Pas de vin français aux États-Unis ? Pas de coquille US en Europe ! Dans l’interminable litige sur les subventions versées aux avionneurs Airbus et Boeing, de représailles en représailles, l’Europe pénalisée sur le vin a taxé, entre autres, la Saint-Jacques américaine et le saumon à 25 %. Les USA ont répliqué le 30 décembre…
Surenchère tarifaire
Le litige sur les aides publiques versées au constructeur européen Airbus et à son concurrent américain Boeing, démarré il y a 16 ans, fait toujours des dégâts. Depuis octobre 2019, les États-Unis, avec l’aval de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), appliquent des droits de douane punitifs sur des exportations européennes (vin, fromage, huile d’olive, whisky). Des taxes autorisées à la hauteur de 7 milliards de dollars par an. Le vin français, fleuron de l’export, taxé à 25 %, a payé un lourd tribut à ce litige, avec des exportations vers les États-Unis divisées par deux entre l’effet conjugué des « taxes Trump » et de la crise sanitaire.
En 2020, l’Union européenne (UE) a répliqué sur des importations américaines avec des taxes à hauteur de 4 milliards de dollars par an, autorisées par l’OMC en octobre 2020, et appliquées par l’UE depuis le 10 novembre, lendemain de la parution du règlement au Journal officiel. Outre l’aéronautique, les surtaxes visent des produits alimentaires taxés à 25 %, dont le saumon (congelé, en filet, fumé, d’Atlantique, du Pacifique…), les coquilles Saint-Jacques (autres que Pecten maximus, soit Pecten Chlamys ou Placopecten, congelées) et les algues (sous toutes formes). Et hors alimentaire, les poissons d’ornement. La première liste imaginée par l’UE comportait beaucoup plus de produits de la mer et aurait été plus dommageable mais le montant accordé par l’OMC a conduit à sa révision à la baisse.
La surenchère continue. Nouvelle offensive des Américains le 30 décembre : les États-Unis ont annoncé de nouveaux droits de douane sur des produits français et allemands (vins, cognacs, pièces aéronautiques), sans préciser le montant des surtaxes ni la date d’entrée en vigueur. Cette escalade est de mauvais augure pour un apaisement des relations commerciales.
Ambiguités et incohérences sur les surtaxes
« Le secteur des produits de la mer américain est très affecté par cette escalade tarifaire, cette surtaxe complémentaire de 25 % porte un gros coup, déplore Stéphane Vrignaud, représentant de l’administration américaine, la Noaa (National oceanic and atmospheric administration), sur les questions liées à la pêche auprès de l’UE. Alors que le secteur était déjà très impacté par le Ceta, aux effets indirects sur sa compétitivité, mais aussi par le débat tarifaire avec la Chine et une consommation en berne avec la crise sanitaire. » Le spécialiste dénonce aussi de nombreuses ambiguïtés et incohérences dans le texte européen. « Le saumon entier envoyé en Chine pour transformation en filet, qui retourne en Europe, est taxé aussi. Nous considérons qu’il devrait y avoir un changement de nomenclature, mais pour l’UE, la règle d’origine s’applique, le filetage n’étant pas un critère suffisant pour lever ces droits additionnels. Ce qui revient à taxer des entreprises chinoises. Ce règlement est très mal fait, il ne prend pas en compte le commerce triangulaire. Et ça ne concerne pas que la Chine, ça peut être aussi le Canada. »
Le règlement européen n’est pas clair non plus quant aux dates d’application.« Les envois de cargaison avant le 10 novembre ne sont pas concernés, mais s’il y a eu un envoi des États-Unis vers le Canada, puis du Canada vers l’Union européenne, quelle date compte ? J’attends toujours la réponse. On a le cas sur une cargaison de coquille Saint-Jacques, partie le 7 novembre au Canada, puis le 17 décembre vers l’Europe, et devant arriver ce jeudi 7 janvier : on ne sait pas si les surtaxes s’appliquent. Ça ne laisse pas de visibilité aux entreprises. Les transitaires sont dans l’expectative, ils n’ont pas les mêmes consignes. » Le Royaume-Uni s’est désolidarisé des surtaxes imposées par l’UE, dans l’espoir de négocier un accord commercial avec les États-Unis.
Une volonté d’apaisement
Heureusement, souligne Stéphane Vrignaud, « il y a une volonté de part et d’autre de discuter et de mettre ce dossier derrière nous, c’est un irritant depuis une bonne quinzaine d’année ». De nombreux professionnels sont donc suspendus aux prochaines décisions du gouvernement de Joe Biden, qui reste à mettre en place, avec d’autres surprises possibles d’ici là.
En parallèle, fin novembre, le Parlement européen confirmait l’accord de réduction des droits de douane négocié entre l’UE et les États-Unis. Celui-ci, conclu en août, implique la suppression des droits de douane sur les homards américains importés par l’UE et sur des produits exportés par l’UE vers les États-Unis, dont les plats préparés. Un accord qui tranche avec la surenchère douanière. Contradictoire ? « Il faut dissocier les deux dossiers, pointe Stéphane Vrignaud. Le dossier Airbus Boeing est un vieux dossier qui colle aux basques des partenaires. Mais l’accord de l’été dernier montre bien une volonté d’arriver à des relations commerciales apaisées et justes. C’est un bon premier pas, un signal positif. »
Solène LE ROUX