Si le célèbre coquillage est la première espèce débarquée par les pêcheurs français – qui alimentent environ la moitié du marché –, il se caractérise par la petitesse de sa production mondiale et sa forte instabilité. Un véritable casse-tête pour les importateurs.
Avec 25 570 tonnes déclarées sous criées en 2023 (pour une valeur de 69,4 millions d’euros), la coquille Saint-Jacques est sans conteste l’espèce reine de la pêche française. En équivalent poids vif, France AgriMer note une consommation apparente de 85 861 tonnes en 2023. En poids net, les achats des Français se répartissent entre 6 924 tonnes de coquille entière (environ 600 tonnes de noix), 1 737 tonnes de noix fraîches et 1 526 tonnes de noix surgelées.
La saint-jacques est bien sûr un produit très saisonnier, avec une consommation concentrée autour des fêtes. Concernant la coquille entière, sur l’année 2023, elle a surtout été achetée en novembre et décembre. Le mois de novembre a d’ailleurs été meilleur, du fait de volumes importants en début de saison. La noix fraîche est achetée très largement en décembre. Sur les deux présentations, un recul s’opère en janvier. La saisonnalité de la noix surgelée est encore plus marquée, avec une consommation en décembre équivalente à l’ensemble du reste de l’année cumulé.
Côté Bretagne et baie de Saint-Brieuc, Vanessa Lhotellier, directrice commerciale des Viviers de Saint-Marc, rappelle l’historique de l’inflation des deux dernières années : « Pour la saison 2022-2023, les prix ont flambé, le marché s’est effondré en particulier sur la noix, ce qui nous a poussés à nous rabattre sur le surgelé, et donc à remplir nos stocks. Pour les vider, les prix de l’année 2023 et de la saison 2023-2024 ont baissé et la filière (le comité des pêches et l’OP Cobrenord, dont Celtarmor est partenaire, NDLR) a pris la décision d’ouvrir le gisement principal en début de saison, pour avoir une noix blanche de qualité tout de suite et permettre aux GMS de lancer les promotions. » De l’autre côté du Couesnon, Pierre Gouix, directeur des opérations de Normandie Seafood, dresse un bilan aussi morose de la saison dernière : « La coquille normande avait un mauvais rendement en première partie de saison, ce qui a rendu la productivité des mareyeurs moins bonne et augmenté le prix de revient, sans augmenter le prix de vente à cause du marché du surgelé. » Selon Arnauld Manner, directeur de Normandie Fraîcheur Mer, ce problème de rendement « diminue les marges » des mareyeurs.
La saison 2024-2025 qui a débuté ce début octobre s’annonce un peu meilleure, mais Vanessa Lhotellier reste prudente. « C’est difficile pour nos clients d’accepter des hausses de prix, nos coûts de production ont aussi augmenté. À mon avis, la coquille entière va à nouveau bien fonctionner, au détriment de la noix. Je pense que nous ne devons pas nous attendre à de gros volumes mais travailler sur le prix. Pour nos clients grossistes, je crains que les restaurateurs ne la mettent pas forcément à la carte, leur été a été difficile avec les JO et le peu de touristes hors Paris. » Elle confirme que la filière bretonne exploitera le gisement principal de la baie de Saint-Brieuc dès le début de saison, comme l’année dernière, pour des raisons de qualité et de marché. Arnauld Manner soulève quelques sujets de vigilance pour la filière normande, comme « des circonstances économiques plus moroses. Mais on espère que les consommateurs seront encore au rendez- vous ». Pour Pierre Gouix, ce sera la première saison depuis le rachat de Granvilmer, désormais baptisée Granvil Marée (lire dans PDM no 226, p. 18) : « C’est pour la saint-jacques que nous avons fait une offre de reprise. Nous investissons 1,5 million d’euros dans l’entreprise pour créer un entrepôt dédié à la coquille Saint- Jacques, avec un décorticage automatisé et de la surgélation IQF afin d’absorber les volumes. Le consommateur recherche du prix mais aussi de plus en plus de produits prêts à consommer. » Pour ce nouveau site du groupe Normandie Seafood, l’objectif de ventes est de 120 à 140 tonnes de produits finis, de la noix blanche en barquette sous atmosphère modifiée.
Dans son dernier rapport remis au Parlement, l’Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires distingue trois filières : une consommation nationale approvisionnée depuis la Manche-Est vendue en GMS en direct, un approvisionnement Manche-Est en GMS par le biais d’un grossiste et un approvisionnement Manche-Ouest en GMS en direct. Lorsque la GMS se fournit en direct, le coût d’achat en criées a représenté 72,6 % du prix final HT pour la campagne 2022-2023 en Manche-Est et 67,5 % en Manche-Ouest au quatrième trimestre 2023. Une part qui augmente aussi bien en Bretagne qu’en Normandie. La coquille entière fraîche d’origine normande est vendue à 5,42 euros/kg en moyenne en GMS sur la saison 2022-2023 (en baisse depuis 2019), contre 4,47 euros/kg pour l’origine bretonne au quatrième trimestre 2023 (également en baisse depuis 2019). On constate ainsi une tendance à la baisse du prix du célèbre coquillage, accompagnée d’une augmentation du poids du coût matière, ce qui a donc pour conséquence une baisse de la marge distributeur.
Vincent SCHUMENG