Les manières de s’équiper dans la filière changent. Les contraintes financières, les crises mais aussi l’agilité nécessaire pour conquérir de nouveaux marchés poussent les entreprises de la filière et les équipementiers à inventer de nouvelles façons d’investir.
Si certains équipementiers, comme Industrade, renforcent encore leur stock de pièces détachées imposant pour entretenir les machines le plus longtemps possible, d’autres ont sauté le pas pour aller plus loin. Chez PurPak, on a même créé une filiale dédiée au reconditionnement, Partspak. Une Flowpack plus ancienne a ainsi récemment été refaite et dotée des dernières avancées logicielles. « La période impose une modernisation des lignes, estime Guillaume Poirier, directeur France. Investir dans du neuf n’est pas toujours simple… Le reconditionnement peut être une solution. Il faut prendre en compte la fréquence d’utilisation des machines. Un équipement qui sert quelques semaines par an sera forcément moins usagé qu’un autre qui sert quotidiennement. En revanche, il n’échappera pas à l’obsolescence des composants électroniques. Dans ce cadre, on peut changer totalement les logiciels et interfaces, démonter et réviser la machine. Elle repart quasi à neuf, pour un budget moindre. »
Chez Arcos, on rétrofite les fumoirs en récupérant la chaleur de l’eau chaude de lavage et celle de la production de froid via des échangeurs plutôt que d’utiliser l’électricité sur certaines fonctionnalités.
Chez Jungheinrich, on regalvanise. Le spécialiste allemand du stockage, du gerbage et des chariots de manutention a développé des solutions pour le travail en milieu difficile (humidité, atmosphère saline, froid). Le prix de l’inox, nécessaire à nombre d’équipements, reste soutenu et il en est de même pour l’acier. Là où l’inox n’est ni indispensable ni imposé par la réglementation, l’acier galvanisé (recouvert de zinc) peut faire l’affaire. Et lorsqu’il est endommagé – par des chocs, par exemple – la regalvanisation peut être une solution, plébiscitée par certains clients par souci d’économie… Mais pas seulement. « On assiste à un changement de mentalités, détaillent Anthony Soubrier, responsable national formation et produits, et Sebastian Pohl, chef de produits customisation et solution sur mesure. Les principes de la RSE entrent dans les mœurs. Même lorsqu’il n’est pas la solution choisie, le reconditionnement fait désormais partie des pistes quasi systématiquement envisagées par les entreprises », ajoutent-ils. Pour moderniser les équipements de ses clients, Jungheinrich propose aussi le rétrofit des batteries classiques par des batteries lithium-ion. Les chariots de manutention chargent dès lors qu’ils ne sont pas utilisés pour ne pas être « à plat » et les risques chimiques pour les opérateurs en sont limités. Outre le reconditionnement dans l’usine, que le groupe a spécifiquement dédiée à cette activité, Jungheinrich pratique la vente de matériel d’occasion et la location voire… la LOA (location avec option d’achat).
Chez Fésia, le reconditionné a nécessité… de pousser les murs (lire ci-dessous). « J’ai décidé de réellement m’orienter sur ce marché il y a deux ans, témoigne Pierre-Étienne Reitter, directeur général. Jusqu’alors, nous pratiquions un peu mais sans vraiment le mettre en avant. Aujourd’hui, c’est une activité à part entière. » On est bien loin du seul SAV (service après-vente). Aujourd’hui, les machines sont entièrement démontées, les pièces d’usure changées et surtout les softwares entièrement réinstallés. Bref, la machine est réinventée. « Je ne reconditionne que les marques que je commercialise parce que je connais bien les machines, précise Pierre-Étienne Reitter. On n’est pas sur du neuf… mais presque. Elles sont d’ailleurs livrées avec une garantie », complète-t-il, expliquant que les machines ainsi refaites repartent pour une durée de vie d’une dizaine d’années.
Les machines que les équipementiers reconditionnent ont plusieurs origines. Tout d’abord, les reprises aux clients qui achètent du neuf. Ensuite, les clients, habitués à leurs équipements qui ne souhaitent pas partir sur du matériel de conception plus récente et enfin, plus marginalement, du matériel vendu aux enchères à la suite de défaillances d’entreprises.
