Thons et petits pélagiques : des stocks incertains

Le 05/05/2022 à 12:13 par La rédaction

Des petits pélagiques aux stocks instables et inquiétants, de grands pélagiques comme le thon et l’espadon mieux gérés… Les difficultés de ces dernières années alertent l’ensemble de la filière, des pêcheurs aux transformateurs en passant par les distributeurs.

Fin janvier, le collectif Napa (North Atlantic Pelagic Advocacy Group), un groupement international d’entreprises alimentaires et de la grande distribution, interpellait les décideurs politiques pour demander « des actions concrètes » pour les stocks des petits pélagiques du nord Atlantique : maquereaux, harengs et merlans bleus. Ce nouveau lobby anglo-saxon (Tesco, Aldi, Sainsbury’s, etc.) s’inquiète des États côtiers qui, année après année, de la Norvège au Groenland en passant par l’Union européenne (UE), les Féroé ou le Royaume-Uni, « se sont montrés incapables d’aboutir à un accord » sur les quotas de pêche, conduisant à des « décisions unilatérales qui ont remis en cause la durabilité des stocks et leur ont fait perdre la certification MSC ». Selon MSC justement, la biomasse globale aurait rétréci de 36 % au cours des dix dernières années. En cause : une surpêche qui dépasse systématiquement le total recommandé par les scientifiques. Sans accord sur les partages de quotas depuis 2009 pour le maquereau, depuis 2012 pour le hareng, et depuis 2014 pour le merlan bleu, les trois pêcheries ont fini par perdre leurs certifications en 2020.

L’état préoccupant de la sardine

Du côté des conserveurs français, on s’inquiète plutôt pour la sardine. « La taille de la sardine est en train de rétrécir, signale Véronique Pérelli, directrice achat chez Connétable, le principal industriel du secteur. Plus petite, elle est plus fragile à travailler et demande plus de main-d’oeuvre. On le savait en Méditerranée mais cela arrive aussi en Atlantique et même, depuis un an, au large du Maroc. Entre mai et novembre dernier, nous avons eu beaucoup de mal à avoir du poisson suffisamment gras. C’est un sujet important pour toute la filière. »

Selon les scientifiques, 88 % des sardines débarquées en France étaient âgées d’un an en 2021, et peu atteignaient deux ou trois ans. Elles seraient deux fois plus petites qu’il y a vingt ans. Pourtant, la campagne annuelle de l’Ifremer dans le golfe de Gascogne détecte une biomasse importante. Mais le stock s’est déplacé plus à l’ouest.

Les bancs de poissons semblent aussi devenir moins homogènes. « Auparavant, 95 % des volumes pêchés étaient de taille 2, témoigne Jean-Marie Robert, chargé des espèces pélagiques à l’OP Les Pêcheurs de Bretagne, au nom de la cinquantaine de navires spécialisés sur cette pêcherie. Pour nos 25 bolincheurs, en 2021, c’était 50 % de taille 2 et 50 % des poissons plus petits. Avec beaucoup de mélanges. »

En 2021, les débarques ont ainsi affiché des volumes en baisse dans les criées françaises. En 2019, la campagne de pêche avait atteint 19 000 tonnes. Elle n’a été que de 17 000 tonnes en 2020, et 15 000 tonnes en 2021. Si Douarnenez, siège de la conserverie Chancerelle, a traité 9 300 tonnes l’an dernier (plus environ 5 000 tonnes pour le site de congélation ex-Makfroid), la criée de Saint-Guénolé a vu ses volumes de sardines divisés par deux d’une année sur l’autre (1 500 tonnes) et celle de Saint-Gilles-Croix-de-Vie n’a reçu des apports que pour les trois derniers mois de l’année.

Un « état préoccupant » pour l’Ifremer, qui indique que la situation de la sardine du golfe de Gascogne, qui était déjà « estimée surpêchée et dégradée », s’est aussi tendue à cause des modifications environnementales, aux effets incertains. Avec un drôle d’écho du côté de la Méditerranée, où on avait déjà démontré un changement de qualité des phytoplanctons, moins nourrissants. Si la biomasse s’est effondrée en Atlantique, c’est donc aussi dû à « un déséquilibre écologique à l’instar de ce qui est observé » dans le golfe du Lion.
Pour ce poisson à cycle de vie court, dont les stocks ont la capacité de se régénérer sur une brève période, faudra-t-il en passer par une décision radicale ? Comme les quatre ans de fermeture totale de la pêche à l’anchois au début des années 2000 ? Ou comme le récent plan de reconstitution, drastique, de la sardine ibérique (du golfe de Cadix à la Cantabrie), dont les débarques partagées entre Portugal et Espagne étaient passées d’un pic de 101 000 tonnes en 2008 à 20 500 tonnes en 2015, pour être strictement bornées à 4 000 tonnes en 2020, avant d’être à nouveau autorisées à 40 000 tonnes en 2021. Mais en déplaçant les flottilles espagnoles plus au nord, dans le golfe de Gascogne justement, ce plan a sans doute aussi participé à la déstabilisation de la ressource… À Port-Saint-Louis-du-Rhône, la conserverie Ferrigno adapte ses recettes. Un poisson plus petit, d’abord en Méditerranée, et maintenant au Maroc ? « Nous faisons des “Pitchounettes”, annonce le patron, Dominique Ferrigno. C’est du moule 40-42 [c’est-à-dire 40 à 42 sardines par kilo] de Croatie. » Pourtant, même s’il faut se diversifier, pas question, ni à Port-Saint-Louisdu- Rhône, ni à Douarnenez, de travailler autre chose que de la Sardina pilchardus. « Gustativement, changer d’espèce, c’est faire un produit très différent », juge Dominique Ferrigno. « D’autres espèces, ce ne sont ni les mêmes textures, ni les mêmes goûts, confirme Véronique Pérelli de Connetable. Nous n’avons pas encore trouvé une autre espèce qui semble judicieuse et nous préférons valoriser la sardine fraîche de qualité. D’autant que la sardine est une consommation traditionnelle, nos clients sont attachés aux produits. Il n’est pas question de les perturber avec d’autres propositions. »

