Entre chute des biomasses en Ouest-Afrique et explosion des captures en Bretagne sud, sans compter les bons résultats de Boulogne-sur-Mer, les pêcheries de céphalopodes sont en pleine mutation. Produits majeurs de la gastronomie espagnole et de plus en plus appréciés des Français, ils sont tout de mêmes percutés par le bouleversement actuel du marché. De l’amont à l’aval, poulpe, seiche et encornet échappent à toute certitude.
Le marché européen du poulpe, principal céphalopode consommé en Europe, est largement dominé par l’Italie et l’Espagne, qui concentrent à elles deux 57 % des captures européennes et 73 % de la consommation (51 % pour l’Espagne, 22 % pour l’Italie). La France est le 5e marché européen, tiré par une très forte consommation dans le Sud-Est.
En termes de production, la France connaît une croissance très importante de ses captures ces deux dernières années, grâce au « boom » en Bretagne sud, évidemment. En 2020, les criées françaises affichaient 1 130 tonnes de débarques de poulpe, contre 4 032 tonnes en 2021, le tout avec une hausse de 28 % du prix moyen ! Dans la seule criée de Quiberon, le poulpe est passé de 3 à 306 tonnes.
L’essentiel de la production française est expédié en Espagne et en partie en Italie. Dans la nation ibérique, où l’import représente 90 % de l’approvisionnement, le Maroc et la Mauritanie restent les principaux pourvoyeurs sur le surgelé, et le Portugal sur le frais. Le prix de l’importation est en croissance constante depuis 2013, avec une raréfaction de la ressource à l’échelle mondiale, en particulier en Afrique de l’Ouest. En 2019, le poulpe cuit réfrigéré et importé congelé du Maroc se vendait en GMS autour de 30 euros/kg, dont 10,05 euros à l’import. Le marché espagnol est largement expéditeur. Plus de 50 000 tonnes de poulpe sont exportées chaque année, environ 60 % de l’approvisionnement total du pays. Ces exportations sont en forte hausse depuis 2014, en particulier vers les États-Unis.
Le marché français des céphalopodes représente 21 217 tonnes en 2020, avec une production de 14 775 tonnes et des imports de 26 825 tonnes. La quasi-totalité des captures hexagonales sont exportées, vers l’Espagne et l’Italie. La consommation se fait donc sur des produits importés, également du Maroc. Mais ce sont des produits qui concernent une cible de consommateurs réduite, affichant un taux de pénétration de 9,6 % sur le frais et de 15,3 % sur le surgelé. Concernant le marché du frais, les achats pour la consommation à domicile se font principalement en GMS (deux tiers en valeur) et en très large majorité sur la côte méditerranéenne. On constate également une plus forte consommation chez les foyers plus aisés et âgés, en particulier sur la classe d’âge 50-64 ans. En restauration hors foyer, l’achat de céphalopodes par les professionnels représente 2,6 % des dépenses. Ces produits sont consommés majoritairement en restauration commerciale indépendante (71 % en volume), puis en restauration collective autogérée (16 %), en restauration collective (8 %) et, enfin, dans les chaînes de restauration commerciale (5 %).
Les céphalopodes face aux crises
Les céphalopodes restent en France des produits de niche, en dehors des anneaux de calamar frits qui sont des produits de grande consommation. Alors que les
consommateurs doivent arbitrer en rayon dans un contexte inflationniste tendu, l’ensemble du segment fruits de mer surgelés affiche une baisse des ventes considérable : – 9,1 % en volume en 2022 (à date de septembre 2022) et – 10,2 % en valeur. Stéphanie Pistre, directrice commerciale de Gimbert Océan, résume le problème : « Les céphalopodes ne sont pas des produits prioritaires dans les arbitrages consommateur. » Face à l’inflation et au changement de comportement des consommateurs, l’enjeu pour les professionnels est de s’adapter, malgré les répercussions sur les prix. « On se retrouve à parler davantage prix que produit avec les distributeurs », déplore Alexia Muller, directrice marketing chez Escal.
De son côté, Laurent Vichard, directeur marée chez Carrefour, se montre moins inquiet. « La consommation de céphalopodes va plutôt bien sur le frais, avec une croissance de 1 % à la fin du premier semestre 2022. De nouvelles tendances de consommation apparaissent, avec l’essor de la gastronomie ethnique, l’effet plancha et tapas en été, le poulpe devient à la mode. » Les industriels veulent également miser sur leurs spécificités et leurs atouts, valoriser des produits labellisés et écocertifiés ou encore rappeler les vertus des céphalopodes et du surgelé (stockage, fraîcheur garantie…). Une démarche explicitée par Benoît Barba, directeur du groupe éponyme : « C’est un produit bon, propre et abondant, et ça reste une des protéines animales les moins chères au monde. Les céphalopodes sont des produits à mettre en avant dans ce contexte de crise du pouvoir d’achat des consommateurs. » À l’instar de Laurent Vichard, le patron du transformateur occitan affiche un sourire optimiste : « On reste des latins en France, les céphalopodes reviendront avec les beaux jours. » Si on reste dans le sud de l’Hexagone, Bertrand Wendling, DG de l’OP sétoise Sathoan affirme que « le poulpe est devenu à la mode, c’est l’emblème de Sète, encore plus avec l’essor du tourisme grâce aux séries télévisées ». Alors que l’année 2023 s’annonce imprévisible pour l’ensemble de la filière des produits de la mer en général – et des céphalopodes en particulier –, retrouverons-nous du poulpe sur nos tables en avril à Barcelone et cet été dans le Sud de la France ?
Les céphalopodes mis à mal en Méditerranée
En Méditerranée et sur le littoral sétois, les volumes sont stables, mais le calamar subit de plein fouet la crise du carburant. « Il est pêché au chalut, qui est très consommateur de gasoil », explique Bertrand Wendling, DG de la Sathoan. En plus du gasoil, le plan de gestion WestMed, qui vise à réduire l’effort de pêche des chalutiers, va mener à la casse 15 d’entre eux, sur une flottille de 57 navires sur l’ensemble de la façade. « La criée de Sète va perdre 40 % de ses apport et la moitié de ses chalutiers, déplore Bertrand Wendling. Les navires qui resteront se verront allouer un quota plus important, mais la rentabilité est mise à mal par le prix du carburant. » Un problème de taille pour le calamar, mais qui est moins important pour le poulpe ou la seiche, pêchés au pot et au casier.
Vincent SCHUMENG
Retrouvez l'intégralité du dossier dans le magazine Produits de la mer n°217