La filière pêche face aux crises

Le 26/10/2023 à 10:18 par La rédaction

La 13e édition des Assises de la pêche et des produits de la mer, organisée par Le Marin et Ouest-France, s’est tenue à Nice les 21 et 22 septembre, avec la participation de PDM. Ce rendez-vous incontournable est marqué cette année par une ambiance très tendue, sur fond de plan de sortie de flotte, de fin des aides carburant pour les pêcheurs et d’inflation qui bouleversent l’équilibre de toute la filière.

 

L’atmosphère du Centre universitaire méditerranéen était hautement inflammable à l’ouverture des Assises ce 21 septembre. Hervé Berville avait annoncé quelques jours avant la fin des aides carburant, qui permettaient d’assurer la rentabilité des navires, dès le 15 octobre – échéance indiquée lors du Salon de l’agriculture. Dans un communiqué publié la veille de l’évènement, France Filière Pêche (FFP) met en garde contre un risque de « surinflation » si les opérateurs de la filière prennent en charge ce surcoût.

En mot d’accueil et d’ouverture, le maire de Nice, Christian Estrosi, souligne « qu’il est impossible d’évoquer les sujets d’avenir comme la pêche et le maritime sans mettre les enjeux climatiques et environnementaux au centre. Il est essentiel de subventionner la pêche, qui participe à la souveraineté alimentaire de la France, et notamment sur la question du carburant. » Si la Provence-Alpes-Côte d’Azur est la région littorale qui pèse le moins lourd dans la filière halieutique nationale, avec aucune halle à marée, Christophe Madrolle, conseiller régional, rappelle que « la pêche est ici familiale et artisanale. Elle doit être valorisée auprès des consommateurs ».

Le programme de la première table ronde s’est retrouvé bousculé par l’actualité des aides carburant. En introduction, Olivier Le Nézet, président du Comité national des pêches (CNPMEM), voit dans la décision du secrétaire d’État une « trahison qui peut signer la disparition de la pêche française et de la filière halieutique ». Il en appelle au Parlement européen qui doit selon lui « prendre ses responsabilités face aux décisions de la Commission ». Pierre Karleskind, président de la commission pêche du Parlement européen et député du groupe Renew (parti Renaissance en France), ne cache pas son « malaise » face à la colère des pêcheurs et tient à rappeler que « l’aide carburant avait déjà été prolongée et les plafonds relevés. J’ai personnellement plaidé auprès de la Commission pour lever ces contraintes. Mais je m’interroge sur l’incapacité de la filière française à répercuter les charges des producteurs sur le prix final ». Ce à quoi Olivier Le Nézet a répondu « Banco ! Mais il faut que l’État aide la filière sur le court terme pour nous assurer une visibilité sur le long terme. La filière est déjà structurée à travers France Filière Pêche (FFP) et le contrat stratégique. »

Philippe Le Gal, président du Comité national de la conchyliculture (CNC), mentionne également les impacts indirects de l’inflation et des taxes sur le carburant : « Il demeure le problème du transport et du surcoût en bas de page de facture. Ça devient insupportable, les producteurs répercutent sur les prix, mais nos produits deviennent chers, alors qu’il y a une déconsommation importante, notamment dans la grande distribution. » Le message des professionnels a été entendu car une semaine après les Assises, le gouvernement a décidé de ne pas laisser les pêcheurs sans alternatives après le 15 octobre en promettant une prolongation des aides au gazole au-delà de cette date. Cette 13e édition a accueilli près de 400 visiteurs de toute la France : des professionnels de l’amont à l’aval, des élus locaux, des scientifiques et des organisations professionnelles. La prochaine édition aura lieu les 20 et 21 juin 2024 à Lorient. Save the date !

 

Christian Estrosi, maire de Nice :
« Il est essentiel de subventionner la pêche et le carburant. » © Ilago

 

 

Politique européenne des pêches et biodiversité : conciliation et opportunités pour les activités de pêche et de cultures marines

Jeudi 21 septembre 2023 à 10 h 30
Avec : Benoît Guérin, pêcheur petits métiers et consultant international ; Pierre Karleskind, président de la commission pêche au Parlement européen ; Philippe Le Gal, président du CNC ; Olivier Le Nézet, président du CNPMEM

L’Union européenne a fixé un objectif de 30 % des eaux communautaires en aires marines protégées (AMP) d’ici 2030, dont 10 % de protection forte. Dans sa proposition initiale, la Commission souhaitait interdire le chalutage dans toutes les AMP, ce à quoi Pierre Karleskind s’est opposé : « Il faut analyser les impacts de la pêche au cas par cas pour chaque AMP. Les mesures de préservation doivent être spécifiques. J’ai fait voter un amendement pour rendre obligatoires ces analyses dans toutes les AMP, qui par ailleurs peuvent être bénéfiques pour les pêcheurs. » Olivier Le Nézet a tenu à rappeler les engagements des pêcheurs : « Nous avons la ressource la mieux gérée du monde et la flotte européenne a déjà été réduite de moitié en 30 ans. Pour moi, il ne faut pas imposer de protection forte là où les pêcheurs travaillent. » Benoît Guérin rappelle l’exemple de la pêcherie de légine dans les Kerguelen, « une véritable réussite », qui est passée à la palangre et a fortement réduit les prises accidentelles d’oiseaux marins.

