La France aime les produits de la mer irlandais : saumon bio, crustacés, coquillages, poissons blancs ou bleus. Les Irlandais, eux, chouchoutent le marché hexagonal, comme l’a constaté PDM, en reportage dans l’Ouest du pays. Point noir : la logistique post-Brexit.
« La France est, de loin, le premier marché pour les produits de la mer irlandais », rappelle Germain Milet, spécialiste des marchés français, belge et luxembourgeois chez Bord Bia, l’agence d’État qui assure la promotion des produits alimentaires irlandais à l’international. Démonstration en chiffres : en 2023, le pays a exporté pour 547 millions d’euros de produits de la mer dans le monde, dont 335 millions vers l’UE. L’Hexagone, à lui seul, représente 127 millions d’euros. Le lien entre les deux pays n’est pas seulement économique, mais également historique et culturel. De nombreux Français sont installés en Irlande et ont aidé à développer la filière, en particulier sur les coquillages et crustacés. « Il existe une forte proximité entre les opérateurs français et irlandais », confirme Germain Milet. Ainsi, trois entreprises tricolores – Gillardeau, Parcs Saint-Kerber et le groupe Boutrais – restent les principaux producteurs d’huîtres du pays. Nombreux sont les Français à occuper des postes à responsabilité dans des entreprises irlandaises. Citons Yohann Pierard, responsable commercial et marketing de Sofrimar (crustacés, céphalopodes, mollusques, poissons et produits élaborés) ; Yannick Goimier, directeur commercial d’Errigal Bay (crustacés) ou encore Valérie Cooke, directrice commerciale de l’ISPG (saumon bio, lire dans PDM no 225 p. 65). Stefan Griesbach, autre compatriote installé en Irlande, compare les deux marchés. « Les Irlandais ont une faible connaissance des produits de la mer et un rapport très différent à l’alimentation. Là où les Français vivent pour manger, les Irlandais mangent pour vivre. Certains produits, comme les moules, sont de surcroît associés à des évènements historiques négatifs, comme la grande famine. Cela explique aussi pourquoi le marché est entièrement tourné vers l’export », analyse cet ancien chef de rayon poissonnerie en région parisienne, installé à Galway depuis de nombreuses années. Il y a fondé Eat More Fish, une poissonnerie dont la clientèle est principalement internationale. Elle se décline aussi en un site de vente de produits de la mer en ligne. « Eatmorefish.ie est peut-être le site Internet qui propose le plus de références en Europe », avance Stefan Griesbach.
Selon les derniers chiffres disponibles de l’Eumofa (Observatoire européen des marchés des produits de la pêche et de l’aquaculture, édition 2023 sur les données 2022), l’Irlande se classe par ailleurs 7e pays membre pour les exportations de produits de la mer extra-UE, avec 312,6 millions d’euros, juste derrière… la France (450,6 millions d’euros). « L’Asie fait figure d’Eldorado, avec des fortunes diverses », constate Germain Milet.
La situation géographique excentrée de l’Irlande, additionnée à l’importance de l’export, a rendu le Brexit particulièrement difficile. « Le Brexit a mis notre industrie plus bas qu’il y a 40 ans en termes de documents d’exportation vers ou via le Royaume-Uni (formulaires T). C’est un désastre total », estime Andy Mulloy, directeur général de Connemara Seafoods. Les contrôles vers le voisin britannique sont désormais « aussi importants que vers les États-Unis, alors que c’est à quelques heures de route ». Ces mesures compliquent considérablement les flux routiers de l’Irlande vers l’Europe continentale. Les opérateurs regrettent les lourdeurs administratives, des délais et coûts supplémentaires mais aussi une perte de flexibilité. « Avant le Brexit, 300 départs étaient possibles chaque jour via le Royaume-Uni, c’était très flexible et rapide. Maintenant, il faut compter sur les ferries au départ de l’Irlande », indique Valérie Cooke chez ISPG. Or, ces derniers sont peu nombreux et les annulations sont fréquentes, en cas de tempête par exemple. Autre souci : si le ferry part le samedi, il n’y a personne pour assurer la réception en France le dimanche. Cathal King, l’un des deux dirigeants d’Atlantic Marine Seafoods, a lui aussi un avis bien tranché : « Le Brexit est un cauchemar complet ! Quand on transporte des produits vivants, la logistique est essentielle, or elle est devenue extrêmement compliquée. » Dans le collimateur des opérateurs figurent notamment les contrôles SPS (sanitaires et phytosanitaires) imposés par le Royaume- Uni. Depuis janvier, ils impliquent de présenter un certificat sanitaire sur les importations alimentaires. Les contrôles se sont durcis depuis le 30 avril. Les produits de la mer (vivants ou morts) sont tous concernés car classés medium et high risk. « Les textes ont été conçus pour les vaches et les chevaux, pas pour les produits de la mer », explique un professionnel, dépité.
L’autre impact du Brexit concerne les volumes de pêche. Entré en vigueur en 2021, l’accord de commerce et de coopération entre l’Union européenne et le Royaume-Uni prévoit un transfert de quotas en faveur des Britanniques. L’Irlande est l’un des pays les plus touchés, avec une réduction de quotas de 15 % d’ici 2025 et une perte annuelle évaluée à 43 millions d’euros. Un coup dur alors que la population de pêcheurs est par ailleurs vieillissante. « J’achète à beaucoup de pêcheurs de plus de 60 ans, voire 70 ans. Ils sont fatigués et risquent de disparaître, emportant avec eux leur savoir-faire », s’attriste Cathal King. Il estime que « la réglementation va trop loin, il faut trouver un équilibre car l’excès de régulation est dangereux ».
L’aquaculture irlandaise se distingue quant à elle par le poids du bio, principalement sur le saumon. En 2022, l’espèce représentait à elle seule 13 500 tonnes et surtout 124 millions d’euros de chiffre d’affaires. Huîtres et moules (de corde ou de fond) sont également des poids lourds.
52 opérateurs de produits de la mer et de l’aquaculture irlandais peuvent se prévaloir de la démarche Origin Green. Créé par Bord Bia, ce programme d’assurance qualité irlandais correspond à une démarche volontaire, avec des obligations. Chaque entreprise doit établir un « plan d’objectifs » à trois ou cinq ans. Origin Green implique également un audit externe par an. De quoi assurer un modèle toujours plus durable.
Fanny ROUSSELIN-ROUSVOAL