POISSONS PLATS Un marché en reconversion

Le 23/03/2022 à 14:53 par La rédaction

Connue pour être la capitale du poisson plat en Europe, Urk, aux Pays-Bas, doit composer avec le manque de volumes en sole, en plie et en carrelet, et avec les prix qui flambent. La filière s'adapte, en se tournant vers d'autres espèces et en cherchant le poisson encore plus au nord.

 

C'est bien connu dans la filière, Urk, petite ville portuaire de 17  500  habitants, située à 80 kilomètres au nord-est d'Amsterdam, aux Pays-Bas, est l'une des places fortes de la production et de la transformation des produits de la mer. Plus encore, c'est une plaque tournante du commerce du poisson plat en Europe. Pendant des années, sa criée s'en est fait une spécialité. Pourtant, ce marché depuis longtemps dominé par les Néerlandais et développé par les entreprises familiales, spécialisées dans la découpe de produit à la main, est en train de se diversifier.

« Urk a toujours ét é la capitale du poisson plat en Europe mais ce n’est plus vraiment le cas », déclare Sjoerd Ras, directeur commercial de Sea Fresh BV. Aujourd'hui, ce haut lieu du poisson plat, notamment de la plie et de la sole, évolue en raison de la lente érosion des débarquements. En conséquence, Urk compte une quinzaine de sociétés de transformation alors qu'il y a vingt ans elles étaient une trentaine.

L’activité de Sea Fresh BV, leader dans le domaine de l’importation, de l’exportation et de la distribution de toutes sortes de poissons frais, illustre bien cette
décroissance. La société traite près de 400 tonnes de poisson plat par an. C’est plus de 60 % de moins qu’il y a vingt ans, au début de l’existence de l’entreprise.
Cette année, le poisson plat représente seulement 15 % des 100 millions d’euros de chiffre d’affaires de la société. Mais pour Sjoerd Ras, cette baisse n’est pas seulement due au manque de la ressource : « Grâce à Internet, le marché est beaucoup plus transparent et les ventes aux enchères à distance permettent aux petits acheteurs d’acheter leurs produits entiers directement par smartphone. Ces clients n’ont plus besoin de nous. »

Des espèces hors de prix

Globalement, aux Pays-Bas mais aussi en France, les mareyeurs spécialisés uniquement dans le poisson plat, comme Top Fish seafood, se font de plus en plus rares. Comme la plupart des entreprises d'Urk, Top Fish travaille des produits frais, qu'il revend ensuite entier ou en filet. « La situation est difficile. On produit
20 tonnes de filet par semaine. C’est 30 % de moins en quatre ans », calcule Peter Gnodde, l’un des trois frères qui dirigent la société familiale comptant une vingtaine de salariés. Même son de cloche chez Azur Seafood qui depuis vingt-trois ans achète la sole et le carrelet. Son responsable commercial, Abdel
Hajji regrette : « Le poisson plat a tou jours été notre produit phare. Mais, depuis quelques années, les apports sont moindres. Pour nous, l’avenir est incertain. » Les rares entreprises françaises qui travaillent encore le poisson plat, comme JP Marée à Boulogne-sur-Mer, ont également vu la ressource baisser : « Avant, pendant la saison, on faisait une tonne en un mois, maintenant, on parle de 150 kilos. C’est vraiment infime », déclare Alain Gallier, responsable commercial.

Traditionnellement, l’approvisionnement en poisson plat et surtout en plie était assuré par les bateaux locaux, néerlandais, qui, après avoir pêché dans la mer du Nord, débarquaient la marchandise directement au port d’Urk, où il est vendu en criée. Mais avec la disparition de la ressource, les mareyeurs achètent de plus en plus de produits frais d’Islande, d’Irlande ou encore des îles Féroé, le poisson se déplaçant davantage vers le nord. Les plus grandes sociétés telles que North Seafood importent le poisson plat congelé comme la limande du Japon (Limanda aspera, yellowfin sole en anglais) pêchée en Alaska mais aussi la limande à queue jaune du Canada ou de la Russie.

En conséquence, le manque de volume rend le prix du poisson plat beaucoup plus élevé. « C’est simple. En cinq-six ans, les prix de la plie ont doublé , estime le PDG de la société North Seafood, Jan Kramer. Sur certaines tailles, en particulier la n° 4, les cours ont atteint même jusqu’à 3,20 euros/kg. Aujourd’hui, on est à 2,50 euros/kg. » Automatiquement, les prix des filets augmentent aussi : « Avant, on vendait les filets de carrelet
à 8 euros. Maintenant, on s’approche de 15 euros » , regrette-t-il.

Selon les derniers chiffres publiés par FranceAgriMer, la sole entière taille  4, d'origine de l'Union européenne, coûtait en décembre 2020 11,25 euros chez le grossiste. En novembre  2021, le même poisson coûtait déjà 13 euros.

Le poisson plat, notamment la sole, vendu majoritairement chez les grossistes en Europe (France, Allemagne, Italie, Hollande, Danemark), deviendrait-il donc un produit de luxe ? C'est ce qu'estime Caroline Stephan de l'entreprise familiale Stephan Marée, située à La Turballe. Selon elle, les restaurants et hôtels étoilés choisissent davantage ce produit « haut de gamme ».

Cap sur la diversification

Face à cette pénurie, à Urk, les entreprises locales du secteur s’ouvrent de plus en plus à la diversification. Elles misent notamment sur le saumon, fortement demandé sur le marché. « Beaucoup d’installations, construites pour le poisson plat il y a vingt ans, sont repensées pour transformer le saumon aujourd’hui »,
explique Sjoerd Ras.

En 2019, le grand spécialiste du poisson plat, Noordzee International, a fait évoluer sa production en élevant un bâtiment dédié au cabillaud et en rachetant Varia Vis, site transformé pour travailler le saumon. D'autres professionnels, comme Azur Seafood, envisagent également de travailler des nouvelles espèces comme le cabillaud.

Varia Vis, spécialiste en filet de plie, a récupéré une partie du marché abandonnée par les autres sociétés locales, ce qui lui a permis d'agrandir son usine. Mais pour se développer, cette société qui emploie 25 personnes n'exclut pas de se tourner vers les espèces capturées dans la Manche, comme la dorade, le rouget barbet ou encore l'encornet.

Par ailleurs, pour pallier le manque àgagner et augmenter leur chiffre d’affaires, certains mareyeurs pensent à se tourner vers les produits congelés, refresh ou l’élevage. Caroline Stephan craint cependant pour leur qualité. Pour elle, les fermes de poisson plat ne sont pas une solution : « Le poisson élevé n’a pas le même goût que le poisson sauvage. Il est souvent gras à l’intérieur. Je ne travaillerai sûrement pas un produit pareil. »

Tonnage du carrelet tombé

de 150 t par semaine

à 40 t chez Azur Seafood

La société hollandaise Seafarm BV a obtenu la certification ASC pour son turbot en janvier 2022.

  • Facebook
  • Twitter
  • LinkedIn
  • More Networks
Copy link
Powered by Social Snap