Pascal Goumain est président d’Aquaponic Management Project (AMP) et propriétaire de Saumon de France. Après la perte totale de sa production annuelle l’été dernier, due au réchauffement climatique, l’entreprise a repensé son mode de production. Basée à Cherbourg (50), elle est la seule à élever des saumons en pleine mer en France. Depuis le mois de juin, AMP commercialise les Saumons d’Isigny (groupe NatUp). Un premier pas vers des synergies entre les deux acteurs normands.
PDM – Que s’est-il passé en 2022 au sein de votre production ?
P. G. – L’été dernier, nous avons perdu tout le cheptel qui était prévu en récolte au mois de décembre, soit des poissons d’1 kilogramme environ. Financièrement, cela représente une année de récolte. Ces poissons n’étaient pas arrivés à maturité. Sur le moment, la perte n’est alors que de 150 tonnes, mais ils étaient destinés à grandir encore. Nous en avons donc profité pour mettre le matériel à sec et tout nettoyer et nous allons réempoissonner en novembre. Malgré cela, nous ne pouvons pas dire que c’est une bonne nouvelle.
PDM – Êtes-vous pour autant un cas isolé ?
P. G. – Non, pour les mêmes raisons les Écossais ont perdu des milliers de tonnes en 2022, la faute aux eaux trop chaudes et à la qualité de l’eau. Comme beaucoup d’autres, notre industrie doit s’adapter. Aqualande, par exemple, a perdu de nombreux cheptels cet été en Espagne et plus largement dans la filière, il y a eu des pertes de croissance cet été. Depuis que nous avons repris le site en 2014, les températures ne cessent d’augmenter et nous concentrions déjà avant cela toutes les mortalités pendant la période estivale.
PDM – Comment comptez-vous faire face aux prochaines périodes estivales, qui malheureusement s’annoncent a minima aussi chaudes ?
P. G. – Avant l’été dernier, nous avions déjà pris la décision de modifier le cycle d’élevage des saumons. Dans l’ancien, nous mettions des smolts qui pèsent entre 80 et 90 grammes en mer au mois de novembre. Cela leur permettait de passer un été dans la rade du port de Cherbourg pour les récolter au mois de décembre suivant, pour des animaux qui sont au calibre de 3 kilogrammes. Dorénavant, le nouveau cycle d’élevage introduira des poissons au mois de novembre qui seront en fait prégrossis (des post-smolts, NDLR) et pèseront entre 1 et 1,5 kilogramme. Logiquement, ils seront donc à récolter avant l’été ! Cette méthode est déjà employée avec les truites pour notre part. Nos truites de mer vont de novembre à juin et nous n’avons pas de mortalité. Concrètement, à Cherbourg, d’août à octobre, il n’y aura pas de saumon à la ferme, ce qui permettra de faire au passage un vide sanitaire.
PDM – Cette solution existe-t-elle déjà ?
P. G. – Oui, les Norvégiens sont déjà passés sur ce type d’élevage et, ainsi, 10 % des smolts introduits sont en fait des post-smolts, bien que ce soit essentiellement pour lutter contre les poux de mer, mais c’est la même mécanique. Il s’agit de réduire le cycle quand le poisson est sensible et de le grossir en mer, ce qui permet de mélanger et de prendre le meilleur des deux mondes. Tout le cycle en circuit fermé a son lot d’inconvénients, comme celui de la lourdeur des installations, l’acceptation sociétale ou le coût de l’énergie, alors qu’en combinant une phase d’élevage à terre puis la finition en mer, pour moi c’est l’idéal.
PDM – Quelles sont les autres perspectives du site ?
P. G. – Nous avons été soutenus par le président de la Région Hervé Morin, qui a rédigé un courrier d’accompagnement formidable transmis au préfet de région. Il y dit toute l’importance que représente Saumon de France pour la filière normande ainsi que toutes les perspectives de développement que sont les nôtres avec l’éolienne offshore* notamment. C’est bien mais maintenant, nous attendons un retour de l’État car la Région n’a pas d’outils de soutien adapté à une telle problématique. Une réponse pourrait par exemple ressembler à un « dispositif calamité » tel qu’il existe en agriculture. Rappelons qu’une aide éventuelle nous servirait aussi à financer nos futurs investissements, comme le circuit fermé de prégrossissement. Ce dossier est en cours d’écriture et sera prochainement déposé afin d’obtenir le permis de construire. Tout est prêt, nous avons même le terrain. Côté financement, une partie sera prise en charge par le Feampa mais le plafond est fixé à 800 000 euros, alors que notre enveloppe totale tourne autour des 4 millions d’euros.
Propos recueillis par Guy PICHARD