Le saumon fumé est le produit de la mer préféré des Français au moment des fêtes. Malgré des prix en hausse de 5 %, les principaux fumeurs de saumon et de truite restent confiants. À côté des leaders, des artisans parient sur des espèces plus confidentielles et sur leur savoir-faire maison.
Pour mettre du saumon fumé sur sa table de fêtes, le consommateur devra débourser entre 0,05 et 0,10 euro (soit l'équivalent de 35 grammes) de plus qu’à Noël 2022*. Une augmentation qui, bien que significative, reste toutefois deux fois moins importante qu’il y a un an. Les étiquettes avaient alors flambé de 10 % (environ 0,15 euro par tranche) par rapport à 2021. Cette nouvelle hausse de prix n’entame toutefois pas l’optimisme des professionnels. « Nous sommes confiants pour les fêtes » , résumait Jacques Trottier, président du groupe saumon et truite fumés des Entreprises du Traiteur Frais (ETF) lors d’un rendez-vous institutionnel au mois d’octobre. Cette sérénité de la profession se veut argumentée. Avec en premier lieu, le côté « sacralisé » des fêtes. Selon un sondage YouGov/LSA réalisé en octobre 2023, plus de trois quarts des Français sont déterminés à fêter Noël, malgré le contexte de baisse de pouvoir d’achat. Par ailleurs, le saumon fumé fait figure de valeur sûre, indémodable. Il est d’ailleurs le produit de la mer préféré des Français pour les repas de fin d’année. En 2022, un sondage ETF/CSA montrait que 71 % des Français jugeaient le produit « incontournable » à l’occasion des fêtes, contre 64 % pour les huîtres et 57 % pour les crustacés. La truite fumée, elle, bénéficie d’une image un peu plus quotidienne. 49 % des Français déclarent toutefois en consommer à des occasions festives.
Surtout, les poissons fumés semblent bien résister aux crises. L’an passé, en dépit de la forte inflation, les achats des ménages en grandes et moyennes surfaces ont progressé (en valeur) de 8 % sur le saumon fumé et de 2,2 % pour la truite fumée sur le mois de décembre. « En 2008, le réveillon qui avait suivi la crise économique mondiale avait déjà mis en évidence le côté “parenthèse enchantée” des fêtes de fin d’année » , rappelle Jacques Trottier, par ailleurs directeur général de Labeyrie Fine Foods (LFF). Les distributeurs semblent jouer le jeu. Référencement d’assortiments larges, mise en avant sur prospectus et opérations promo seront au programme. « Les plans promotionnels de la fin 2023 seront au moins équivalents, voire supérieurs, aux plans 2022 afin de permettre à tous les consommateurs de se faire plaisir » , souligne Stanislas Giraud, directeur général LFF Premium.
La filière met en avant de solides fondamentaux : la carte locale, même si elle n’est pas toujours bien connue des consommateurs ; un label « fumé en France » ; une transformation simple, dans le respect du poisson ; des qualités nutritionnelles adaptées au flexitarisme ; un moyen abordable de se faire plaisir ; un produit adapté à une cuisine simple ou plus créative.
Les poissons fumés ont une autre corde à leur arc. « Ce sont de vrais produits “anti-gaspi”, souligne Guillaume Kervennal, vice-président du syndicat. Les formats s’adaptent à tous les besoins, de 2 à 16 tranches. Le produit est intégralement consommable. Enfin, même les parties non utilisées des poissons sont valorisées comme coproduits », ajoute celui qui est par ailleurs directeur général de MerAlliance (groupe Thai Union), leader du saumon fumé sous marque de distributeur. Côté emballages, la filière a travaillé sur le projet Saumono pour trouver des solutions mono-matériau plus vertueuses.
Les professionnels entendent aussi redorer le blason de l’élevage, parfois décrié, avec un discours bien rôdé. Pour rappel, plus de 90 % des saumons fumés et 100 % des truites fumées sont issus de l’élevage. « Il n’y a pas de dépenses énergétiques pour chauffer l’eau et, en Norvège (origine majoritaire sur le saumon fumé, à 61 %, NDLR) les sites, y compris les plus isolés, sont raccordés au réseau électrique national, à 98 % décarboné grâce à l’hydroénergie », indique Guillaume Kervennal. Côté sauvage (7 % des volumes de saumon fumé), les professionnels sortent la carte « pêche durable en Alaska ».
