Pierre Karleskind souhaite une réelle mise en œuvre de la politique commune de la pêche, adaptée aux enjeux de souveraineté alimentaire et au changement climatique. Obligation de débarquement, quotas pluriannuels, décarbonation… Il fait le tour d’horizon des problématiques de la filière.
PDM – Quel constat dressez-vous de l’actuelle mise en œuvre de la PCP ?
P. K. – L’état des stocks s’est amélioré depuis la mise en place de la PCP. Les quotas sont un bon outil de gestion, on le voit en Atlantique Nord-Est comme en Méditerranée, où les espèces sous quota se portent bien. Mais cette politique a conduit à la réduction des flottilles en 20 ans, ce n’est pas sans conséquences sur les territoires. En contrepartie, les flottilles sont beaucoup plus rentables. Il reste des points noirs, comme la Méditerranée ou la Baltique. Dans cette dernière, il faut se résoudre à voir s’effondrer le stock de cabillaud du fait du changement climatique. On n’a pas atteint 100 % des stocks au RMD en 2020, mais cet objectif a permis de progresser.
PDM – Quels sont les enjeux autour de l’obligation de débarquement ?
P. K. – Cela a permis de travailler sur la sélectivité des engins de pêche, notamment du chalut. Mais elle n’est pas mise en œuvre partout et il y a un écart dans les données des scientifiques entre les données de captures et ce qui sort réellement de l’eau. Il faut donc adapter la PCP et les exemptions aux réalités des pêcheurs. Mais revenir sur l’obligation de débarquement serait vu comme une régression environnementale. La pêche se modernise pour s’adapter et c’est aussi un enjeu d’attractivité de la filière.
PDM – Comment adapter la PCP au changement climatique ?
P. K. – On assiste à un changement important dans la composition des écosystèmes et des captures, comme avec le cabillaud évoqué plus tôt ou le poulpe. La PCP ne permet pas d’intégrer ces évolutions, avec l’interdiction de captures accidentelles de cabillaud en mer Celtique, par exemple, qui n’a pas de sens vu l’effondrement déjà annoncé du stock. Les Tac sont un règlement du Conseil, charge aux États membres de prendre leurs responsabilités ! La PCP et le Feampa peuvent être des outils d’atténuation par la décarbonation de la filière. Encore faut-il s’en donner les moyens ! Selon moi, à la suite de la conclusion des négociations sur l’interdiction des subventions néfastes cette année à l’OMC, il faut rouvrir la possibilité de subventionner des navires neufs décarbonés pour des stocks en bon état. On ne peut plus se contenter de simplement changer les moteurs sur des navires vieux de 20 ans.
PDM – Comment l’UE peut-elle soutenir la filière aval en cette période de crise ?
P. K. – La PCP n’a pas les outils pour cela. La Commission a mis sur la table une réflexion pour faire passer les entreprises de produits de la mer dans la même nomenclature que les industries agroalimentaires pour accroître les aides publiques et les plafonds des aides de minimis. J’y souscris et je pousse en ce sens.
PDM – Comment redonner de la visibilité à l’ensemble de la filière ?
P. K. – Je continue de défendre le principe de stabilité relative au sein de la PCP, et je soutiens au Parlement le principe de quotas pluriannuels, et la France a cette position au Conseil. C’est pertinent sur des stocks stables en bon état et cela permet d’anticiper sur plusieurs années pour investir, mais aussi pour s’adapter aux inévitables mesures de fermetures spatiotemporelles sur certains stocks. Plus largement, je pense qu’il faut viser un effort de pêche légèrement en deçà du RMD, pour maximiser la rentabilité et encaisser au mieux les effets du changement climatique. Mais cela implique d’adopter une gestion par flottille, pour les rendre plus résilientes écologiquement et économiquement. L’objectif de la PCP devrait être d’assurer la souveraineté et la résilience. Des océans en bon état sont plus productifs, assurent plus de captures et réduisent la dépendance aux imports. On peut produire plus en gérant mieux ! Plus globalement, je défends une meilleure intégration de la pêche dans l’ensemble des politiques maritimes. Il faut adopter une gestion par bassin maritime. Il faut toujours rappeler que la pêche est une activité économique qui nous nourrit, qui participe à la souveraineté alimentaire de l’Europe et dynamise nos territoires.
Propos recueillis par Vincent SCHUMENG