Plats cuisinés : un creux en trompe-l’œil ?

Le 15/07/2023 à 9:00 par La rédaction

Les plats préparés à base de produits de la mer subissent la hausse des coûts, la difficulté de sourcing et  l’inquiétude des ménages quant au budget familial. Si le rayon traditionnel de la marée fait grise mine, celui du frais en libre-service tire son épingle du jeu. Un nouveau souffle pour les plats préparés, précurseur de nouvelles habitudes ?

Humeur en demi-teinte chez les professionnels des plats élaborés. « Les ventes de ce début d’année ont été en recul par rapport à la même période de 2022, décrit un acheteur d’une grande enseigne. Nous n’avons pas perdu de consommateurs mais le panier moyen est en baisse. Nous cherchons de nouvelles propositions. »

Salades, acras, tartares, risottos, gratins, darnes, cassolettes, brandades… « presque toutes les matières premières ont augmenté, ainsi que nos coûts propres,
détaille Jessie Vanlanduyt, gestionnaire des comptes France pour l’importateur belge Pittman Seafoods. Sans parler du dollar qui a pris 10 % en un an ».

S’il n’est pas question de recul des ventes, Jessie Vanlanduyt a entendu l’alerte. « Des clients trouvent que la protéine de poisson est devenue chère. » Une position partagée par de nombreux professionnels, notamment ceux de la place boulonnaise. Selon le dernier conseil spécialisé de France AgriMer, « les prix deviennent excluants pour des nombreux consommateurs, indique un professionnel de la place. Le réamorçage du marché semble difficile. Il faut continuer à proposer des produits à des prix acceptables ».

Qu’ils soient présents au rayon frais, surgelé ou en conserve, qu’ils soient crus, élaborés ou cuisinés, l’enjeu des plats préparés reste le respect d’un tarif accepté par le consommateur. « Nous avons augmenté nos prix mais moins rapidement que celui de nos matières premières, témoigne Jérôme Sany, le patron de Morue France Cuisine, fournisseur des poissonneries et des GMS de Nouvelle-Aquitaine sous la marque Mer et Saveur. Mais il faut rester raisonnable, même si à la fin, c’est le distributeur qui décide s’il augmente les prix sur les linéaires. » Selon plusieurs témoignages, certaines enseignes exigeraient désormais des « petits prix ronds », voire une diminution des grammages. Ce qu’admet à demi-mot le spécialiste marée d’un grand réseau de distribution. « Les gens veulent du premium
mais regardent d’abord le prix. »

Pour convaincre le consommateur, on peut aussi élargir la gamme des propositions. Delpierre a ainsi lancé des produits en plusieurs formats. « On ne pratique pas le downsizing mais nous avons étagé notre gamme, souligne Stéphanie Pargade, la directrice marketing France pour Labeyrie Fine Foods. L’inflation nous a amenés à proposer depuis janvier le dos de cabillaud en 330 grammes mais aussi en 210 grammes. Nous voulons continuer à jouer notre rôle de poissonnier responsable, tout en facilitant l’accès à un poisson dont le prix est élevé et va le rester. » La proposition semble convaincre, Stéphanie Pargade estimant même que ces deux formats « pourraient rester pérennes ».

Réduire la portion pour entretenir sa rentabilité, Fabrice Bourbiaux, le directeur commercial de Appeti’Marine, le refuse. « Nous ne voulons pas toucher au portionnage. On s’en rend compte avec des marques discount, les gens finissent par le voir. » Pourtant, cette baisse des quantités pourrait ne pas être seulement conjoncturelle mais bien marquer une évolution de fond de la part des consommateurs. « Dans la restauration aussi, on veut des portions de protéines plus petites, partage un expert. Les ONG estiment que l’on doit réduire nos protéines animales. Bloom annonce un objectif de diminution des protéines par trois. »