Tous les intervenants s’accordent sur deux points : la connaissance scientifique est essentielle et elle vient en partie des pêcheurs eux-mêmes. « Prendre en compte le savoir des pêcheurs mais aussi le contexte social et culturel du territoire est fondamental pour établir des mesures de gestion efficaces », défend Benoît Guérin. Olivier Le Nézet se félicite des succès de conservation dans les parcs naturels marins et les zones Natura 2000, « où le cœur de la conservation, c’est l’apport des pêcheurs ». Pierre Karleskind défend également ce modèle où « un rôle primordial est donné aux pêcheurs, ce qui permet une mise en œuvre
efficace des mesures de protection. Il pourrait en plus y avoir co-construction de connaissances en conjuguant les savoirs empiriques des pêcheurs, les expertises scientifiques et la récolte de données ». Et Olivier Le Nézet de conclure : « De manière générale, ce qui se fait sans les pêcheurs se fait contre les pêcheurs. »

 

De g. à d. : Olivier Le Nézet, Philippe Le Gal, Benoît Guérin, Pierre Karleskind © Ilago

 

Plans de sortie de flotte : quel avenir pour la filière ?

Jeudi 21 septembre 2023 à 16 h 30
Avec : Yves Foëzon, directeur de l’OP Pêcheurs de Bretagne ; Guénolé Merveilleux, président d’Océalliance et de l’Abapp ; Bernard Pérez, président du CRPMEM Occitanie

« La filière attend toujours les études d’impact du PAI*, tempête Yves Foëzon en introduction. Maintenant, on va aussi voir l’impact de la fin des aides carburant sur la flottille chalutière. Certains navires ne seront plus rentables. Nous allons porter plainte contre l’État pour non-assistance à pêcheurs en danger. » À cela s’ajoute un coup de gueule de Guénolé Merveilleux qui tonne que « le mareyage en a marre. Les conséquences seront terribles cet hiver : la perte de volume affecte notre chiffre d’affaires et notre rentabilité et, à terme, l’investissement et l’emploi. La pêche a pu bénéficier du PAI, mais le mareyage n’a pas eu un centime d’aides publiques. On avait demandé un PAI mareyage pour permettre à des entreprises de fermer dignement et à la filière de sortir la tête de l’eau ». Pas plus optimiste que ses partenaires débatteurs, Bernard Pérez en appelle à la volonté politique de l’État : « Le gouvernement veut-il de la souveraineté alimentaire, ou n’en veut-il pas ? Si l’objectif est de mettre fin au chalut, il faut le dire. » « Ce qui fait vivre Océalliance, c’est le chalut », souligne le patron du premier groupe de mareyage.

Les débatteurs ont du mal à se projeter dans l’avenir, « c’est difficile, se désole Yves Foëzon. Cette crise va faire disparaître les chalutiers. Historiquement, la pêche a toujours été soutenue par l’argent public, c’est une question de choix politique. » Malgré tout, Guénolé Merveilleux propose une vision sur deux piliers : régionaliser davantage la gestion des pêches et les chaînes de valeur et structurer les professionnels pour qu’ils proposent leur propre stratégie de filière et prendre en main le produit « du bateau au consommateur ; finalement c’est lui qui décide de notre avenir. La clé, c’est d’avoir du volume à transformer et valoriser, et développer les marchés pour assurer la rentabilité et la visibilité de la filière. Mais aujourd’hui, le consommateur dit non, le chiffre d’affaires du mareyage est à – 10 ou – 20 %. Les Français ne veulent plus de nos produits, qui ne sont pas assez accessibles ». Océalliance poursuit sa stratégie de croissance externe « pour aller chercher du poisson », mais aussi de développement de nouvelles gammes en libre-service.

