Les volumes de vente de crustacés sont en baisse en GMS, en poissonnerie et en restauration hors foyer. Les prix élevés de la matière première sont en partie responsables de cette baisse dans un contexte d’inflation. Les chiffres d’affaires arrivent toutefois à se maintenir du fait de cette hausse de prix.
La pandémie semble désormais derrière nous et le Brexit a instauré de nouvelles règles entre l’Europe et le Royaume-Uni. Le marché semble opérer un retour à la normale avec toutefois une baisse de la consommation. L’inflation générale, la hausse des prix importante (+ 4 % en moyenne sur les importations) et le changement des habitudes de consommation sont autant de facteurs de ce désamour des produits de la mer.
La consommation de crustacés frais est en recul sur le second semestre de l’année 2022 par rapport à la même période en 2021. Les quantités ont diminué de 19 % sur ce semestre, tout particulièrement pendant le mois de décembre où la chute atteint les 23 %. Dans un contexte d’inflation, les prix ont été soutenus de juillet à novembre 2022. Des augmentations de 7 % ont été constatées par rapport à la même période en 2021, comme l’indiquent les rapports de France AgriMer. L’offre surgelée est également en baisse de 9,1 %.
Tous les professionnels s’accordent pour dire que l’inflation a eu un impact sur la consommation. « Les crustacés sont un achat plaisir, constate Vanessa Lhotellier, responsable commerciale aux Viviers de Saint-Marc, à Tréveuneuc. Depuis la rentrée 2022, les achats en poissonnerie sont plus espacés et les magasins ne s’engagent pas sur de forts volumes. »
Dans ce marché chamboulé, les professionnels restent attentistes et espèrent une éclaircie. La baisse des volumes est source d’inquiétude, notamment pour les langoustines et le tourteau dont les raisons de la diminution de la ressource ne sont pas clairement établies. Le recul de la vente des produits frais interroge aussi sur les changements d’habitudes des consommateurs, à la recherche de crustacés prêts à consommer.
Sur les ventes en restauration hors foyer (RHF), l’inflation a moins d’impact car le client veut avant tout se faire plaisir et est prêt à dépasser son budget un peu plus exceptionnellement. En revanche, le facteur prix de la matière première a un fort impact pour les restaurateurs. Couplé au prix de l’énergie et à la difficulté de recruter du personnel, de nombreux restaurants sont obligés de réduire la voilure et diminuent la quantité de produits commandés. Le prix du tourteau ou du homard fait flamber le plateau de fruits de mer. « Le secteur des métiers de bouche est en pleine mutation, explique Thierry Boudraoui, directeur commercial de Homards Acadiens à Lyon, qui a rejoint le Réseau Le Saint. Cela pose des problèmes aux grossistes qui vont devoir s’adapter aux changements des mentalités. Les problèmes de recrutement, chez les clients et dans nos entreprises, sera une des grosses problématiques de 2024. »
Le Brexit et les imports du Royaume-Uni ont aussi fait évoluer les approvisionnements depuis deux ans. Désormais, la GMS traite directement avec les grossistes anglais. Par exemple, ils fournissent Metro en direct pour le homard. Les Britanniques se sont rabattus sur le marché français alors que le marché chinois, sur lequel ils avaient beaucoup misé, a l’air de fléchir. C’est le premier importateur de crustacés en France.
Chez Keraliou, à Plougastel-Daoulas, membre du Réseau Le Saint, même si on préfère acheter local, « il faut répondre à la demande », comme le dit son directeur Yohann Kerouanton. Outre les approvisionnements bretons, le homard et les langoustines viennent d’Écosse, transportés en camions-viviers, et le tourteau vient d’Écosse ou des Pays-Bas. L’araignée, pêchée en abondance, vient de Loguivy, où le mareyeur est en contrat avec deux pêcheurs. Le directeur est « confiant pour l’année à venir, même si le sourcing et la question de la sécurisation de l’approvisionnement restent une préoccupation majeure ». Avec une grande inconnue, celle de l’approvisionnement en tourteaux.
« Il va falloir apprendre à vendre moins mais mieux, remarque Vanessa Lhotellier. Les produits qui avaient été dévalués pendant des années repartent à la hausse. » L’image premium du produit peut ainsi jouer en sa faveur auprès de la clientèle. « C’est indispensable de mieux valoriser le produit, abonde Erwan Dussaud, directeur commercial de Béganton, du groupe Mericq. Il faut que l’on fasse moins et mieux, trouver un prix qui tienne sur les années qui viennent. » Selon lui, la bulle est en train de se dégonfler. La dernière étude Kantar sur la consommation des produits de la mer préconise de travailler la notion de « valeur de la marque », avec des prix en accord avec la qualité du produit mais aussi des « prix psychologiques » à ne pas dépasser.
« Nous ne sommes ni pessimistes ni optimistes, ajoute Vanessa Lhotellier. On vit au jour le jour et on verra comment évolue l’inflation. La consommation des crustacés ira avec le moral des Français. On y verra plus clair début 2024. » Même son de cloche aux Viviers de Locarec, rattachés au groupe Océalliance. « C’est très difficile d’être clairvoyant. L’incertitude des marchés bloque les investissements des entreprises, qui font également face à des problèmes de recrutement de personnel », abonde Xavier Marette, responsable commercial.
Le métier requiert des adaptations permanentes. « Il faut tenir compte de tous les paramètres, affirme Thierry Boudraoui. L’évolution en dent de scie des prix apporte de la complexité. Il faut prendre en compte le coût du transport, le prix de l’énergie et le niveau des captures de la ressource tout en sondant les capacités d’achat des clients. » Si le marché devrait se réguler en 2024, il faut s’adapter aux changements de mentalités dans la restauration et dans les comportements d’achat du consommateur final.
« Il faut jongler entre tous les marchés, intérieur, à l’export et au grand export, avec la Chine qui reste un marché intéressant, poursuit Xavier Marette. Il faut trouver le bon mix pour satisfaire tous les clients. »
Langoustines vivantes : des prix très volatils
Au Guilvinec, environ 25 bateaux continuent de pêcher au chalut la langoustine toute l’année, avec des pics de mi-avril à fin juin, « même si les saisons sont de moins en moins marquées et que les volumes sont en baisse », explique Marc Lainé de Top Atlantique, membre du Réseau Le Saint, qui achète la langoustine vivante. S’il y a quelques années, les pêcheurs pouvaient ramener jusqu’à une tonne par jour, aujourd’hui c’est plutôt autour de 400 kilogrammes. Les apports sont très irréguliers et les prix montent et descendent chaque jour, en fonction des arrivées. « La langoustine, ce n’est pas une science exacte », abonde Yohann Kerouanton des Viviers de Keraliou. La demande dans le Grand Ouest, où elle est principalement consommée, reste forte. Les apports bretons sont complétés par des imports du Royaume-Uni. La fin de saison du Guilvinec, un peu plus propice, ne sera pas suffisante pour rattraper le manque en termes de volume sur l’année. La hausse du prix ne compense pas les baisses de volume et le chiffre d’affaires diminue.
Carole ANDRÉ