Tous les équipementiers qui pratiquent (officiellement ou pas) le reconditionné s’accordent sur les raisons de la montée en puissance de cette pratique. La première motivation d’achat de ce type est économique. Si c’est l’argument numéro 1 chez les PME, de plus grands groupes y viennent aussi par souci de RSE, notamment pour des machines qui servent plus épisodiquement dans leur process. « Le reconditionné répond à bien d’autres attentes du marché, précise Pierre-Étienne Reitter. Notamment en matière d’agilité. Nos clients se doivent d’être de plus en plus capables de produire très vite quand un marché se présente. Or, il faut parfois plusieurs mois pour construire des machines neuves. »
« Le reconditionné correspond aussi à des pratiques de la nouvelle génération qui arrive aux commandes des entreprises agroalimentaires. Une aspiration à réduire l’empreinte carbone, bien sûr, mais aussi une adaptabilité permanente. C’est pour cela que nous avons parallèlement développé une ingénierie financière. Bientôt, on achètera les équipements agroalimentaires, neufs ou reconditionnés, comme les voitures ; non plus en fonction du prix total mais de la mensualité. » Fésia propose la LOA (location avec option d’achat) avec un partenaire financier. « Cela permet de faire rentrer la mensualité comptablement dans les charges de l’entreprise et non plus dans les investissements (et donc de se garder notamment des marges de manœuvre pour investir sur les bâtiments, NDLR). Sur certaines périodes de l’année – les fêtes par exemple – les industriels peuvent dégager de la trésorerie en captant très rapidement un marché. » Marel a déjà sporadiquement pratiqué ce type de montage. « Attention toutefois, ce n’est pas neutre pour une entreprise : il y a des intérêts, rappelle-t-on du côté du géant islandais de l’équipement poisson. Mais c’est une question d’équilibre et quand le gain matière première et main-d’œuvre vient compenser le surcoût, c’est à calculer. » Cependant, inutile d’imaginer faire « un coup » sur une production saisonnière et de rendre la machine : chez Fésia, par exemple, les loyers en LOA courent sur des contrats de cinq ans.
La location pure existe bien mais elle est marginale. Les équipementiers la pratiquent le temps de convaincre un industriel de l’efficience de la solution proposée le temps d’étayer les dossiers de subventions ou de les obtenir. Elle est moins viable dans le temps, notamment en raison de la salinité des produits de la mer qui impose des maintenances récurrentes.
Ces nouvelles façons de vendre pour les équipementiers s’accompagnent de… nouveaux métiers. « Nous avons dû former nos commerciaux, y compris sur l’ingénierie financière. Car on ne vend pas du reconditionné comme du neuf, ni une LOA comme un achat. », témoigne PierreÉtienne Reitter.
Ces nouvelles pratiques démontrent en tous cas la volonté de la filière produits de la mer de ne pas se résigner aux crises et de continuer à investir…
Berny : c'est fini
Alors que le règlement européen sur la réemployabilité des emballages vient d’être publié, la start-up Berny, spécialisée dans les barquettes réemployables en inox, a mis la clé sous la porte. L’entreprise a été placée en liquidation judiciaire le 18 décembre. La société avait pourtant réussi à fournir 200 000 barquettes inox à E.Leclerc, Système U et Intermarché.
L’entreprise avait été fondée en 2020 par Olivier de Kerimel et avait fait le pari du retour de la consigne et du développement du vrac. Un pari osé qui nécessitait du temps et des fonds. C’est sur ce dernier aspect que le projet a achoppé : en période de crise, les dirigeants n’ont pas réussi à suffisamment mobiliser les investisseurs, ni à trouver un repreneur.
Fésia pousse les murs
Pour proposer du reconditionné, Fésia s’agrandit. L’équipementier alsacien est en train d’ajouter 150 mètres carrés en mezzanine aux 250 mètres carrés du hall d’exposition. « Pour miser sur le reconditionné, j’ai dû fortement augmenter le nombre de machines en stock. C’est le prix de la réactivité », détaille Pierre-Étienne Reitter, directeur général.
Fésia, qui propose notamment des cellules de cuisson, des générateurs de fumée, des fumoirs, des barattes, des injecteuses et des machines à glace, est née en
1964 à Sélestat, avec comme activité principale la vente de petites machines de transformation alimentaire pour les artisans, d’épices et de consommables sur les salons et foires professionnelles.
En 2012, la société a investi de nouveaux locaux dans la banlieue de Sélestat afin de disposer d’un hall d’exposition. En 2021, elle a intégré le groupe Bobet.
Marielle MARIE
Retrouvez l'intégralité du dossier dans le magazine Produits de la mer no 229