Entre les fermetures de zones de pêche annoncées par la Commission européenne et le plan de casse, les candidats au départ risquent d’être nombreux. Pour la filière bretonne, ce serait autant de volumes en moins avec une hausse des prix qui se dessine.
Fin juin, la Commission européenne a annoncé vouloir fermer une centaine de zones de pêche, du nord de l’Irlande au Portugal. Il s’agit d’un projet d’acte en application d’un règlement européen de 2016 sur la pêche en eaux profondes, qui a été voté en Conseil des ministres de l’Union européenne. Le Comité national des pêches déplore que la Commission ait adopté le scénario le plus pessimiste parmi les quatre présentés par les scientifiques et que la France ait voté en faveur de ce projet de fermeture de zones. Cette décision s’ajoute au plan de sortie de flotte, qui devrait être bouclé pour la fin de l’été avec une mise en application en septembre. Les dépôts de candidatures au départ étaient prévus pour le 28 octobre, cette date ne devrait pas trop évoluer. Les entreprises devront donc établir leur stratégie rapidement, au vu des différentes difficultés cumulées.
« Le risque serait de se retrouver avec un marché d’importation pour maintenir les volumes », s’inquiète Isabelle Thomas, secrétaire générale de Breizhmer, association qui veut rassembler les professionnels de la filière pêche et de l’aquaculture en Bretagne. « Ce ne serait pas vertueux, que ce soit sur le plan économique, social ou écologique ».
Le plan de sortie de flotte va permettre d’envoyer à la casse des bateaux qui ont souffert du Brexit, essentiellement des hauturiers. Les criées et mareyeurs craignent que les ports se vident tant les candidatures au départ pourraient être nombreuses. Mais combien de candidatures exactement ? Impossible de le mesurer à l’heure actuelle tant certaines variables de ce dispositif seront déterminantes en créant des effets d’aubaine plus ou moins importants. Le barème, jugé très incitatif dans sa version de travail du printemps, n’est pas le seul critère à prendre en compte. La dégressivité en fonction de l’âge du bateau et du patron, le régime fiscal de la prime ou encore les indemnités de licenciement des équipages sont autant de critères qui vont définir les contours de ce plan de sortie de flotte et déterminer le nombre de navires qui partiront à la casse. Avec des navires vieillissants et des pêcheurs en fin de carrière, « il faudrait être fou pour ne pas prendre cette porte de sortie » commente Serge Guyot qui dirige Les Viviers de Loctudy et l’armement Hent ar Bugale, composé de six chalutiers. D’autant plus que des entreprises influencées par le Brexit pouvaient envisager de se déplacer dans d’autres zones de pêche. Avec les fermetures annoncées par l’Europe, cette stratégie tombe à l’eau et le plan de sortie de flotte se présente pour certains comme la meilleure porte de sortie.
La criée du Guilvinec inquiète
Ce plan devrait concerner particulièrement la pêche hauturière. Des criées, comme celle de Quiberon, semblent épargnées dans la mesure où leur flottille se compose essentiellement de navires côtiers. En revanche, celle du Guilvinec est en plein dans la ligne de mire du PSF avec sa bonne trentaine de navires hauturiers qui représentent 80 % de son activité. « On est en plein dedans, il va y avoir beaucoup de candidats », s’inquiète Grégory Pennarun, responsable de la criée qui rappelle un ratio bien connu : un homme en mer c’est quatre personnes à terre. Au-delà des navires qui pourraient partir à la casse, ce sont autant d’emplois et d’entreprises à terre qui sont mis à mal. Quels leviers pour Grégory Pennarun ? « On peut améliorer la qualité des produits et augmenter le prix moyen, mais cela a des limites. » La criée a investi en ce sens des travaux lourds, environ 5 millions d’euros. Face aux incertitudes, elle a gelé ses embauches, le temps de voir venir les conséquences de ce PSF. Si le nombre de navires à partir au large se réduit, il faudra bien compenser les baisses de volumes. Le responsable de la criée du Guilvinec commence à démarcher de nouveaux partenaires pour importer depuis l’Irlande, l’Angleterre, le Danemark et permettre de maintenir l’offre pour ses acheteurs. « On va aller chercher des espèces qu’on a peu en criée, par exemple du cabillaud ou des poissons de filetage comme le merlan et le lieu jaune. »
Assurer les volumes
Erwan Dussaud, directeur commercial de Béganton, du groupe Mericq, explique : « Il va falloir aller chercher de l’import, au moins dans un premier temps. » À l’échelle bretonne, la pression sur les volumes va se ressentir partout car les achats se font sur site mais aussi via Internet. Chaque groupe peut ainsi avoir des acheteurs virtuels dans chaque criée. « Moi, je ne suis pas sur la criée du Guilvinec mais si elle manque de produits, les acheteurs se déporteront sur les criées où je suis. Donc, d’une manière ou d’une autre, je serai forcément concerné. »
À cela s’ajoute le prix du gasoil qui a grimpé en flèche. « Habituellement, le carburant c’est 25 % de mes charges, là c’est trois fois plus », lance Jacques Pichon de l’armement La Houle. Les frais de carburant sont plus élevés pour la pêche hauturière, « car elle va plus loin, tout simplement », rappelle Isabelle Thomas de Breizhmer. Les aides au carburant pour la pêche sont plafonnées à 65 000 euros par armement, et pas par navire. Ce surcoût s’ajoute aux besoins de maintenir les volumes en allant les chercher ailleurs et de diversifier ses sources d’approvisionnement, dont à l’étranger. L’importation s’ajoute à des coûts de transport et de logistique qui augmentent. La pression sur ces marchés augmentera également. Ainsi, tous les signes convergent vers un déséquilibre entre une offre disponible en baisse et une demande constante. Ce qui devrait se traduire par une hausse des prix.
Renouveler la flotte
La perspective de ce plan de sortie de flotte pourrait intervenir en parallèle de l’arrivée de nouveaux navires, plus performants et habitables, moins énergivores, espère Erwan Dussaud de Béganton. Jacques Pichon, dirigeant du groupe La Houle, possède une flotte de dix navires qui partent pêcher de la lotte au large de l’Irlande et vend 100 % de sa production au Guilvinec. « Dans le projet que l’on a vu en début d’année, si l’on cassait un bateau, on ne pouvait plus investir pendant cinq ans. C’est problématique. Nous avons des bateaux qui ne sont pas rentables du tout. Il serait judicieux de pouvoir s’orienter vers des bateaux modernes, différents de ceux que l’on a aujourd’hui pour avoir une activité plus rentable et plus respectueuse de l’environnement. » Une analyse que partage Serge Guyot, de l’armement Hent ar Bugale qui aimerait pouvoir « construire d’autres outils ». Mais le règlement européen est clair : il ne sera pas possible d’acheter un nouveau bateau si un armement en envoie un autre à la casse. Un plan de sortie de flotte, oui, s’il s’accompagne d’un plan d’entrée de flotte, en somme, diraient les armateurs. Mais il s’agirait là de revoir la perspective dans laquelle s’inscrit ce PSF. Il a été pensé pour permettre aux bateaux influencés par le Brexit de partir à la casse. Il ne s’agit pas d’un plan de modernisation de la flotte. Néanmoins, il sera possible d’investir dans l’amélioration d’un navire existant. Les quotas restent inchangés donc, avec moins de navires pour autant de quotas, l’investissement sur l’existant reste pertinent.
Julie LALLOUËT-GEFFROY