Inflation : les poissons blancs en payent les frais

Le 21/02/2024 à 11:23 par La rédaction

Les poissons blancs, souvent considérés comme des runners (poids lourds) sur le frais et le surgelé pour leur praticité ont aussi été victimes de la baisse de consommation, perturbant la filière importatrice. Du cabillaud au colin d’Alaska en passant par le lieu noir, PDM fait le point.

 

Le cabillaud demeure la star des poissons blancs. En 2022, France AgriMer chiffre une consommation apparente (poids vif) de plus de 153 000 tonnes. Pour la même année, le frais domine avec 13 392 tonnes achetées, en baisse de 27 % par rapport à 2021. Le surgelé résiste mieux, avec une baisse de 13 %. Même constat sur le taux de pénétration, qui baisse de 5 points sur le frais et passe à 33 %, contre 24 % sur le surgelé, en chute de 3 points. Mais ce qui frappe le plus sur ce leader, c’est la hausse du prix moyen enregistrée en 2022 : + 14 % sur le frais, mais surtout + 105 % sur le surgelé !

Un opérateur spécialiste du cabillaud islandais explique cette baisse de consommation par le prix : « Le marché décroche au-delà de certains seuils. Dès que les prix baissent et qu’il y a du volume, le marché redémarre et les GMS font des mises en avant. C’est simple, si la grande distribution a un intérêt sur les prix, nous retrouvons du volume. » La hausse des prix est pour lui à relier aux soubresauts de la pêche : un quota pas totalement pêché en Islande et une baisse du quota norvégien, qui en plus n’est pas exploité toute l’année. « La baisse du quota norvégien n’a pas affecté la pêche islandaise mais a fait augmenter les prix », corrobore cet opérateur.

Pour Valentin Hartmann, directeur des ventes d’Atlantic Fresh Europe dont le cabillaud représente plus de la moitié du chiffre d’affaires, la hausse du prix de ce dernier à l’import se chiffre autour de 10 % sur l’année. « Nous essayons d’être réactifs à l’achat et d’avoir des prix cohérents, mais nous souhaitons conserver la qualité islandaise, détaille-t-il. Cette qualité et notre régularité, permise par la pêche islandaise bien gérée, sont de gros arguments commerciaux et justifient un prix de vente élevé. » Selon lui, l’inflation s’explique certes par des tensions en amont, mais aussi par une augmentation de la demande mondiale, « qui fait se resserrer le marché ».

D’après Bruno Deshayes, directeur des ventes chez Cornic-Novamer, ce phénomène de déconsommation reste à nuancer : « Cela peut être une mise à jour après une surconsommation pendant la crise sanitaire. Globalement, le consommateur a changé ses habitudes, l’alimentaire est devenu sa variable d’ajustement dans son budget et les produits de la mer ne sont pas des produits de première nécessité. » Autre nuance apportée par Jean-Marie Le Mentec, d’Alpha Bay, « les premiers prix se vendent toujours, c’est le milieu de gamme qui trinque. Typiquement, le cabillaud décroche à cause de prix élevés et le colin d’Alaska résiste ».

 

Comment s’adapter ?

L’enjeu pour la filière en 2024 va être « de faire revenir le consommateur avec des prix », selon Bruno Deshayes. Ce à quoi Jean-Marie Le Mentec affirme avoir déjà répondu grâce à des cours favorables sur le colin d’Alaska : « 2023 a été une année de déflation sur ce produit. J’ai voulu apporter à mes clients industriels une baisse de prix salutaire. Mais c’est difficile pour eux de faire du prévisionnel sur les ventes, beaucoup de distributeurs ont acheté au dernier moment pour s’adapter à la demande. »

Jean-François Rivet, directeur du bureau commercial de l’armement islandais VSV à Boulogne, profite de la visibilité offerte par son groupe : « J’ai accès aux captures des bateaux et je ne fais venir que ce dont j’ai besoin. Je constate que mes clients passent de plus en plus de petites commandes pour limiter la casse. Ça change l’organisation en amont, nous fonctionnons à flux tendus. »

Valentin Hartmann se montre ambitieux et optimiste pour 2024, avec « une inflation en baisse et des quotas en hausse en Islande, nous allons chercher des parts de marché à l’achat sur le cabillaud ou l’églefin ». Tout comme Jean-François Rivet, il doit « diversifier [ses] arrivages. Nous recevons moins de marchandises mais plus souvent, pour limiter la casse, assurer la fraîcheur et être agile face à une demande erratique ».

Malgré ces adaptations possibles (voire nécessaires ?), pour Bruno Deshayes, de Cornic-Novamer, il n’y a pas beaucoup de solutions pour détendre le marché : « Je pense que nous allons vers une baisse des prix pour s’adapter à la baisse de la demande. Le poisson blanc, en particulier surgelé, reste un métier de volume, nous devons avoir des prix cohérents. » Jean-Marie Le Mentec en appelle à « de la stabilité sur les prix » pour 2024.

 

La fin des droits de douane préférentiels sur les produits russes

Jusqu’au 1er janvier 2024, les produits d’importation russes bénéficiaient d’un taux de douane préférentiel à 0 % s’ils étaient destinés à la transformation pour créer de la valeur ajoutée. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, notamment pour le colin d’Alaska qui se voit attribuer un taux de douane de 13,5 %. « Les imports  russes de colin d’Alaska représentent 75 % des apports sur le marché européen, détaille Jean-Marie Le Mentec, dirigeant d’Alpha Bay. Il y a deux sourcings pour le colin : les États-Unis, qui se réservent en priorité leur marché domestique, et la Russie, qui s’est taillé des parts de marché importantes en Europe. Je ne crois pas que ce taux de douane aide à mettre fin au conflit ukrainien et ce sont les industriels européens qui payent les pots cassés », regrette l’importateur. Selon lui, le colin d’Alaska est « irremplaçable : il y a du volume, de la disponibilité toute l’année et à des prix acceptables, ce qui en fait un incontournable pour la  transformation, la restauration collective et le marché discount ».

 

Vincent SCHUMENG

 

Retrouvez l'intégralité du dossier dans le magazine Produits de la mer no 223

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