L’élevage du saumon est une industrie encore jeune. Née dans les années 1960, elle n’a véritablement explosé que dans les années 1990. Vincent Gélamur, directeur innovations du groupe MerAlliance, aime pointer le chemin parcouru : « Aujourd’hui il suffit d’1 à 1,3 kilogramme d’aliment pour produire 1 kilogramme de saumon, contre 3 kilogrammes en 1990. » La part de protéines et huiles de poissons sauvages est elle aussi orientée à la baisse.
Parmi les 30 entreprises adhérentes à ETF (qui fournissent les trois quarts du marché national en saumon et truite fumés), 8 produisent plus de 1 000 tonnes par an. Outre les grandes ou moyennes entreprises, il faut bien sûr compter aussi sur une myriade de petits opérateurs artisanaux et sur leur créativité débridée (lire p. 52, 54 et 55 de PDM no 222).
Côté marques, le groupe Labeyrie Fine Foods (marques Labeyrie et Delpierre) est leader incontesté en GMS, avec 27,8 % de part de marché volume (+ 4,1 points par rapport à décembre 2021) et 31 % en valeur (+ 3,5 points). À côté des MDD très présentes, d’autres signatures trouvent leur place en linéaire : Delpeyrat, Guyader Gastronomie, Petit Navire (groupe Thai Union) ou Mowi. Arrivée sur le marché du retail français en mars 2020 (pas le meilleur timing !), la marque du numéro un mondial du saumon d’élevage a gagné 50 % de volumes en un an (total saumon frais et fumé). Pour l’anecdote, elle tire son nom du patronyme de l’un des fondateurs norvégiens : Thor Mowinckel. C’est d’ailleurs parce que le projet de lancer une marque était dans les cartons, que le nom historique du groupe (Marine Harvest) avait été abandonné en 2018. « Un saumon sur trois vendu en France est issu de nos fermes », rappelle Gabriel Chabert, directeur marketing France de Mowi. Nous avons lancé notre marque pour avoir un vrai dialogue avec nos consommateurs, lever les idées reçues et mettre l’accent sur la qualité, la durabilité, la nouveauté et la praticité. Notre objectif principal n’est pas de devenir leader, mais de dynamiser la catégorie. » Visant une cible plus jeune, ce « challenger » peut se permettre une communication un peu décalée « moins statutaire que celle des gros acteurs du festif ». C’est ainsi l’acteur Kristofer Hivju (Game of Thrones) qui incarne la marque en télévision. Le groupe, totalement intégré, compte 13 000 salariés, dont 500 dans les 2 ateliers français de Boulogne-sur-Mer (frais) et Landivisiau (fumé). « Sur le saumon fumé, la principale clé d’entrée est l’usage – le consommateur ne choisit pas le même saumon fumé s’il s’agit d’un produit de dégustation ou à cuisiner avec des pâtes – puis l’origine, ce qui est un critère propre au marché français », note Gabriel Chabert.
Le saumon fumé devrait rester cher. « Aucun élément ne permet de dire qu’il y aura de la déflation sur 2024 », annoncent d’ores et déjà les professionnels.
Un savoir-faire local pas assez (re)connu
38 % des consommateurs français imaginent (à tort) que les produits vendus en France sont fumés dans leur pays d’origine et seulement 18 % savent qu’ils sont fumés en France. Une méconnaissance regrettable, alors que 75 % des 40 600 tonnes de salmonidés fumés vendues dans l’Hexagone sont préparées et fumées dans des ateliers français (71 % pour le saumon, 93 % pour la truite). Pour valoriser leur savoir-faire, les fumeurs de l’Hexagone misent sur une charte depuis 2018. Celle-ci garantit que toutes les opérations de fabrication (filetage, salage, fumage, tranchage et conditionnement) sont réalisées en France, mais apporte aussi des garanties en matière de RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Le logo « Fumé en France » est présent depuis 2019 sur le saumon fumé et depuis 2021 sur la truite fumée. La démarche porte ses fruits. 80 % des consommateurs estiment que la présence de ce logo constitue une garantie de qualité.
Fanny ROUSSELIN-ROUSVOAL
* Cet article a été écrit en décembre 2023, avant les fêtes de fin d'année.