécialiste du secteur alimentaire chez Diversey et président de l’EHEDG (European Hygienic Engineering & Design Group), un consortium sans but lucratif fondé en 1989 pour fournir des conseils sur l’ingénierie et la conception hygiénique, comptant 400 adhérents à ce jour.
Bien que les matières premières soient la principale source de contamination potentielle de L. monocytogenes dans les produits provenant de la mer, l’environnement des usines de transformation joue également un rôle important. « Tous les équipements de transformation du poisson peuvent potentiellement être source de bactéries pathogènes, en particulier Listeria : convoyeurs, bacs de lavage, tables de découpe, machines d’éviscération, systèmes à vide, fileteuses, désarêteuses, machines à glace, sols, égouts… », liste Hein Timmerman. Le poisson a par ailleurs des caractéristiques spécifiques : très délicat, hautement périssable, objet de process rapides, humides, à des températures basses. « Concrètement, en général, l’espace est limité et le process compte à la fois des surfaces ouvertes et fermées, ce qui n’est pas idéal », constate l’expert. La conception hygiénique repose sur plusieurs principes généraux, vers lesquels il faut tendre au maximum. Premier principe de base : toutes les surfaces doivent être lisses, sans arêtes ou crevasses. Les angles droits sont proscrits, le rayon minimum est de 3 millimètres, de préférence égal ou supérieur à 6 millimètres. Pour la drainabilité, il convient de prévoir une pente minimale de 5°, de préférence jusqu’à 15°. Toutes les surfaces proches du produit doivent être accessibles pour le nettoyage et l’inspection. De préférence, l’équipement doit avoir un système de NEP (nettoyage en place) installé. Les composants inaccessibles à un nettoyage mécanique doivent pouvoir être facilement démontés, sans outil. La nettoyabilité doit être validée et vérifiée après l’installation des lignes de traitement. Autre recommandation : « L’équipement doit être aussi ouvert que possible », préconise Hein Timmerman. La construction doit être conçue sans zones mortes ou cachées. Réduire le nombre de surfaces ou de pièces de contact avec les produits différents peut abaisser le nombre de vecteurs de transfert de danger possibles vers le produit. Les sous-produits (têtes, arêtes, viscères, peau, etc.) doivent être éliminés de manière efficace, de façon à ne pas entrer en contact avec un produit, et doivent être retirés en continu de l’usine (par exemple par des systèmes à vide). Lors de l’installation d’un nouvel équipement, il faut respecter un dégagement minimum des murs, des sols et des autres équipements. Le diable peut se cacher partout. « Le risque de condensation du plafond, qui dégouline ensuite sur le produit, est un problème courant », relève Hein Timmerman. Les convoyeurs aussi doivent faire l’objet d’une attention particulière. L’EHEDG édite notamment le doc 49, « Recommandations de conception hygiénique de transformation du poisson frais » (octobre 2017). « Un groupe de travail est actif pour réviser et actualiser ce document. Toutes les participations actives sont bienvenues », précise Hein Timmerman.
Autre piste préventive d’intérêt : les surfaces fonctionnalisées, c’est-à-dire ayant subi des modifications chimiques leur conférant une activité. Différents composés antimicrobiens (nanoparticules, oxydes, ions, etc.) peuvent être incorporés dans la masse d’un matériau (PVC, PET, peinture, résine…). Il est aussi possible de greffer des molécules antibactériennes (huiles essentielles, biocides, etc.). Certaines solutions sont d’ores et déjà sur le marché. « Attention, il n’existe pas de surface antimicrobienne universelle. Elle doit être choisie en fonction de la problématique, de l’environnement, et surtout être utilisée en complément d’autres stratégies antimicrobiennes », explique Christine Pissavin, de l’IUT Saint-Brieuc/université de Rennes. Laurent Delhalle, de Realco, a pour sa part mis l’accent sur des techniques alternatives contre les biofilms, comme le nettoyage enzymatique.
Une nouvelle méthode de dénombrement validée
Le règlement EC 2073/2005 fixe à 100 UFC/g (UFC pour « unité formant colonie ») le seuil maximum admis de Listeria monocytogenes dans les aliments prêts à consommer, jusqu’à la fin de leur durée de vie. Il convient donc d’alerter même lorsque le taux est inférieur à 100, si l’on ne peut pas garantir que ce chiffre ne sera pas dépassé pendant la durée de vie du produit. La commission Afnor V45 C de la CITPPM (Confédération des industries de traitement des produits des pêches maritimes et de l’aquaculture), qui représente les transformateurs de produits aquatiques, a souhaité développer une méthode de dénombrement « faible taux ». Celle-ci détecte un seuil de 1 UFC/g (contre 10 UFC/g dans la méthode officielle) dans les poissons fumés. Validée avec des échantillons artificiellement contaminés, cette nouvelle méthode a été reconnue fin juin comme une alternative à la méthode officielle. « C’est une première mondiale sur Listeria, dont nous pouvons être fiers, et une avancée majeure pour la sécurité des aliments », se réjouit Jean-François Feillet, président de la CITPPM. « L’initiative est intéressante pour détecter des bas bruits de contamination », ajoute Virginie Hossen, de la DGAL.
Fanny ROUSSELIN-ROUSVOAL