Le marché de la crevette chahuté

Le 14/06/2024 à 15:00 par La rédaction

Entre l’explosion de la production équatorienne, la baisse de la qualité et la baisse de la consommation liée à l’inflation, le marché de la crevette en France semble perturbé. Pourtant, l’ensemble de la filière ne cesse d’innover afin de répondre aux besoins des consommateurs.

 

En 2024, la taille du marché des crevettes est estimée à 125,40 milliards de dollars, soit 116 milliards d’euros, et devrait atteindre 134,80 milliards de dollars (124 milliards d’euros) d’ici 2029. Le marché mondial a connu une croissance significative ces dernières années, avec une augmentation de 65 % de la production totale de crevettes, atteignant, selon l’étude de Businesscoot, 10 402 milliers de tonnes. L’aquaculture représente 65 % de ce chiffre. Bien évidemment, la  production nationale française, même si en constant développement (lire dans PDM no 225, p. 59), ne peut pas satisfaire la demande. L’Hexagone importe donc plus de 100 000 tonnes de crevettes par an, et en particulier l’espèce Penaeus vannamei, en provenance des pays d’Amérique du Sud et asiatiques. L’évolution des quantités mondiales de crevettes d’aquaculture est d’abord due à la Chine, qui a développé la première production entre 2000 et 2010. Cette évolution est ensuite à attribuer à l’Asie du Sud-Est, et notamment à l’Indonésie, à la Thaïlande, au Viêtnam et au Bangladesh, puis à l’Amérique centrale et du Sud, et particulièrement à l’Équateur, qui a connu un développement puissant et régulier depuis l’épidémie de white spot en 1999. La production en Inde a, quant à elle, décollé depuis 2010. Sur le marché français, la Penaeus vannamei d’Amérique du Sud, aussi appelée Litopenaeus vannamei en Asie, est la crevette tropicale par excellence. Crue, elle est naturellement grisâtre et translucide. En 2021, la production aquacole de crevettes vannamei en Équateur a dépassé pour la première fois le million de tonnes.

La production équatorienne toujours en hausse

En France, la société Eurotrade est l’un des leaders de la vannamei crue congelée. Elle commercialise autour de 850 conteneurs de crevettes par an (un conteneur contient entre 20 et 23 tonnes de produit. « La production d’Équateur augmente chaque année de 20 à 25 %, confirme Cecilia Bongiorno, présidente d’Eurotrade. Jusqu’à présent, le surplus était acheté par la Chine, qui représente 60 à 70 % de l’export équatorien. Cette année, la demande chinoise était plus limitée. Quant aux prix, depuis la pandémie de Covid-19, ils sont bas. C’est particulièrement vrai pour 2023 et ce début d’année 2024. À tel point que les grands producteurs équatoriens n’ont pas semé les zones les moins rentables », précise Cecilia Bongiorno. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon les données de Glunashrimp, de janvier à mars 2024, les exportations d’Équateur sont inférieures à celles des mêmes mois de l’année précédente. On note une baisse de 8 % sur les trois premiers mois. « Depuis le mois d’avril, il y a une belle demande pour la crevette d’Équateur et je n’ai pas assez de produit pour fournir mes clients. C’est plus complexe d’avoir une belle qualité pour les cuiseurs, indispensable pour le marché français », poursuit la présidente d’Eurotrade. Stéphane Jackiw, directeur général adjoint d’Unima, qui possède son unité de cuisson près de Boulogne-sur-Mer (lire dans PDM no 225, p. 58) confirme : « La qualité de la vannamei est en baisse. Il nous est arrivé de rejeter un conteneur sur deux. » Selon Olivier Fabre, commercial chez Gambafresh, la qualité est affectée par les changements climatiques. « Les têtes, par exemple, sont chargées de matière organique. Avant, cela n’arrivait jamais », estime-t-il.

Une demande en baisse

L’explosion générale de la production en Amérique latine qui perturbe le marché français s’accompagne d’une baisse de consommation globale de la crevette. « Même si les prix ne sont pas trop élevés la distribution ne fait pas de promotion de la crevette. On est sur un cycle économique défavorable. C’est tendu au niveau des marges mais ça devrait s’améliorer, souligne Olivier Fabre qui commercialise notamment de la vannamei. Comme pour tous les segments, les consommateurs sont sensibles à la thématique du prix. Les certifications, les origines ainsi que des listes d’ingrédients courtes entrent également dans leurs critères de choix », précise Alexia Muller de chez Escal, qui commercialise la crevette d’Équateur décortiquée, certifiée ASC ou bio. Pour Escal, l’année 2023 a d’ailleurs été bonne, avec une progression en volume de 21 %. « Nous l’expliquons par le travail de fond que nous faisons depuis des années pour proposer des produits bons, durables, pour tous les usages et à un prix abordable », ajoute Alexia Muller.

La baisse de consommation a touché les producteurs des crevettes plus « premium » comme la monodon bio, Label Rouge ou encore celle élevée au Mozambique. « La demande a baissé car les gens font attention à leur dépenses », remarque Simon Deprez, directeur général de Qwehli. Amyne Ismail, P-DG d’Unima confirme : « Le marché est compliqué, surtout en raison de l’inflation car les clients sont intéressés par le prix. La demande a baissé mais on sent un petit rebond après une année 2023 difficile. » « L’inflation nous a également touchés au niveau de la logistique, de l’alimentation ou de l’essence », énumère Mathias Ismail, directeur général d’Oso, qui produit de la monodon bio. Même son de cloche pour les pêcheurs de la crevette sauvage à Madagascar, touchés par le prix du gazole. « Le prix est monté jusqu’à 1 euro le litre alors que le gazole représente 80 % de notre budget », précise Franck Paque, directeur général de Freshpack qui pêche 600 tonnes de crevettes sauvages par an à Madagascar.

Pour répondre à ces problématiques, les éleveurs de la crevette monodon se doivent d’être innovants. « On est, sur le marché de la crevette, ce que le grand cru est pour le marché du vin », admet Mathias Ismail. Pour répondre aux besoins des consommateurs, qui se tournent vers les produits moins chers, Oso a donc lancé baby shrimp, une crevette d’apéritif moins chère de la taille du bouquet, la Palaemon serratus. « On ne peut pas se battre contre la vannamei. On doit trouver le positionnement tarifaire que le marché peut accepter », admet Simon Deprez. Pour Amyne Ismail, la réponse passe également par une meilleure communication autour de ses produits Label Rouge. « On sent une réouverture de la consommation sur les produits de qualité. On doit mieux communiquer pour montrer notre différence. On a une vraie histoire à raconter. »

 

Darianna MYSZKA

 

Retrouvez l'intégralité du dossier dans le magazine Produits de la mer no225

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