Un déclin généralisé

Globalement, les cinq débarques françaises des cinq espèces de petits pélagiques sont en repli, précise FranceAgriMer : - 13 % en 2021, qui recouvre - 19 % pour la sardine, - 2 % pour le maquereau, - 23 % pour le chinchard. De facto, les cours ont été presque toute l’année supérieurs à ceux des années passées : + 12 % pour le prix moyen par rapport à 2019, + 15 % par rapport à 2020. En détail, les cours ont augmenté de 4 % pour la sardine, de 19 % pour le maquereau, 22 % pour le hareng, et même de 30 % pour le chinchard. Ce dernier est en nette amélioration. Il vient d’obtenir le statut « reconstituable » pour son stock d’Atlantique nord. Les pêcheurs bretons ont aussi vu le retour du chinchard à queue jaune. Une espèce différente du chinchard commun, mais encadrée par le même quota. Les acheteurs ne s’y trompent pas : il peut atteindre jusqu’à 6 euros le kilo quand il est de belle taille.

Pour le maquereau, d’origine écossaise ou irlandaise, c’est le Brexit qui a chahuté les flux. « Les nouvelles démarches rendent le congelé plus long à obtenir mais finalement, ça ne bouscule pas trop les lignes, affirme Bertrand Pasquier, responsable des achats poisson chez Connetable. Pour le frais, c’est plus compliqué. On garde l’Écosse pour les grands équilibres dans le sourcing mais il y a parfois des tracasseries administratives au passage des frontières. On est dans l’incertitude des horaires. Dès qu’on arrive avec deux heures de retard sur les plateformes, on rate la livraison. Le poisson peut arriver à 17 heures ou le lendemain, pas facile de gérer les équipes des usines. Pour l’Irlande, le maquereau voyage désormais en direct sur les ferries. C’est plus long mais c’est mieux contrôlé. » Comment la filière peut-elle alors se projeter dans l’avenir ? Les évaluations scientifiques incertaines rendent difficiles la visibilité à moyen terme. « Nous reconnaissons les difficultés de modélisation, admet Jean-Marie Robert de l’OP Les Pêcheurs de Bretagne. Il y a beaucoup de bouleversements dans la pêcherie et, pour les scientifiques, c’est très difficile de prédire l’avenir et de donner les bons niveaux de pêche. » Sans parler des enjeux politiques, « de l’appétit des Espagnols, ou du manque d’information des gros chalutiers néerlandais ». Pour autant, le chargé des espèces pélagiques veut rester optimiste. Après de « très mauvaises années » pour l’anchois et cette « année médiocre » pour la sardine, la saison du thon germon a été « exceptionnelle » en fin d’été 2021. Ce stock en forme est « la clé du maintien de nos flottilles », explique-t-il. Les membres de l’OP aimeraient donc davantage de quotas. Ce qui, cette fois-ci par mesure de précaution de la part des gestionnaires, ne sera pas le cas en 2022. À leur grand regret.

Dossier : Hélène SCHEFFER


[France Pélagique a besoin de visibilité]

Avec ses deux navires surgélateurs, le Prins Bernhard et le Scombrus, France Pélagique cible quatre espèces : hareng, maquereau, chinchard et merlan bleu. « Le Brexit a eu des conséquences difficiles, souligne son dirigeant Geoffroy Dhellemmes. Les petits pélagiques sont les espèces qui ont le plus contribué aux efforts envers les Britanniques. Nous avons perdu 25 % de quota en moyenne. » Après la mise en service du Scombrus, l’armement espérait construire un nouveau navire. Il a gelé ce projet. « Cela devient compliqué pour des investissements aussi massifs, reprend le patron. Donner plus de moyens aux scientifiques permettrait des modèles plus fiables. Comment gérer une activité quand le quota peut passer de - 38 % entre 2018 et 2019, à + 45 % entre 2021 et 2022, comme cela s’est fait pour le hareng ? Avoir un plan à long terme permettrait une meilleure gestion de la pêcherie. »

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