Coquille Saint-Jacques : entre diversité et classicisme

Le 26/12/2022 à 8:00 par La rédaction

Qu’elle soit importée des États-Unis ou pêchée à la bouteille, la coquille Saint-Jacques est l’une des stars de la fin d’année dans l’assiette des Français. Ne cessant de battre des records de quantité, tant en ressource disponible qu’en volume, c’est en Normandie et en Bretagne que se déroule l’essentiel de son activité.

Quelle espèce peut se targuer d’une croissance continue depuis plusieurs années et d’une gestion de la ressource optimale, le tout couplé à des prix au minimum stables, voire en hausse ? « La saison dernière fut, une nouvelle fois, record chez nous en termes de production, avec en plus des tarifs positifs, voire record en deuxième partie de saison, se réjouit Arnauld Manner, directeur de Normandie Fraîcheur Mer. L’année dernière, nous étions à environ 80 000 tonnes disponibles sur les gisements normands et, cette année, nous tournons autour de 100 000 tonnes. Même les records de stocks disponibles sont battus ! » S’il est à noter que les mesures de gestion n’ont cessé de s’accroître au fil des ans, les chiffres normands fournis par l’Ifremer impressionnent. La Bretagne n’est pas en reste, avec 63 000 tonnes de biomasse disponible. Démarrée tout début octobre, cette campagne de pêche s’annonce donc sous les meilleurs auspices, que ce soit dans l’une ou l’autre des régions. « Les premières débarques début octobre ont tout de suite été très bonnes, situe Damien Venzat, directeur général de Cobrenord. Cela colle très bien aux données de l’Ifremer sur l’état de la ressource. Ce sont d’abord des zones annexes qui ont été pêchées puis le cœur de la coquille bretonne a débuté le 31 octobre en baie de Saint-Brieuc. Le premier jour, 210 tonnes de coquilles ont été débarquées en Bretagne, dont 190 dans les Côtes-d’Armor. »

 

Des crises « bénéfiques » à la coquille

Que ce soit le coronavirus ou encore le Brexit, rien ne semble arrêter l’intérêt des Français pour le bivalve, bien au contraire. « Dans notre secteur, le coronavirus a seulement été perturbant les deux premiers mois de la crise car nous avons dû nous adapter sans savoir où on allait, se souvient Romain Brossard, cogérant de Crustafrais. Heureusement, les consommateurs se sont remis à cuisiner en parallèle et à consommer localement. L’année qui a suivi a été bonne d’un point de vue commercial. » Un constat unanimement partagé par les différents acteurs de la profession, du pêcheur au mareyeur en passant par les industriels. De son côté, la sortie brutale du Royaume-Uni de l’Union européenne ne semble avoir fait qu’accroître l’envie des consommateurs d’aller vers le local, voire le circuit court. « Le Brexit a freiné les importations de coquilles venant d’outre-Manche, notamment pour la noix d’Écosse, explique Éric Desbuis, gérant de Salicoque Marée. Les contrôles aux frontières se sont multipliés, par exemple, et cela a ralenti toute la chaîne. Certains fournisseurs ont doublé ou triplé leur délai de livraison ! » Difficile de rester compétitif dans ces conditions... « Je suis convaincu que le Brexit a eu un effet positif sur le marché de la coquille française », continue le mareyeur basé à Dieppe. De crise en crise, celle du réchauffement climatique brutal constaté cet été semble là aussi profiter à la coquille Saint-Jacques, même si l’Ifremer s’est montré prudent à ce sujet. Si l’augmentation générale de la température de l’eau semble convenir pour l’instant à la Pecten maximus (notamment en avançant sa période de reproduction), rien ne prouve qu’elle supportera aussi bien une si rapide évolution climatique dans les années à venir…

 