De g. à d. : Yves Foëzon, Guénolé Merveilleux, Bernard Pérez © Ilago

 

« Toutes les crises de la pêche viennent de sa dépendance au pétrole. »

Vendredi 22 septembre 2023 à 9 h 30
À l’ouverture du deuxième jour des assises, Hervé Berville, secrétaire d’État en charge de la mer auprès de la première Ministre, était très attendu par les professionnels après ses annonces sur la fin des aides carburant

« Nous vivons des temps difficiles, mais sont-ils plus durs qu’il y a 20 ou 30 ans ? Je n’en suis pas convaincu », ouvre Hervé Berville en réponse à l’ambiance électrique qui l’attendait dans l’amphithéâtre du Centre universitaire méditerranéen. Le secrétaire d’État commence par défendre son bilan : négociation de quotas plus favorables pour les pêcheurs que la proposition de la Commission – en particulier sur l’anguille –, préservation des activités de pêche dans les aires marines protégées ou encore sa défense pour une évolution de la politique commune des pêches par quatre volets (les quotas pluriannuels, la modernisation des règles de jauge des navires pour le renouvellement de la flotte, les clauses miroirs à l’import et la préparation de l’accord sur les quotas avec le Royaume-Uni en 2026).

Sur les aides carburant, Hervé Berville indique : « Cette aide de 75 millions d’euros sur les 18 derniers mois n’a ni équivalent ni précédent en Europe. Tout le monde connaissait la date du 15 octobre. J’ai tenu, avec le Président de la République, à vous laisser ce temps pour mettre en place un mécanisme de solidarité de filière. Toutes les crises de la pêche viennent de sa dépendance au pétrole, il faut arrêter de passer d’une crise à l’autre sans régler le problème à la racine. Notre politique des pêches ne peut pas être une alternance entre plan de sortie de flotte et crise du gazole. » Il annonce une réduction de 13 centimes à la pompe, prise sur les marges des énergéticiens (dont Total qui fournit 75 % du gazole pêche), valable sur le gazole qui incorpore du biocarburant. « Cela ne nécessite pas de changer les moteurs des navires, mais de travailler sur les infrastructures portuaires », rappelle le secrétaire d’État. Sur le long terme, un plan de 450 millions d’euros sur 10 ans a été annoncé, financé par la taxe éolienne, pour décarboner la flotte de pêche.

Au-delà du carburant, Hervé Berville annonce la création d’un observatoire de l’économie de la pêche, en lien avec France AgriMer et France Filière Pêche, dans les six prochains mois. De plus, il a donné rendez-vous à la filière le 27 septembre, lors d’un conseil spécialisé pêche et aquaculture de France AgriMer pour signer le contrat de filière préparé par FFP. « Sa raison d’être est de trouver les bons mécanismes de solidarité avec les contributions de la grande distribution notamment », argumente le secrétaire d’État. Alors qu’Hervé Berville allait conclure son discours, de nombreux représentants des pêcheurs sont sortis de l’amphithéâtre pour signifier leur désaccord. « Vous donnez une mauvaise image de la profession. Nous devons nous dire les choses en vérité. J’espère que nous nous retrouverons autour d’une table une fois que tout le monde aura repris ses esprits », a réagi calmement le secrétaire d’État. Lors d’un point presse quelques minutes après son discours, Hervé Berville a répondu aux questions de PDM : « La filière ne serait pas dans cette situation si elle s’était structurée. Le mécanisme de solidarité du contrat de filière doit répondre à l’urgence. »

Hervé Berville, très attendu, a ouvert la deuxième journée des Assises de la pêche et des produits
de la mer. © Ilago

 

Les pêcheurs claquent la porte

À l’issue d’une entrevue entre Hervé Berville et les représentants de la filière, Olivier Le Nézet affiche sa colère et sa déception : « Le compte n’y est pas. Je demande à être reçu au plus vite par le Président de la République, l’État doit absolument prendre en compte nos problématiques et soutenir les plus touchés par l’augmentation du carburant. »

La filière, de l’amont à l’aval, pointe l’effet domino que cette augmentation aura également sur les mareyeurs, transformateurs, distributeurs et consommateurs. Olivier Le Nézet souligne l’importance de ces derniers pour soutenir la pêche française.

Dans son communiqué du 20 septembre, Frédéric Toulliou, président de FFP, rappelle que « la solidarité de filière n’est plus à démontrer depuis 12 ans. Ce n’est pas à elle de pallier les manquements du gouvernement ». Depuis 2011, FFP a investi 250 millions d’euros dans des « actions fortes et structurantes ».

© V. S.

