Pays sans littoral et sans culture maritime, la Suisse consomme relativement peu de produits de la mer. Mais les consommateurs ont leurs exigences : qualité et durabilité priment sur le reste et s’imposent en GMS comme auprès des restaurateurs.
Avec une consommation d’environ 9 kilos de produits de la mer par habitant et par an, la Suisse se positionne en queue de classement des pays européens. Cela s’explique aisément par l’absence de littoral et de culture du poisson comme celle qui peut exister en Bretagne, en Galice espagnole ou en Nouvelle-Écosse, au Canada. Cette méconnaissance structurelle du poisson a des conséquences sur la demande et le marché, comme l’explique Renaud Enjalbert, fondateur de Procsea : « En Suisse, les consommateurs se tournent davantage vers les distributeurs pour avoir des produits de qualité et vers les labels pour avoir des produits durables. »
Consommateurs au fort pouvoir d’achat, les Suisses sont également attachés à la qualité des produits et les produits de la mer sont associés à une dimension premium, quitte à y mettre le prix. Lorenzo Wiskerke, directeur commercial du grossiste et mareyeur Mulhaupt, appuie cet aspect : « Les consommateurs suisses veulent la meilleure qualité et ils n’ont aucun souci avec le prix. Plus c’est cher, meilleur est le produit selon eux. »
La particularité de la Suisse est d’être divisée en trois entités : la Suisse alémanique germanophone, la Suisse romande francophone et le canton du Tessin italophone. « Ces trois parties ont chacune une consommation différente de produits de la mer, détaille Theodor Pulver, directeur des achats marée de Bell Food Group. Les consommateurs ont des attentes proches du pays en quelque sorte cousin. Les Suisses romands sont plus friands de produits français, par exemple. » Ces derniers représentent un tiers de la population mais deux tiers de la consommation.
Un marché tourné vers l’import
Pour approvisionner son marché d’environ 75 000 tonnes, la filière suisse recourt à l’importation à plus de 90 %, avec comme premier partenaire la France. L’Islande, la Norvège et le Danemark suivent pour le saumon et le cabillaud et l’Espagne ou l’Italie pour les produits de la Méditerranée (poulpe, sardine…). Le travail des importateurs est donc d’assurer un approvisionnement qualitatif pour répondre à la demande. « Un de nos exercices est de sélectionner les fournisseurs qui apportent des garanties en matière de développement durable et de qualité », raconte Fabrice Jeantet, directeur de Gastromer.
Parmi les produits importés, on retrouve naturellement le saumon, en bonne place. Mais suivent ensuite non pas le cabillaud ou même la crevette, mais des produits de la pêche côtière française, et notamment bretonne ou vendéenne : bar de ligne, lieu jaune, thon rouge de ligne, turbot, églefin, merlu, saint-pierre, lotte, maigre, mulet… En 2020, la Suisse a importé 7 900 tonnes de produits français, pour une valeur de 100 millions d’euros. Ces importations sont facilitées et permises par l’absence de droits de douane à l’import, justifiée par l’absence de production halieutique sur le sol helvétique. « Mais cela nous rend tributaires des importateurs et de nos fournisseurs », déplore Paul Girard, acheteur chez Gastromer.
En revanche, la filière n’exporte quasiment pas de produits, que ce soit en Europe ou à l’international. Ne faisant pas partie du marché commun, les entreprises exportatrices doivent se soumettre aux droits de douane, qui s’élèvent par exemple à 12 % sur les filets de truite. Le droit de douane diffère d’un produit à l’autre mais est, dans tous les cas, répercuté sur le prix final et rend donc le produit moins compétitif que ceux venant de l’Union européenne.
Des circuits de distribution peu diversifiés
Le secteur de la grande distribution suisse est dominé par deux enseignes : Coop et Migros, chacune ayant environ 45 % du marché des produits de la mer en GMS et son fournisseur exclusif. Manor, une enseigne de GMS qui a un positionnement haut de gamme, représente 12 % du marché de la GMS. Le reste se répartit entre les enseignes discount comme Aldi, Lidl et Denner. La consommation de produits de la mer en Suisse se fait à 40 % en GMS.
C’est dans la restauration que la demande de premium se fait le plus sentir puisqu’elle représente la moitié de la consommation. Les restaurateurs, qu’ils soient particuliers ou collectifs, ont des attentes décrites par Paul Girard de Gastromer : « Ils sont attachés au scoring WWF et aux labels, et sont en demande d’une gamme très large, surtout à Genève, qui est une ville très cosmopolite. Les restaurateurs nous demandent également de gros calibres. Pour eux, on est un relais de la qualité des produits. » D’après Lorenzo Wiskerke, leurs exigences sont difficilement conciliables : « La restauration privée demande de la qualité, négocie les prix et peut former des groupements d’achats, une pratique que je conteste. Du côté de la restauration collective, ils veulent des prix bas absolument. On leur propose du dos de cabillaud ou des crevettes monodon surgelées. » Une demande de produits « à bas prix » qui est tout de même révélatrice du fort niveau de vie des consommateurs suisses.
Vincent SCHUMENG