Des volumes spectaculaires

Si l’abondance de la ressource peut avoir un lien avec le réchauffement des températures aquatiques, c’est avant toute chose les nombreuses réglementations autour de la capture du coquillage qui lui permettent de tant proliférer au fond de l’océan. « Il y a 10 ou 20 ans, nous étions à une coquille Saint-Jacques tous les 5 mètres carrés, au mieux, en baie de Seine, détaille Arnauld Manner. Aujourd’hui, nous sommes plutôt à une coquille au mètre carré, ce qui facilite largement leur reproduction. La mise en place de jachères tournantes avec la présence de juvéniles a été un vrai accélérateur de la progression des stocks. » Ainsi, en 2021, près de 39 000 tonnes de coquilles ont été pêchées de Granville au Tréport. C’est plus que l’année dernière et certains secteurs ont augmenté leur volume de pêche assez spectaculairement, comme celui de Granville, qui a progressé de 50 % en volumétrie et est passé en deux saisons de 1 400 à 3 500 tonnes. De l’autre côté du Mont-Saint-Michel, 11 400 tonnes ont été débarquées dans les ports de Bretagne nord et déclarées sous les criées de Saint-Malo, d’Erquy et de Saint-Quay-Portrieux (ce qui représente 95 % des volumes de la région). Ce volume témoigne d’une augmentation de 16 %, soit 1 600 tonnes de plus que durant la campagne 2020-2021. « En Bretagne comme à l’échelle nationale, la coquille est devenue une des plus importantes espèces pêchées en valeur et en volume, se réjouit Damien Venzat, de Cobrenord. Que ce soit en baie de Saint-Brieuc ou chez nos concurrents en baie de Seine, la dynamique est excellente ! »

 

Crise de noix à Noël…

Avec différents Labels Rouges, qui tirent le marché vers le haut des deux côtés du Couesnon ainsi qu’un écolabel MSC breton imminent, la coquille semble indétrônable cet hiver. Quelques difficultés l’attendent pourtant, à commencer par la période si cruciale que sont les fêtes de fin d’année. « L’an dernier, nous avons dû faire face à beaucoup trop de coquilles vis à-vis de la demande de décorticage, reconnaît Éric Desbuis, de Salicoque Marée, aussi située à Dieppe. Une seule semaine a été problématique et c’était avant tout du côté du personnel. Il est nécessaire que consommateurs et restaurateurs anticipent leur stock de coquilles avant les fêtes ». Par exemple, leurs confrères de chez Crustafrais comptent 36 personnes à l’année et font appel à 8 employés supplémentaires lors de cette période… Plus qu’une tendance lourde, le goût du consommateur pour les noix lors des fêtes couplé à des difficultés de recrutement généralisées constituent un véritable défi pour la filière. Dernières ombres au tableau, et non des moindres, la crise économique et la baisse généralisée du pouvoir d’achat des Français, qui pourraient les amener à sacrifier les achats « plaisir », tels que les fruits de mer. « La diminution du pouvoir d’achat des clients inquiète même si, dans l’immédiat, la saint-jacques ne semble pas touchée par ces paramètres », constate Arnauld Manner. Plus généralement, les coûts de l’énergie pourraient ralentir le marché, indirectement. « Le contexte économique s’est tout de même dégradé, notamment au niveau du coût de l’énergie, confirme Damien Venzat. Cela a déjà rendu les coûts d’exploitation plus importants mais aussi ceux de la transformation et du transport. »

 

 

Le passage en criée : la différence Bretagne/Normandie

« Contrairement aux Normands, chez nous, il y a un passage physique en criée obligatoire pour chaque coquillage pêché », lance Damien Venzat, directeur général de Cobrenord. C’est en effet une différence essentielle entre les deux principales régions de gisements de saint-jacques. Ainsi, en Normandie, le chiffre de 39 000 tonnes pêchées la saison dernière est une estimation des captures car la quantité déclarée en criée est de 14 000 tonnes. « La Normandie fonctionne un peu plus au doigt mouillé, sourit Arnauld Manner, de Normandie Fraîcheur Mer. C’est tout à fait légal, la Bretagne a juste décrété une obligation supplémentaire. » Avec sa façade littorale bien plus vaste, la Normandie abrite de nombreux ports dénués de criée comme à Honfleur, Barfleur ou Courseulles-sur-Mer. Elle est donc dans l’incapacité d’appliquer cette même réglementation qu’en Bretagne, au grand dam de ses voisins. « Cette différence est culturelle, le marché a toujours été un peu plus structuré chez nous », conclut Damien Venzat.

 

Guy PICHARD

 

Retrouvez l'intégralité du dossier dans le magazine Produits de la mer n°216

  • Facebook
  • Twitter
  • LinkedIn
  • More Networks
Copy link
Powered by Social Snap