 

L’algoculture, vers une montée en puissance de la filière

Vendredi 22 septembre 2023 à 10 h 50
Avec : Jacques Doudet, secrétaire général du CRPMEM Bretagne ; Éric Philippe, président de Merci les algues ; Jean-Pierre Rennaud, président du Cluster Algues Bretagne ; Jean-Baptiste Wallaert, président de la CSAVM

« Les macroalgues connaissent une grande diversité d’usages et de débouchés, il y a du potentiel. En Bretagne, 10 espèces peuvent être cultivées, chacune avec ses spécificités nutritionnelles. Avec une même ressource, il est possible de nourrir beaucoup de marchés », situe Jean-Baptiste Wallaert, en rappelant par exemple la place croissante des biostimulants à base d’algues. Pour la Bretagne, hotspot de la filière en France, Jean-Pierre Rennaud met en avant des structures comme le Ceva ou la station biologique de Roscoff qui font de la région la « championne du monde de la science des algues ». Éric Philippe place la discussion dans un cadre historique et raconte que « la filière algue bretonne est petite mais ancienne. Il y a une richesse d’entreprises qui innovent en France. Là où il y a le plus de perspectives, c’est dans l’agriculture : agronomie des sols, alimentation animale… L’enjeu, c’est de développer la filière pour ne pas dépendre de l’import. Pour cela, il faut bien connaître les marchés. » Jacques Doudet pointe la nécessité de développer l’algoculture « qui fournit un produit bio. Il y a une demande croissante, de nombreuses perspectives de valorisation et de débouchés commerciaux ». Pour Jean-Pierre Rennaud, le gros du travail est fait et les entreprises ont changé de stratégie, « elle sont dans une logique de sécurisation de leur business. Elles sont prêtes à s’engager sur l’amont et la production. Maintenant, c’est aux collectivités territoriales d’aider une filière de transformation et de distribution à se structurer à terre ». Éric Philippe complète en affirmant « qu’il ne faut pas avoir peur du volume. Le tout, c’est de faire de la valeur ajoutée ». Jean-Baptise Wallaert conclut cette table ronde avec optimisme : « Les algues, c’est maintenant ! »

De g. à d. : Jacques Doudet, Jean-Pierre Rennaud, Jean-Baptiste Wallaert et Éric Philippe © V. S.

 

Marques et labels des produits de la mer : visibilité, critères déterminants et ambition

Vendredi 22 septembre 2023 à 12 h 40
Avec : Annie Aubier, vice-présidente du CRC Charente-Maritime ; Hélène Keraudren, déléguée générale de France Filière Pêche ; Amélie Navarre, directrice du MSC France ; Isabelle Thomas, secrétaire générale de Breizhmer

Pour les quatre structures présentes autour de la table, l’objectif est le même : structurer la filière autour de bonnes pratiques sur la qualité et l’environnement et valoriser les produits sur le marché. « La marque Huître Charente-Maritime complète bien l’IGP Marennes Oléron, illustre Annie Aubier. Elle intègre l’ensemble du territoire et fédère tous les professionnels grâce à une communication harmonisée. » Pour Hélène Keraudren, c’est le pêcheur qui est au cœur de la communication : « Nous mettons en avant, à travers Pavillon France, les bonnes pratiques des pêcheurs, le cadre réglementaire français et européen et la culinarité des produits de la pêche française. Nous nous appuyons sur des animations en rayon, des fiches recettes, des évènements comme le Salon de l’agriculture ou sur des campagnes publicitaires dans les médias. » Pour FFP comme pour Breizhmer, le maître-mot est la diversité, comme l’appuie Isabelle Thomas : « Nous avons une approche holistique : tous produit, tous métiers, tous budgets ! » Quant à Amélie Navarre, elle explique que la stratégie de communication du MSC est « d’accompagner les professionnels pour faire passer les bons messages de durabilité aux consommateurs. Notre objectif est de nouer des partenariats commerciaux pour améliorer les pratiques de toute la filière. Nous avons aussi deux temps forts que sont la Semaine de la pêche et de l’aquaculture durable et la Journée mondiale de l’océan, où nous rencontrons le grand public ».

Quant à savoir si les labels peuvent permettre de relancer la consommation actuellement en berne, difficile de répondre, « mais c’est la mission que FFP se donne », explique Hélène Keraudren. D’après Isabelle Thomas, l’intérêt marketing des labels est d’abord « d’anticiper et sécuriser des marchés de plus en plus en demande de produits vendus sous cahier des charges, comme la grande distribution ou la restauration collective. Les entreprises qui voient le plus l’intérêt des labels sont celles qui sont au contact des acheteurs finaux ».

 

De g. à d. : Annie Aubier, Hélène Keraudren, Amélie Navarre et Isabelle Thomas © Yves Bollot

Vincent SCHUMENG

  • Facebook
  • Twitter
  • LinkedIn
  • More Networks
Copy link
Powered by Social Snap