Autre difficulté, la question lancinante du sourcing. Face aux questions de disponibilité du cabillaud et à la crise structurelle du saumon, « nous sommes régulièrement interrogés sur des espèces alternatives », pointe Jessie Vanlanduyt. Pour l’instant, malgré les espoirs d’une relocalisation de la souveraineté alimentaire, les pistes européennes s’annoncent peu adaptées. La truite offre des volumes « trop réduits pour compenser et les tacauds et chinchards ne débarquent pas assez de volumes », explique un importateur. Quant au saumon sauvage du Pacifique déjà intégré dans les plats surgelés, son utilisation est limitée car « c’est une chair dont on n’a pas l’habitude, juge-t-il. C’est un risque, les Français sont très conservateurs dans leurs goûts ».

La consommation s’annonce-t-elle durablement en recul ? Cette vision doit être relativisée, décrypte Stéphanie Pargade, qui se montre, elle, optimiste. Elle pointe notamment que « le rayon frais libre-service n’est pas en super forme mais il fait mieux que la marée traditionnelle. Même limitée, cette hausse du LS correspond à la moyenne de toutes les catégories de produits en libre-service ».

Quant aux plats cuisinés marins, ils se portent « hyper bien ». Elle rappelle que si leur volume est en hausse de 0,4 %, la valeur affiche, elle, une croissance de
7,4 %. « Ils bénéficient de l’effet inflation parce qu’ils permettent de mieux maîtriser le budget d’achat, rappelle-t-elle. Au cours des trois dernières années, depuis 2019, les plats cuisinés des produits de la mer proposés au LS, c’est + 50 % en volume et + 63 % en valeur, c’est particulièrement notable ! Dans l’alimentaire, il n’y a pas beaucoup de hausses de ce niveau. L’évolution a été ralentie par la crise, mais ces produits répondent aux demandes de facilitation de la consommation. La tendance va continuer à se développer à long terme car c’est un phénomène transverse qui n’est pas propre aux produits de la mer. »

 

2022 : des imports en recul, des prix qui explosent

En termes de tonnage, les échanges ont chuté de 3,5 % à l’import pour la période janvier-novembre 2022 mais sont passés de 5,9 milliards à 7 milliards d’euros en valeur (+ 19,5 %), certifie France AgriMer dans sa note de conjoncture de début d’année.

Aliments d’aquaculture aux cours qui explosent, concentration des sourcings, quotas réduits, le saumon et le cabillaud mènent la danse. Le premier affiche – 10,5 % en volumes mais + 29 % en valeur. Le second, à – 9 % en volumes, a fait flamber les cours, avec un pic qui est monté à + 47 % en valeur. Du coup, les achats se sont reportés sur le lieu d’Alaska et le lieu noir, qui enregistrent respectivement + 27,6 % et + 40,1 % en valeur. Les poissons plats sont aussi en recul en volumes (– 21,6 %) mais en hausse en valeur (+ 23 %), alors que les céphalopodes affichent des hausses identiques en volumes et valeur (+ 20 %). Seuls échanges stables, ceux des crevettes tropicales et des thons. Sans surprise, les pays qui bénéficient de la conjoncture sont la Chine (+ 42,1 %), les États-Unis (+ 26,9 %) et la Norvège (+ 24,6 %).

 

La consommation évolue

Après deux années exceptionnelles en 2020 et 2021, la baisse des volumes des achats (– 1,7 %) doit être relativisée, signale une étude de Nielsen pour l’Ania, l’Association nationale des industries alimentaires. En 2022, les ventes en grandes surfaces sont restées supérieures à ce qu’elles étaient trois ans auparavant. Cependant, les comportements des consommateurs évoluent : ils achètent moins, moins cher et autrement. L’impact a été le plus fort sur les rayons des produits frais, notamment la boucherie (– 14,5 %) et la poissonnerie (– 12,4 %). Selon Nielsen, qui a dressé le portrait de la France en 2025, les tendances de fond de demain privilégieront une consommation responsable, avec plus de local, moins d’emballages, plus de vrac et « des listes d’ingrédients plus courtes ».

 

Hélène SCHEFFER

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