Le poisson plat en voie de disparition ?

Le 23/03/2022 à 15:01 par La rédaction

Cela fait plusieurs années que les pêcheurs du littoral, de Boulogne-sur-Mer à Dunkerque, tirent la sonnette d'alarme. Dans les poissonneries en France ou dans les usines de transformation aux Pays-Bas, la raréfaction de la sole et d'autres poissons plats est incontestable.

 

 Sur le marché de poisson à Boulogne- sur-Mer, localement appelé les Aubettes, le résultat est sans appel. « La sole ? Il n’y en a quasiment plus. Regardez, en ce moment on a pratiquement que des crabes à vendre. Avec le Brexit, c’est encore pire . » Valérie sait de quoi elle parle. Depuis vingt-trois ans, elle vend en direct le poisson pêché par son frère.

Les fileyeurs boulonnais et dunkerquois s'étaient fait de la sole une spécialité, qui, pendant des années, représentait jusqu'à 80  % de leur chiffre d'affaires. Mais, depuis 2014, les captures de cette espèce sont en chute libre. Sur Boulogne-sur-Mer, en  2019, les fileyeurs ont pêché à peine 40 % des quotas autorisés, sur Dunkerque pas plus de 30 %. La ressource se raréfie au point où, en 2019, avant la crise sanitaire, le comité régional des pêches des Haut-de-France a demandé un plan de sortie de flotte, des arrêts temporaires et des aides de minimis pour les fileyeurs qui se sont retrouvés face aux difficultés économiques.

 Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2020, à la criée de Boulogne-sur-Mer où sont vendues plus de 30 000 tonnes de poisson par an, la sole commune était
en 25e position avec 68  tonnes, soit presque 45  tonnes de poisson de moins qu'en 2019. Il y a huit ou neuf ans, l'espèce était la première ligne en valeur sur la criée alors qu'en  2020, elle est tom-bée à la huitième  position avec seulement 886 547 euros. Si les chiffres de l'année 2021 ne sont pas encore connus, les professionnels ne prévoient pas d'amélioration. Au contraire.

La sole n'est tout de même pas la seule espèce concernée. Les fileyeurs constatent une quasi-disparition de tous les poissons plats dans la région (plie, carrelet, turbot et limande). En 2020, les pêcheurs de Hauts-de-France ont vendu, à la criée boulonnaise, 261 tonnes de plie commune. C'est 48 % de moins qu'en 2019. Elle a été vendue au prix moyen à 1,80 euros alors que les années précédentes, ce prix dépassait facilement deux euros.

En octobre 2020, la situation devenant trop compliquée, les pêcheurs de Dunkerque ont pris la décision de fermer leur criée. Les raisons de la raréfaction de
ces espèces sont multiples : réchauffement climatique, pollution, colonies de phoques, surpêche. Mais pour les professionnels, le coupable numéro un reste la pêche électrique, apparue en 2006 en mer du Nord, accentuée en 2014, notamment chez les Hollandais. Stéphane Pinto, vice-président du comité régional des pêches de Hauts-de-France en est persuadé, cette technique de pêche est « dévastatrice pour la faune et les fonds marins ». Elle consiste à envoyer depuis un chalut des impulsions électriques dans le sédiment pour y capturer des poissons vivant au fond des mers. Stéphane Pinto s’est donc battu pour une interdiction totale de la pêche électrique en Europe, qui est entrée en vigueur le 1er  juillet 2021. Désormais, les fileyeurs craignent que d'autres techniques de pêche comme la senne danoise ne permettent pas aux stocks de se régénérer.

Par ailleurs, l’Union européenne a réduit, pour l’année 2022, les quotas de pêche de sole dans le golfe de Gascogne, jugeant les stocks « en péril » . Malgré la promesse d'un plan exceptionnel d'accompagnement pour les pêcheurs, cette réduction suscite leur colère. Selon les professionnels, 800 emplois directs en dépendent.

Le problème n’est pas que français. Le 2 décembre 2021, seulement 35 % du quota annuel de sole en mer du Nord ont été pêchés aux Pays-Bas ainsi que 39 % de plie en Manche et mer Celtique. Les mareyeurs néerlandais confirment cette baisse. « Aujourd’hui, on achète 40 tonnes de sole par semaine alors qu’il y a six-sept ans, c’était 100 à 150 tonnes » , explique Abdel Hajji, gérant de la société Azur Seafood, basée à Urk, aux Pays-Bas.

Pour Pim Visser, directeur de Visned, fédération d’organisations de producteurs aux Pays-Bas qui regroupe plus de 80 bateaux côtiers, les pêcheurs néerlandais souffrent surtout du manque de plie commune. « Il y en a de moins en moins et le poisson part de plus en plus au nord », explique-t-il. La pêche de la plie est donc devenue très coûteuse. Quant à la sole, le manque de ressource se fait également sentir. En vingt ans, la raréfaction du pois-son plat a fait disparaître, aux Pays-Bas, une vingtaine de bateaux.

En réponse à la baisse de la ressource la France s'est engagée en 2016 à renforcer la protection des zones de nourricerie, agrandir les zones interdites à la pêche et augmenter la taille minimale de référence de conservation à 25 centimètres. D'autres pays qui pêchent dans ces eaux comme la Grande-Bretagne ou encore la Belgique ont également pris des mesures pour éviter les rejets et le gaspillage de quotas.

 En attendant, les mareyeurs se tournent de plus en plus souvent vers d’autres espèces comme la limande à queue jaune ou encore la limande du Japon (Limanda aspera) qu'ils achètent congelées.

En 2022, pour le golfe de Gascogne, les quotas pour la sole baisseront de 36 %.

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