Avec Les Poissons de Tamaris, Patrick Mendes commercialise daurades et bars de la rade de Toulon. Il s’engage, avec l’association The Shifters, dans une réflexion sur le devenir environnemental de son activité.
PDM – Commercialiser des poissons d’élevage et soutenir en parallèle une démarche environnementale, n’est-ce pas faire le grand écart ?
P. M. – Le grand écart existe entre activités économiques dans leur forme actuelle et possibilité de vivre à long terme sans mettre à mal les ressources. Je gère une entreprise mais je suis aussi citoyen et père de famille, comme tout le monde. Il faut dépasser ce sentiment de contradiction. Explorer ce grand écart est indispensable car la question écologique est déterminante pour se projeter dans le XXIe siècle.
PDM – Quels moyens mettez-vous concrètement en place ?
P. M. – Trouver des marges de manœuvre sur l’alimentation des poissons est une priorité, malgré des contraintes économiques fortes. Nous étudions les paramètres de durabilité avec nos fournisseurs et suivons un projet de recherche pour nous tourner vers des produits plus régionaux et circulaires. Nous envisageons également de diversifier les productions et d’augmenter la part de coquillages ou de tester des algues, par exemple.
PDM – En matière de réflexion écologique, l’aquaculture fait-elle figure de parent pauvre par rapport à l’agriculture ?
P. M. – Le débat public sur l’agriculture ou sur la pêche est relativement documenté, avec notamment la recherche publique et les ONG qui collaborent pour investir le champ de la prospective. Malheureusement, sur l’aquaculture, le débat est encore caricatural. Le business se prévaut un peu rapidement de « durabilité », en s’appuyant sur des données partielles, et les ONG sont souvent dans une posture de condamnation, qui ne résout pas les questions socioéconomiques.
PDM – Faut-il dissocier agriculture et aquaculture dans la réflexion sur l’élevage et l’alimentation ?
P. M. – L’aquaculture nourrie dépend de ressources marines, et de plus en plus de ressources terrestres. Elle fait le lien entre pêche et agriculture. Biologiste de formation, les réflexions menées au sein de l’association des Shifters m’ont amené à une réflexion agronomique beaucoup plus globale. Et c’est ce que je voudrais partager dans le débat sur l’aquaculture.
PDM – Quelle est l’empreinte écologique du poisson d’aquaculture ?
P. M. – L’empreinte est hybride, ce qui la rend difficile à quantifier. Il y a une part animale et maritime, car les poissons d’élevage consommés en Europe sont des carnivores aux besoins beaucoup plus protéinés que les élevages terrestres. Cela renvoie à la pêche minotière, son impact sur la biodiversité et son empreinte carbone. Il y a une part terrestre et végétale, avec des impacts en termes de gaz à effet de serre, d’emprise et de dégradation des sols ainsi qu’une dépendance aux engrais de synthèse et phytosanitaires.
PDM – Quels sont les progrès à espérer ?
P. M. – Dans l’alimentation des poissons : plus d’économie circulaire, le développement des farines d’insectes et des substituts à base d’algues. Mais il faut lier le concept d’efficacité avec celui de sobriété, c’est-à-dire envisager de consommer moins de poissons carnivores, plus d’algues et de coquillages. Une production aquacole française de qualité est légitime à se développer, tant nous sommes importateurs, mais à condition de s’assurer d’une demande pour des produits plus chers, pour ne pas subir le sort des éleveurs laitiers bio, par exemple, qui vendent à perte faute de pouvoir d’achat alimentaire. On le voit avec la crise des agriculteurs, c’est le système production/commerce extérieur/consommation qui doit évoluer.
PDM – Quels sont les risques associés au changement climatique ?
P. M. – Une pression directe a déjà commencé à s’exercer : des températures excessives en mer ou un manque d’eau dans les élevages à terre ont provoqué des pertes en France en 2023. À plus long terme, réchauffement et acidification promettent d’altérer les capacités de production des océans. La conchyliculture et la pêche subiront des conséquences gravissimes si l’on ne parvient pas à enrayer les émissions de gaz à effet de serre.
Propos recueillis par Alain LEPIGEON